Parcours
Récit de Anth Ginn
(Traduit de l'anglais: Anth's journey)
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Date:

1er novembre 1998

Email:

anthginn@yahoo.com





Dieu est grand, mais …

Au cours de l'été 1972, ma femme et moi sommes arrivés en trébuchant à l'aéroport de Heathrow, malades, sans un sou, avec pour tout bien le pyjama de coton que nous portions. Trois semaines auparavant, nous avions été déposés à moitié conscients sur les marches de l'United Christian hospital de Lahore, au Pakistan. Ma femme était squelettique, mourant de déshydratation. Je souffrais d'une hépatite, je ne pouvais plus tenir debout. Nous avions parcouru l'Inde, à la recherche de la 'Vérité', nous n'avions plus d'argent, et nous étions tombés malades.

On nous a mis au lit, un tube dans le bras de ma femme pour la réhydrater, on m'a nourri d'eau et de sucre, et ils ont appelé l'ambassade de Grande-Bretagne. Trois semaines plus tard, un coopérant civil britannique s'est présenté, il a payé la facture de l'hôpital, et il nous a donné deux billets d'avion pour rentrer chez nous. J'ai passé un mois de plus à l'hôpital en Angleterre. Mais de retour chez moi, j'étais un hippie heureux, avec un an de plus, mais beaucoup plus sage.

J'étais allé en Inde, j'avais trouvé un gourou, j'avais renoncé aux drogues, et j'étais devenu une personne 100% spirituelle. J'avais lu Herman Hesse, Ramakrishna, Alan Watts, Timothy Leary, Paul Brunton, 'M', et Silver Surfer (BD fantastique des années 60, ndt). Du bouddhisme Zen, j'avais compris que l' 'Illumination' existait - et qu'elle arriverait au bon moment, quand je serai prêt. Et j'étais prêt. De Ramakrishna, j'avais appris que les deux principaux obstacles à l'illumination étaient 'les femmes et l'or'. De Timothy Leary, j'avais appris qu'il me fallait un gourou, et du Silver Surfer, j'avais appris qu'on ne pouvait faire confiance aux habitants de la planète Terre. En Inde, j'avais été à l'ashram de Sai Baba, et j'avais décidé qu'il serait mon gourou.

De retour à notre maison en terrasse du Staffordshire, je me suis attelé à cette tâche sérieuse, la réalisation de Dieu. J'ai mis à la poubelle tous les livres qui n'étaient pas des Ecritures, j'ai cessé toute activité 'mondaine' - comme regarder la télévision, manger des gâteaux, jouer de la musique et les relations sexuelles. De notre pièce du rez-de-chaussée donnant sur la rue, j'ai fait un temple, j'y ai installé un autel énorme, et j'ai médité tous les jours sur mon mantra.

J'ai tenté de répandre la bonne parole, mais mes collègues de la fabrique de WC étaient dans les ténèbres. Mes vieux amis hippies étaient dans l'erreur et l'ignorance, amoureux de leur ego. Ca n'allait pas comme je l'avais espéré. Je revenais d'Inde, doté d'une aura brillante, mais ça n'affectait pas les gens comme je l'espérais. Il semblait que ça agissait plutôt comme un repoussoir. La réalisation de Dieu était un chemin solitaire.

L'enthousiasme initial de ma nouvelle 'mission' disparut rapidement, et je me sentais plus frustré qu'illuminé. Selon ma nouvelle compréhension du chemin spirituel, les êtres de moindre importance qui m'entouraient auraient dû être inspirés en ma présence, et ils auraient dû me faire des offrandes afin que je ne sois pas obligé d'aller travailler. J'organisais une 'soirée de bhajan' dans mon temple, mais seules deux personnes perdues et fauchées se présentèrent, et aucun d'entre nous ne savait chanter.

Peut-être ma compréhension n'était-elle pas suffisante. Il fallait que je renonce davantage. Ramakrishna avait dit que les conversations mondaines éloignaient de Dieu. Il fallait que je commence par là. Le lendemain matin, alors que nous étions assis autour d'une table au moment de la pause du thé à la fabrique de WC, j'ai dit à mes compagnons de travail que je ne souhaitais plus avoir de conversations mondaines. Je n'accepterais plus désormais de leur répondre que s'il s'agissait de spiritualité.

Ca marchait de nouveau. J'avais fait un pas de plus vers la Divinité. L'Illumination était imminente. Ramakrishna avait dit, 'Celui qui renonce aux femmes et à l'or est proche de la Réalisation de Dieu'. Non seulement j'avais renoncé aux femmes et à l'or, mais à une longue liste d'autres choses. En fait, j'avais renoncé à tout ce que je pouvais imaginer. Il ne me restait plus qu'à franchir la porte, et Dieu allait prendre soin de moi pour toujours. Plus jamais besoin de travailler, faire la cuisine, payer de loyer, ni participer à aucune activité mondaine. Mon temps dans ce monde était terminé. Je n'avais plus qu'à retourner en Inde, et les disciples viendraient à mes pieds.

Nous vivions dans un pavillon de mineurs en terrasse, datant de l'époque victorienne, dans le Staffordshire, en Grande-Bretagne. La porte sur rue donnait directement dans notre temple. J'y méditais une demi-heure tous les matins. Mon mantra était basé sur le nom de mon gourou, Sai Baba. Ma femme et moi avions assisté à certains de ses spectacles de matérialisation, dans un Ashram (monastère) près de Bangalore, dans le sud de l'Inde.

Un des nombreux effets magiques de mon mantra, c'est qu'il pouvait se changer en Alf Ramsey, qui était le nom du manager de l'équipe de football d'Angleterre. Mon mantra était, 'Sai Ram Sai Ram Say Ramsay, Ramsey. Ramsey.' Un samedi matin, peu après ma déclaration de l'heure du thé au 'Monde des WC', je finis de méditer, je mis une chaussure, et l'axe de l'Univers pivota. Comme Alan Watts le prédisait dans 'Le Bouddhisme Zen', l'instant de l'Illumination arrivait pour moi. Le monde s'ouvrait comme un cocon. Les ailes de la dévotion et de la renonciation allaient me mener au Créateur. J'allais sortir de ma prison de ce monde, et devenir un moine errant.

La porte était ouverte. Il pleuvait. Je regardais mes pieds. Je n'avais pas fini de m'habiller. Je n'avais qu'une seule chaussure, la seconde était derrière moi. Les gouttes d'eau s'écrasaient sur la chaussée. Je me demandais jusqu'où j'irais avec ma seule chaussette au pied gauche. Je doutais déjà de mon destin divin, alors que je n'avais pas encore bougé. J'avais renoncé au monde, sur le point de quitter ma maison pour toujours. Mais je n'avais qu'une chaussure aux pieds. La chaussure gauche qui se trouvait derrière moi faisait partie du monde auquel je venais de renoncer. La reprendre aurait signifié retourner à la chaîne du matérialisme et de l'illusion.

Je me penchais vers l'avant, mais mon pied ne voulait pas bouger. Je m'appuyais contre le mur. Rien à faire. J'étais pris au piège, dans le vide, entre la conscience de Dieu et une chaussette mouillée. Ma femme est entrée dans la pièce. Elle m'a contemplé pendant quelques minutes, finit par se dire que j'allais avoir faim, et retourna dans la cuisine. Une demi-heure plus tard, je redescendais du bord de la folie en me bourrant frénétiquement la bouche d'un sandwich au fromage et aux pickles. Les premies disent que c'est dans cet état d'esprit qu'on est 'Prêt pour la Connaissance'.

Les années 60 s'étaient éteintes. Nous étions au lendemain matin de la Révolution, et nous avions perdu (sauf en Hollande). Cerveau brouillé au petit déjeuner. Les hippies étaient en désintoxication, et trouvaient d'autres centres d'intérêt: l'environnement, la nourriture bio, le féminisme, les droits pour les homos, le trafic de drogue, la philatélie, et Dieu. Parmi ceux qui avaient vu Dieu sous acide, beaucoup se tournèrent vers des religions alternatives: Hare Krishna, Subud, et la Méditation Transcendantale.

Plusieurs de mes proches amis avaient rejoint la 'Divine Light Mission', et ils étaient devenus disciples du Gourou Maharaj Ji, le 'Maître Parfait Vivant' de 15 ans. J'avais vu Maharaji deux ans plus tôt, lors du festival de Glastonbury en 1971. Je faisais partie d'un groupe qui était allé là bas pour un mois, et nous avions participé à la construction de l'estrade pour le premier festival qui allait avoir lieu à la ferme de Michael Eaves. Maharaji, alors âgé de 13 ans, venait d'arriver en Angleterre, et il apparut brièvement lors de ce festival.

Nous avons commencé à recevoir des lettres un peu folles, et des appels téléphoniques d'amis qui étaient devenus premies. Ils nous disaient que le Seigneur de l'Univers était présent sous forme humaine, et qu'il 'révélait Dieu'. Bien que la 'Connaissance' soit gratuite, certains donnaient tout ce qu'ils possédaient, allaient vivre à l'Ashram, se mettaient à travailler, et renonçaient à la viande, à la boisson et aux drogues.

Nous avons organisé une fête. Nous déplacer dans la maison était un voyage à travers les chakras. Il y avait des bhajans dans le salon, des fumeurs de H dans la pièce du milieu, et une femme saoule, le derrière nu dans un sac plastique étendue dans la cuisine.

Les premies sont alors arrivés. Les frères étaient vêtus de costumes d'occasion et portaient de gros badges de Maharaji avec la tête entourée d'arcs-en-ciel lumineux. Les sœurs portaient des robes et des jupes longues jusque par terre, des cardigans, et les mêmes badges avec des arcs-en-ciel. Ils étaient tous munis d'un paquet de tracts. Ils traversèrent le temple où j'étais en train de prononcer un discours saint à l'intention d'un employé au four à céramique de la fabrique de WC en état d'ivresse.

Il s'arrêtèrent dans la pièce du milieu, formèrent un cercle en se tenant par la main, levèrent les yeux au ciel, et chantèrent, 'Amazing Grace'. Avant d'arriver à '...how sweet the sound,' la pièce était vide. Les hippies défoncés et l'employé ivre avaient repris leurs esprits, ils s'étaient miraculeusement levés, et ils avaient pris la fuite dans toutes les directions, terrorisés. La femme saoule de la cuisine avait finalement réussi à se lever, mais elle était retombée tellement elle était excitée. Mon auditoire avait été chassé dans la rue par un premie qui distribuait des tracts.

Tom, mon ami récemment converti, m'a tout expliqué. C'était dans le genre, 'Il y a toujours un Maître sur Terre. Il y a eu Jésus, il y a eu Krishna, il y a eu Bouddha, maintenant c'est Gourou Maharaj Ji'. Ca se transmettait, comme l'argenterie de famille. 'Maharaj Ji peut te montrer Dieu, face à face. Quand tu médites, tu vois la lumière, plus brillante que mille soleils, c'est mieux que l'acide. Et tu entends de la musique meilleure que Pink Floyd. Tu goûtes au nectar du Paradis. Et tu connaîtras le Verbe de Dieu que nul ne peut prononcer. Gourou Maharaj Ji montre tout ça. Ca s'appelle la Connaissance. Il a quatorze ans et se déplace en Rolls Royce'.

Ca semblait être exactement ce que je recherchais. Je me suis donc fait porter pâle à la fabrique de WC, j'ai poursuivi un Mahatma (Ame réalisée, importée d'Inde) à travers tout le pays pendant une quinzaine de jours, et j'ai fini par me retrouver - au mois de mars 1973 - dans la pièce où Mahatma Tu-prends-le-fric avait décidé que j'étais prêt pour qu'on me montre ce qui était alors appelé 'les quatre techniques de méditation', et 'recevoir la Connaissance'.

'Etre prêt' signifiait qu'on comprenait qu'il n'y a qu'un seul Maître, et que la seule méthode pour atteindre le salut, c'est de 'pratiquer la Connaissance et de dédier sa vie à Maharaji'. On m'a montré les quatre techniques de méditation. Je n'ai pas vu la lumière plus brillante que mille soleils. Je n'ai pas entendu Ummagumma, mais un bourdonnement.

Je rencontrais des quantités de nouveaux amis, et nous avions une mission dans la vie. 'Les soirées de bhajan' vous consument le cœur. Plus de discours extravagants avec les travailleurs ivres de la fabrique de WC. Tous les soirs, il y avait un auditoire avide des paroles de satsang qui jaillissaient de ma bouche. Le 'Satsang', c'était la 'compagnie de la vérité'. Il y avait des 'réunions de satsang' qui avaient lieu tous les soirs dans une salle, ou bien dans la 'salle de satsang' chez quelqu'un ou dans un ashram. On s'asseyait aux pieds d'un autel de Maharaji, et on 'donnait satsang' à tour de rôle, nous disant les uns aux autres combien la connaissance, Maharaji et la vie étaient fantastiques.

On chantait aussi des chants dévotionnels, ''I love you Maharaji, your grace is overflowing. I love you my Lord. You are all knowing. You have given me life, out of your mercy and compassion. I am so grateful..etc" (Maharaji, je t'aime, tu débordes de grâce. Je t'aime mon Seigneur. Tu es omniscient. Tu m'as donné la vie, par miséricorde et compassion. Je suis tellement reconnaissant, etc …)

Ma femme et moi étions professeurs des écoles diplômés, mais inexpérimentés. Lors du festival Guru Puja de 1973, nous avons participé à une réunion de professeurs premies. On nous a encouragés à vendre notre maison, et à investir cet argent dans une 'Divine School' (Ecole Divine) pour enfants de premies, et à rejoindre l'Education Ashram (Ashram Educatif) de Londres. Des choses étonnantes se préparaient. Le Seigneur de l'Univers s'était incarné, ainsi que sa Sainte Famille.

Milky Cole, un proche compagnon du Seigneur, nous a informés que les trois frères aînés du Seigneur étaient respectivement, le Créateur, le Gardien, et le Destructeur de l'Univers. Je ne savais jamais qui était qui. Bhole Ji était-il le Créateur ou le Destructeur ? Peu importe. Il n'y avait qu'une Sainte Mère, Mataji. Nous chantions, '...and when the seasons change for you the last time, say thank you for your life to Holy Mother Mata Ji' (… et lorsque les saisons changeront pour toi pour la dernière fois, tu remercieras la Sainte Mère Mataji de t'avoir donné la vie').

L'Eglise Chrétienne du Moyen-Age expliquait la hiérarchie pyramidale des Cieux. Dieu, Jésus, Marie, Joseph, les Anges, les Apôtres, les Saints étaient suivis (de l'autre côté) sur Terre par le Pape, les Archevêques etc, jusqu'au simple travailleur qui les finançait par 10% de ses revenus. Nous avions notre hiérarchie divine. A sa tête, Balyogeshwar Shri Sant Ji Maharaj, puis Dieu et la Sainte Famille.

Tout ceci peut sembler étrange en cette époque éclairée, mais les mahatmas nous avaient vraiment expliqués que Maharaji était 'plus grand que Dieu'. Ce raisonnement était bien résumé sur une affiche de la Divine Light Mission. Il y était écrit, 'Dieu est grand, mais plus grand est le Gourou, car le Gourou révèle Dieu'. C'était une idée difficile à gérer, alors on se contentait de le prendre pour Dieu.

Sur Terre, la mère de Maharaji et les trois frères, Bhal Bhagwan Ji, Bhole Ji et Raja Ji étaient des êtres divins, mais pas autant que Maharaji. A la fin du satsang, nous criions tous à l'unisson, 'Bhole Shri Satgurudev Maharaj Ki Jai. Anandakanda Bhal Bhagwan Ki Jai. Jagat Janani Shri Mata Ki Jai. Satchitavar Ki Jai.' Et finalement, et encore plus fort, 'Bhole Shri Satgurudev Maharaj Ki Jai'. On projetait les bras en l'air, dans une sorte de 'Sieg Heil' des deux mains, à chaque 'Ki Jai'.

Comme on n'acclamait pas Raja Ji et Bhole Ji, je supposais qu'ils étaient situés plus bas dans la hiérarchie. (Ce qui s'est avéré quelques années plus tard, lorsque Bhal Bhagwan Ji est lui aussi devenu un autre 'Maître Parfait, Dieu en personne sur Terre pour le bénéfice de tous'. Mais il s'agit d'une autre histoire.)

En dessous de la Sainte Famille, il y avait des Mahatmas spéciaux, comme Gurucharnanand et les premies qui vivaient et parfois voyageaient avec Maharaji. En dessous d'eux, il y avait les Mahatmas ordinaires. Puis il y avait les premies d'Ashram. Puis il y avait les premies qui attendaient d'entrer à l'ashram, suivis des premies de la 'communauté' (encombrés d'enfants, ou ignorants), suivis du reste de l'espèce humaine. Ils avaient aussi leurs niveaux dans la hiérarchie divine. Au dessus étaient les aspirants, ceux qui attendaient d'être initiés. En dessous se trouvaient ceux qui avaient entendu parler de la Connaissance. Et plus vous en aviez entendu parler, plus vous montiez dans la hiérarchie. La simple lecture d'un tract était utile.

A l'Ashram, vous viviez une vie de satsang, service et méditation. On se levait à six heures du matin, on chantait un chant de louanges à Maharaji, 'Créateur, Protecteur, Destructeur, tous s'inclinent devant toi et te prient ….' On méditait, on mangeait un splendide petit déjeuner, et on allait travailler. A l'heure du déjeuner, j'allais vendre le 'Divine Times' dans la rue. Le soir, on allait au satsang au 'Palace of Peace' de Londres, où nous nous occupions de la garderie.

Le week-end, on préparait l'organisation de l'école, et on étudiait les systèmes éducatifs. Nous avons découvert l'éducation 'spirituelle', nous discutions des méthodes de Rudolph Steiner, et nous les avons étudiées avec enthousiasme. On nous a demandés, à ma femme et à moi, d'organiser des réunions pour les enfants. Et nous avons ouvert une école au rez-de-chaussée de l'ashram, à South London, avec une classe de 10 enfants.

La population de l'ashram augmentait, et, comme il était prévu que l'Unity School prenne des pensionnaires, plusieurs enfants sont arrivés à l'ashram. Il y avait tellement de monde, qu'on a construit une mezzanine dans la chambre des enfants ; il y avait des enfants en haut, et d'autres en bas. J'ai déménagé dans le jardin, et je dormais sous une table couverte de polyéthylène. Neuf enfants et quarante adultes vivaient dans cette maison.

Un inspecteur gouvernemental est venu inspecter l'école. Nous lui avons raconté qu'il y avait neuf enfants et douze adultes dans la maison. Son seul commentaire fut qu'il pensait que c'était trop. Il aurait dû voir ça au coucher.

Je me souviens que lorsque je rendais visite à des amis, à la vue de leurs salons, je me disais, 'quel gaspillage de place. Dix personnes pourraient dormir ici'. Nous avons collecté à peu près 360.000 Livres, et nous avons acheté un vieux manoir de Cornouailles. En plus de leur programme Waldorf (Steiner), les enfants devraient travailler à la ferme. Leur programme éducatif comprenait la culture des céréales, moudre le grain, traire les vaches, faire le beurre, etc. Ma femme et moi, nous devions nous occuper des pensionnaires, en dehors des heures de classe. C'est à dire que nous devions nous occuper de leur préparation le matin, de les coucher le soir, et nous occuper d'eux le soir et les week-ends.

Dans l'Ashram Educatif, nous avions une 'mission spéciale', avec un agya (une instruction directe du Seigneur) pour mettre en place une école. Personne ne discute un 'agya'. Nous avions le droit de lire des livres, de peindre, de jouer de la musique, de discuter de sujets intellectuels, toutes activités interdites dans les autres ashrams. Nous avons suivi des cours au collège Steiner, nous faisions des projets, et nous étions conscients de participer à quelque chose de magnifique. Il y aurait bientôt beaucoup de premies dans toutes les villes, et il faudrait des Unity Schools dans tout le pays. Et vers 1980, le secrétaire de l'ashram serait probablement Ministre de l'Education.

Il était entendu que si on était sérieux dans la 'pratique de la connaissance', il fallait vivre à l'ashram. Les premies qui n'étaient pas à l'ashram étaient traités comme des citoyens de deuxième classe. Les premies d'ashram participaient à des réunions spéciales avec Maharaji, ils avaient des privilèges spéciaux aux programmes, et il avaient droit à des infusions et des snacks gratuits au 'Sohungry Café' du Palace of Peace. En revanche, ils n'avaient pas officiellement droit au sexe, à la drogue ou au rock-and-roll, et ils devaient remettre leur paye au secrétaire d'ashram.

Si vous étiez mariés et que vous aviez des enfants, vous étiez coincés. Il vous fallait attendre que vos enfants soient suffisamment grands pour partir, avant de pouvoir vous soumettre vraiment à votre maître. Sauf bien sûr si vous les abandonniez quelque part. Pouvait-il y avoir un meilleur endroit que l'Unity School pour le faire, là où des 'disciples du Seigneur Vivant' s'en occuperaient, des premies d'ashram dans la conscience pure.

Ma femme et moi avons examiné les demandes. Soixante cinq enfants étaient candidats. Nous avons vérifié leur âges. Plus de quarante avaient moins de sept ans, le plupart ayant quatre ou cinq ans. Pas besoin d'un troisième œil pour voir qu'on allait droit au désastre. Il aurait été insensé de prendre plus de soixante enfants si jeunes à leurs familles pour les mettre dans des dortoirs, en espérant que deux anciens hippies en cours de réhabilitation s'en occupent jour et nuit.

Nous avons exprimé nos inquiétudes lors de la réunion de professeurs suivantes. Ils étaient tous d'accord avec nous. Les dortoirs étaient en construction, et deux classes n'étaient pas encore bâties. (Nous avions acheté des bâtiments préfabriqués, mais nous n'avions pas de mode d'emploi, et personne ne savait comment les assembler.)

C'est à peu près à cette époque que Maharaji a épousé sa secrétaire, Marilyn. Ca a déclenché une folie dans la Divine Light Mission. Notre secrétaire d'ashram s'est marié avec la house mother, et les histoires d'amour fleurissaient partout. Profitant du nouveau climat de l'ashram, ma femme et moi, déjà mariés depuis quatre ans, nous avons décidé de dormir à nouveau ensemble.

Alors que le secrétaire d'ashram et la house mother étaient en lune de miel, nous avons déclenché une révolution. A leur retour, ils ont constaté que l'Unity School n'était plus dirigée par un maître principal, mais par un comité directeur de professeurs. La politique éducative ne serait plus dictée par la 'chaîne d'agya', mais elle serait décidée par le comité. La 'chaîne d'agya' était le système de commandement venant de Maharaji, et passant par ses proches confidents, puis par le 'Coordinateur National', parfois un 'Coordinateur Régional', jusqu'au secrétaire d'ashram. Ca coulait le long de la pyramide divine. Nous lui avons dit que nous ne prendrions pas de pensionnaires tant que les dortoirs ne seraient pas prêts, ce qui signifiait que nous ne pouvions fonctionner que comme une école de jour, avec à peu près neuf enfants qui habitaient à proximité - lors d'une réunion qui eut lieu plus tard, pour préparer la prochaine rentrée.

Une semaine avant l'ouverture prévue, un parent, dont un enfant avait été abusé sexuellement par Mahatma Jagdeo en visite à l'ashram, nous a dit, 'Même si l'école ouvre la semaine prochaine, nous n'enverrons pas nos enfants.'

Ce fut la fin de l'Unity School.

Le quartier général de la Divine Light Mission de Londres apprit que tous les professeurs de l'Unity School avaient 'flippé' là bas en Cornouailles. Ils envoyèrent quelqu'un pour récupérer notre camion Mercedes. Puis ils récupérèrent le manoir qui devint un lieu de retraite pour premies d'ashram, puis une guest house végétarienne, avant d'être revendu. Nous sommes repartis à Londres, pour y vivre dans la 'communauté des premies'.

La Divine Light Mission a connu des vagues périodiques d'activités à la mode, accueillies avec allégresse par les premies. Il y a toujours eu comme un sentiment que rien ne se déroulait comme il le faudrait. Chaque 'bond en avant' était accueilli avec le sentiment optimiste que tout allait enfin se passer comme il faut. Des dizaines de milliers de personnes allaient se présenter à la porte, elles recevraient la Connaissance, et on établirait le 'Paradis sur Terre'. Et quelque part, le lion allait sûrement dormir avec l'agneau.

Il y a eu le film 'Who is Guru Maharaj Ji?' Après l'avoir vu, les gens sauraient enfin qui 'Il' est, et ils allaient se précipiter pour recevoir la Connaissance.

Il y a eu la World Welfare Organisation (Action Sociale Mondiale). On allait faire de bonnes actions pour les nécessiteux, en espérant que les gens seraient attirés vers Maharaji. Pendant six mois, j'ai fait partie d'un groupe qui allait faire des spectacles tous les week-ends pour les enfants et dans les hôpitaux psychiatriques.

Puis il y a eu DUO, la Divine United Organisation. C'était une structure d'accueil, pour héberger de nouvelles entreprises de premies. Le personnel de ces entreprises était généralement des premies qui faisaient du service, avec des récompenses divines pour tout salaire. Il y avait une fabrique DUO, la Millennium Construction Company, Mother Nature Fashions, Rainbow Groceries, Divine Sales, Hansa Graphics, et bien d'autres.

Un soir, j'étais au Palace of Peace et j'écoutais une personne qui avait été le chauffeur de Maharaji toute la journée à Londres. Il nous racontait, 'Maharaji a désigné ce grand gratte-ciel, et il a dit : Un jour, ça sera les bureaux de DUO'. Cette même personne disait aussi, 'dans quelques années, il y aura le sigle de DUO sur chaque camion. Sur chaque stylo …. Il sera partout'. En réalité, la plupart des entreprises DUO se sont tranquillement effondrées lorsque la mode suivante est arrivée. Certaines sont pourtant passées sous contrôle privé, et sont encore actives aujourd'hui.

En 1976, on a eu notre 'Grand Bond en Avant'. Il y a eu des 'ateliers' à la place du satsang. On était divisés en groupes, avec des 'moniteurs', qui avaient eux-mêmes participé à des ateliers d'animation d'ateliers. On ne parlait pas seulement de la Vérité, mais on la disait. Nous admettions que nous n'avions pas décollé dans la conscience de Dieu lorsque nous méditions. Non seulement nous n'étions pas vraiment soumis, mais nous disions parfois aussi beaucoup de bêtises au cours du satsang. J'en ai certainement dit plus que ma part.

Une fois de plus, il semblait que les choses allait enfin de l'avant. On faisait des progrès, et on avançait vers le jour où bien plus de gens allaient reconnaître la présence du Seigneur sur terre. Et à mesure que les vagues coulaient le long de la pyramide, au gré des lubies, il y avait des festivals et des darshans.

Pour un vrai disciple du maître, il n'y a rien qui surpasse 'Son darshan'. Le darshan, c'est sa 'présence matérielle'. C'est vraiment un des moments les plus sublimes de la vie du premie. Il n'y a rien de supérieur à la présence physique du Seigneur. Comme le Maître est Dieu, Il est aussi en vous, dans la 'Connaissance'. Le 'darshan', c'est la présence physique de Maharaji, à la place de sa 'présence spirituelle'.

Au fil des années, Maharaji a parcouru le monde, il a été présent lors de réunions appelées, selon les époques, 'festivals', 'programmes', et 'événements'. Maharaji parlait devant tout le monde, une ou deux fois dans la journée, et généralement il 'donnait darshan'. C'est à dire qu'il s'asseyait dans un fauteuil, sur une petite estrade, les pieds posés sur un coussin situé au bord de l'estrade. Les premies défilaient devant lui, et ils lui embrassaient les pieds.

Le 'jour de darshan', on mettait ses plus beaux vêtements, on restait assis à méditer dans la salle, et lorsqu'on se sentait bien, on rejoignait le bout de la file pour le darshan. La file était dans la salle, mais à un certain moment, on finissait par entrer dans la zone privée de Maharaji, souvent au bout d'un 'tunnel de darshan' généralement garni de tissu bleu. Des 'premies de la sécurité' étaient alignés de chaque côté, examinant soigneusement la file, à la recherche des 'premies bongos' (les fous de ce monde de fous) et des non-premies (ceux qui n'ont pas la 'Connaissance'). Des Mahatmas, assistés d'autres premies distribuaient des enveloppes. On vous en offrait au moins vingt fois avant d'atteindre le 'tunnel de darshan'. A l'entrée du tunnel, il y avait une table avec une grande boîte. Derrière la boîte, il y avait deux ou trois instructeurs de haut rang. Ils ramassaient les enveloppes, dans lesquelles les premies avaient mis tout ce qu'ils pouvaient.

Bien sûr, rien ne vous obligeait à donner de l'argent. Au début des années 70, les premies apportaient toute sorte de cadeaux. Mais avec le temps, on nous a fait clairement comprendre que le cadeau le plus pratique pour Maharaji c'était l'argent. De toutes manières, qu'est-ce que Maharaji aurait pu faire de toute cette pile de cadeau à la fin de chaque programme ?

Les premies offraient souvent des objets chargés pour eux d'une grande signification émotionnelle, sans intérêt pour toute autre personne. 'Seigneur, je t'apporte le manche de cette Fender Stratocaster que Pete Townshend a fracassée sur la scène du théâtre de l'Odéon de Nottingham en 1965. J'ai fait le tour de l'Asie avec elle dans mon sac à dos, et Sai Baba l'a bénie à Mysore. Maintenant je te l'offre. Il y a encore une tache de vomi desséché de Keith Moon dans le coin. Tout ce qui me reste, c'est la cicatrice que ça m'a fait lorsque je l'ai reçue sur la tête quand Townshend l'a jetée dans la salle à la fin de 'My Generation'. Il n'est pas surprenant qu'il préfère le cash, si possible en billets.

Le darshan durait des heures. Lors des grands festivals internationaux, des milliers de premies y passaient. En entrant dans le tunnel, on entendait une musique agréable en provenance de la 'pièce du darshan' où Maharaji se trouvait, la file des premies passant devant lui. De chaque côté du coussin (sur lequel ses pieds reposaient) se trouvait un garde du corps. Le premier vous tenait doucement les épaules lorsque vous vous penchiez, l'autre vous prenait par les épaules pour vous faire avancer, une fois que vous aviez embrassé les 'Pieds de Lotus'. Ils étaient là pour faire partir ceux qui dépassaient le temps autorisé, et pour passer ceux qui s'évanouissaient aux 'récupérateurs'.

Les évanouissements pendant le darshan était assez courants. Je me suis évanoui plusieurs fois durant toutes ces années. Certaines personnes semblent perdre conscience assez facilement. Ca se produit dans de nombreux groupes religieux charismatiques. Lorsque vous vous évanouissiez au darshan, on vous emmenait dans la 'pièce de récupération du darshan'. On vous y surveillait jusqu'à ce que vous ayez repris vos esprits. Lors d'un festival au pays de Galles, certains premies se sont même évanouis lors d'une file de darshan devant une photo de Maharaji grandeur nature.

En 1978, nous avons eu un programme en Galles du Sud. C'était un événement national, et quelques initiateurs étaient les premies du plus haut rang présents dans l'assistance. On m'avait demandé d'organiser la garderie. Nous avions emprunté du matériel à une garderie locale, et nous l'avions installé dans des locaux à l'extérieur de la salle. Lorsque les dignitaires et les personnages officiels nationaux sont arrivés, ils sont passés devant la pouponnière et ils ont remarqué tout ce matériel onéreux que nous avions loué.

Ils n'avaient pas vu les hordes de gangs de ninja de neuf ans enragés, les enfants perdus en pleurs, criblés des étoiles métalliques des ninjas, les premies du 'childcare' qui couraient pour échapper aux ninjas, ni les groupes des parents affolés cherchant leurs enfants blessés au milieu du champ de bataille. Ils avaient vu les échelles de grand prix, les toboggans et les maisons de jeux. 'Wow, ça a l'air vraiment super', ont-ils dit, en jetant un coup d'œil à leur entrée dans la salle. 'Qui a organisé ça ?'

Quinze jours plus tard, on m'a demandé d'organiser la garderie lors des grands programmes européens. Les modes changeaient, les grands événements continuaient. J'ai perdu mon travail d'enseignant à cause de tout le temps que ça me prenait. Et la garderie prospérait. Deux grands programmes plus tard, j'avais réuni une bonne équipe de personne fiables, et la situation s'améliorait.

A mesure que la situation s'améliorait, les premies amenaient leurs enfants aux programmes, au lieu de les laisser chez Grand-maman. Leur nombre augmentait régulièrement. A l'époque de l'événement de Genève en 1983, nous avions une grande zone pour les mères et leurs bébés, une zone pour les petits avec des tas de sable, de la peinture et des jouets, des activités pour les enfants plus grands, un cinéma, un théâtre avec une scène et des éclairages, et un guignol. Nous avions exploité la quantité de talents artistiques et théâtraux présents, et les désirs débordant de 'faire du service'. Les murs avaient été décorés par de bons artistes, et environ 350 premies étaient organisés en équipes, avec des responsables pour tous les postes. Plus de 800 enfants se sont présentés, et la plupart ont passé un bon moment. J'avais construit un empire formidable.

Maharaji est venu visiter la salle le jour précédant le festival. La zone du 'childcare' était presque aussi grande que la salle où le meeting avait lieu pour les 4.000 premies (les enfants ont besoin de davantage d'espace). Il a demandé à quoi tout cela servait, et on lui a répondu 'le Childcare' (la garderie). On m'a dit peu après, 'Maharaji a dit que les gens ne devraient pas amener leurs enfants aux programmes'.

Mon empire avait été démantelé, mais ma carrière n'était pas terminée pour autant. J'ai participé à l'organisation du festival qui a eu lieu sur le champ de courses de Lingfield. Maharaji nous y a dit, 'Chaque souffle devrait être méditation, chaque mot devrait être satsang, et chaque action devrait être service,' (pour Lui).

A Lingfield, mon job était de coordonner le 'Staff Support'. C'est à dire que je devais organiser la nourriture, les transports et l'hébergement pour toute personne venant 'faire du service' au programme. Ca comprenait les bâtisseurs, les plombiers, le personnel de bureau, celui des transports, les cuisiniers, les personnes faisant le nettoyage, les menuisiers, la sécurité, et les administrateurs, et les 'honchos' (petits chefs), comme on les appelait à l'époque. Le chef des 'honchos' était celui qui parlait de temps en temps à Maharaji, et qui recevait ses 'agyas'.

Il n'y avait rien de tel qu'un 'agya' pour nous motiver. L'Agya était important. C'était l'ordre direct du Maître, une des choses les plus puissantes sur terre. Discuter un 'agya', c'était faire preuve d'un manque de compréhension spirituelle. Lorsque le Seigneur donne un ordre, ça doit être un plaisir de lui obéir.

Les programmes étaient installés très vite. On construisait toujours une grande estrade, avec des pièces pour Maharaji et sa famille. Cette zone était toujours appelée le 'backstage' (les coulisses). C'est un endroit magique dans le Monde des Premies. A l'époque glorieuse des festivals, la zone du backstage était plus confortable que la plupart des maisons.

Des premies de toute l'Europe travaillaient nuit et jour pour construire un appartement complet. Des murs préfabriqués étaient installés, enduits, puis recouverts de papier peint. On installait l'électricité, la plomberie, on mettait de la moquette, la télé, une chaîne stéréo, des frigos, des éclairages et des portes. Un appartement de luxe était installé, utilisé pendant la durée du festival, puis démoli.

A mesure que le festival approchait, de moins en moins de personnes avaient le droit d'aller dans le backstage. Un système de 'pass' élaboré était mis en place, autorisant certaines personnes à accéder à certaines zones. L'accès était contrôlé en permanence par la 'Sécurité'. La 'Sécurité' avait des pass spéciaux, et sa hiérarchie. Son rôle principal, lors des festivals, était de protéger Maharaji et sa famille de toutes les autres personnes, premies et non premies. Les plus proches compagnons de Maharaji étaient toujours exemptés des cercles concentriques de sécurité qui l'entouraient. Le backstage prêt, encore moins de personnes étaient autorisées. Lorsque 'l'arrivée' était imminente, le 'coordinateur du backstage' faisait un ou deux derniers raccords de dernière minute, avant qu'on lui demande de partir, quelques minutes avant l'arrivée de Maharaji.

Lorsque Maharaji était dans les lieux, la Sécurité était en alerte rouge. Il y avait alors de nouveaux gardes supplémentaires et de nouveaux commandants. Des dispositifs supplémentaires étaient ajoutés, et tout le monde recevait des instructions particulières.

A Lingfield, le Staff Support me projeta en plein milieu des intrigues politiques des festivals. Pendant les années où je m'étais occupé du childcare, personne ne s'était jamais intéressé à ce que je faisais, même si j'étais parfois responsable de plusieurs centaines d'enfants, de 10h du matin à 10h du soir. (Ca n'est pas aussi intimidant que ça peut sembler, si vous avez une équipe de trois à quatre cent serviteurs de bonne volonté, travaillant par équipes, et quelques organisateurs à moitié sensés pour vous assister.)

Mais lorsque j'ai organisé le Staff Support, chacun prenait grand soin de me conseiller sur la manière de faire mon travail. Car je m'occupais de leur nourriture, de leurs transports et de leurs lits. Ce fut un cauchemar. Plus les gens arrivaient, plus j'avais de nourriture, d'hébergement et de transports à organiser pour eux.

Il y a une paire de 'petits chefs' qui m'ont dit que, puisque 'leur service était important', ils ne pouvaient pas faire la queue comme tout le monde, ni manger la même merde que les autres travailleurs. Il leur fallait leur propre salle à manger, une nourriture spéciale, et des gens pour les servir. Pour moi, tous les disciples étaient égaux aux pieds de leur Seigneur, alors je leur ai demandé de faire la queue comme tout le monde.

Le lendemain, ils ont désigné leur propre 'Coordinatrice du Coordinateur du Staff Support'. On lui accorda un généreux budget, un chauffeur, et une liste de 'petits chefs' à servir. C'était le même genre d'arrangements que pour les 'mahatmas'. Deux jours plus tard, on m'a congédié, puis réembauché, le nouveau 'Support Coordinator' n'ayant trouvé personne pour me remplacer.

Un soir en revenant de Lingfield, je suis arrivé chez moi assez tard, accompagné de Brian, un géant du Bronx. Il faisait de la plomberie sur le site du festival. Je lui avais proposé de l'héberger pour la nuit. Au moment des festivals, il y avait toujours beaucoup de gens à héberger - beaucoup ne pouvant se payer un hébergement. J'ai ouvert la porte d'entrée de notre maisonnette de trois pièces, et j'ai heurté une paire de pieds. Deux personnes étaient couchées dans cette entrée étroite. Nous les avons enjambés, et jeté un coup d'œil dans le séjour. Il y avait des gens couchés sur chaque sofa, et sur le sol. J'ai regardé dans la cuisine, trois personnes par terre. Je suis monté à l'étage, deux personnes sur le palier. Quelqu'un dormait sur le sol de la salle de bains, et une personne dormait dans la baignoire (je ne plaisante pas). La chambre des enfants était pleine. J'ai ouvert la porte de notre chambre. Ma femme dormait dans notre grand lit, avec les deux enfants. Il y avait encore de la place pour deux. Nous sommes donc entrés tous les deux. Lorsque ma femme s'est réveillée le lendemain matin, je l'ai présentée à Brian. Nous sommes restés bons amis depuis cette date.

Après le festival de Lingfield, j'ai fait du 'service' dans la 'Communauté de Londres'. Pour les premies, la Communauté de Londres est seulement constituée des premies vivant à Londres. Les 14.000.000 d'autres personnes qui y vivent n'existent pas, à moins bien sûr qu'elles ne soient intéressées par la 'Connaissance'. Il y avait généralement un 'Coordinateur de Communauté', et parfois un 'Conseil de Communauté'. Il y a eu une fréquente pulsion à avoir un 'Centre de Communauté'. (Au début des années 70, on avait converti le vieil Odeon de Dulwich en 'Palace of Peace'). Nous étions alors en 1982, les ashrams avaient survécu à l'explosion des mariages consécutive à celui de Maharaji et Marilyn, et tout allait encore très bien.

En Angleterre, on recevait alors un nouveau Coordinateur National toutes les quelques semaines. Le dernier en titre était David Smith. Il avait brièvement traversé l'Angleterre, laissant dans son sillage le chaos et la confusion. Il me demanda de chercher un bâtiment qui convienne pour un centre permanent de la communauté premie. J'ai parcouru Londres, à la recherche de cinémas vides, j'ai discuté avec divers élus locaux, en insistant sur notre côté laïc, 'une cafétéria bio, des cours d'accouchement naturel, de la méditation, du yoga, etc'. Je ne claironnais pas que nous allions transformer un vieux cinéma en pôle d'attraction pour adorateurs de Gourou en folie.

Mais avant que David ne parte, et que le projet ne s'effondre, ma carrière prit un tournant radical. On m'a appelé à la 'résidence', la maison de Maharaji dans les collines du Sussex, près de Reigate. Je dirigeais un spectacle de Noël, auquel participaient certains 'premies de la communauté' et quelques membres de 'l'équipe de Maharaji'. Nous arrivions à l'un des ashrams de Reigate pour une répétition, et on m'a dit que je devais immédiatement me rendre à 'Beechurst', une des 'maisons d'intendance'. Il y avait toujours au moins deux 'maisons d'intendance', où se trouvaient les premies qui faisaient du service à la résidence. S'y trouvaient aussi les premies qui attendaient de voir Maharaji, les premies qui 'faisaient du service à la Résidence', les chauffeurs en attente, etc. Lorsque Maharaji était là, ces maisons étaient de vraies ruches.

On m'avait laissé à Beechurst, où j'ai appris qu'on me voulait en haut de la colline, à la Résidence. Personne ne savait pourquoi. C'était comme si tout à coup une aura m'avait poussé. Les premies me traitaient différemment, ils ne me regardaient plus de la même façon. Etre invité à la Résidence lorsque Maharaji s'y trouve, c'est le rêve de chaque premie. Et soudain ça m'arrivait. On m'a amené au Cottage, une maison d'intendance dans l'enceinte de la résidence, et on m'a alors dit que Marilyn, la femme de Maharaji, voulait me parler. On me fit traverser le jardin, jusqu'à une petite serre se trouvant à côté d'une grande maison ressemblant à un chalet Suisse, surplombant les collines du Sussex. On me laissa à la porte. J'ai frappé, et Marilyn m'a invité à entrer.

J'ai ôté mes chaussures, et je me suis agenouillé sur le tapis, cachant soigneusement mes chaussettes trouées. Nous avions deux enfants, et nous vivions dans une maisonnette située à Brixton, dans un groupe de HLM au sud de Londres. Ma femme ne travaillait pas, j'avais passé beaucoup de temps à faire du 'service', et nous étions fauchés. Maharaji et Marilyn avaient trois enfants. La plus âgée, Premlata - ou Wadi - avait cinq ans et demi. Hansi en avait quatre, et Daya deux ou trois. Aucun d'entre eux n'était encore allé à l'école.

Marilyn me dit alors qu'elle pensait que Premlata était prête pour commencer à recevoir une éducation formelle. J'étais un enseignant qualifié, mon nom lui avait été mentionné, et elle voulait savoir ce que j'en pensais. Je lui ai dit, 'Elle a cinq ans et demi, et si tu penses qu'elle est prête à apprendre à lire et à écrire, elle l'est sans doute'. Marilyn m'a dit qu'elle pensait transformer la pièce où nous nous trouvions en salle de classe, et qu'elle voulait engager un précepteur. 'Qu'en penses-tu ?' Et nous avons discuté des enfants et de l'école pendant à peu près une heure et demie. Elle n'avait pas pris de grands airs, elle se présentait comme un être humain au bon cœur, et elle m'a plu.

Elle m'a demandé quel genre d'éducation Premlata devrait avoir pendant les quelques mois à venir, selon moi. Je lui ai dit qu'elle devrait peut-être se focaliser sur la lecture et l'écriture, avec un peu de calcul, le matin, et faire des choses plus actives l'après-midi. Elle m'a finalement demandé si j'étais prêt à venir cinq jours par semaine pour faire le travail dont nous venions de parler. Mon rêve se réalisait, alors j'ai dit 'Oui'.

Moins d'une semaine plus tard, nous avions une salle de classe avec des tables et des chaises. J'avais commandé un tas de matériel, et on m'avait donné de l'argent pour de nouveaux vêtements. On m'a demandé quel salaire je souhaitais par semaine. J'ai demandé la même chose que pour un emploi dans une école normale, et c'est ce que j'ai reçu.

Le premier jour de classe, toute la famille est arrivée le matin. J'ai attendu que Maharaji et Marilyn s'en aille avant de commencer, mais ils sont restés. Je suppose qu'ils voulaient être sûrs de ne pas laisser leurs enfants entre les mains d'un cinglé de britannique au cerveau endommagé. Après tout, ils n'en savaient rien. C'est ainsi qu'a commencé ma carrière de 'professeur des enfants de Maharaji', ainsi que je suis devenu connu dans le 'Monde-des-Premie'.

Cinq jours par semaine, je venais faire la classe, et je passais la journée avec Wadi, et parfois Hansi. C'était un plaisir de lui faire la classe, elle était intelligente, créative, et avide d'apprendre. Elle s'est jetée sur la série des livres de lecture 'Pirate', elle aimait vraiment les travaux manuels, faire la cuisine, etc, ce que nous faisions l'après-midi. Hansi allait et venait. Il était trop jeune pour commencer à aller en classe tous les jours, et nous nous sommes mis d'accord pour le laisser faire à son gré. Il n'arrivait pas à me cataloguer. Je lui disais quoi faire, et je lui disais même aussi ce qu'il ne fallait pas faire - ce qui, je crois, était différent de ce qu'il entendait de la plupart des autres personnes de la maison.

Il ne comprenait pas grand chose à 'l'école' et à la 'classe'. Il avait de grands jouets, pour jouer dans sa chambre, et il avait des adultes intelligents et patients pour le distraire. A la différence de ce qui se passait ailleurs, il n'y avait pas grand chose pour capter son attention dans la salle de classe. Ils sont restés à Reigate pendant deux mois et demi environ, et je me rendais à la salle de classe chaque jour de la semaine ; je m'y suis rendu une fois ou deux le samedi. Je prenais le train jusqu'à Redhill, où une voiture m'attendait en général pour me mener à la 'résidence'. On me laissait au portail, j'allais au cottage, et j'attendais qu'on me dise que je pouvais me rendre à la salle de classe.

J'ai appris à connaître les enfants et leurs parents. Ils ont tous deux témoigné de l'intérêt pour ce que nous faisions à 'l'école', et ils sont venus voir la classe de temps en temps, Marilyn plus que Maharaji. Je bavardais avec eux de temps en temps, habituellement à propos des enfants et de ce que nous faisions, parfois sur d'autres sujets. On m'a fait cadeau de quelques vieilles chemises et sweat-shirts de Maharaji. Les rebuts de Maharaji, mis à part le fait qu'il s'agissait de vêtements d'extrêmement bonne qualité, étaient de saintes reliques. Le suaire de Turin c'était du passé, les vêtements portés par le Seigneur en personne étaient dotés d'une très grande signification.

Mon nouveau 'Service' avait accru mon statut auprès des premies. Lorsque j'enseignais, j'étais un sujet brûlant. Chacun me demandait, 'Tu as vu Maharaji ?' tous les jours. Tout le monde voulait des histoires de darshan fraîches.

Les 'Histoires de Darshan', ce sont les récits de rencontres personnelles avec Maharaji. C'est une nourriture pour l'âme des premies. Il faut lire les Ecritures pour connaître ce qu'ont fait Jésus et Bouddha, et ça date souvent de bien après leur mort. Mais comme c'est merveilleux aujourd'hui de pouvoir apprendre des histoires du Seigneur de quelqu'un qui était présent. Et encore plus s'il s'agit d'histoires d'aujourd'hui !

Gros comme une maison, on pouvait voir la béatitude qui émanait encore des yeux de la personne. Toute rencontre personnelle avec Maharaji, même la plus insignifiante, devenait une histoire de darshan à répéter. Les événements les plus insignifiants se trouvaient dotés d'une profondeur et d'une importance immenses, source de très grandes 'réalisations'.

Je revenais donc à Londres, rempli de darshan. Si j'étais avec un groupe de premies, et que je commençais à raconter une 'histoire de darshan', la pièce devenait silencieuse ; chacun était concentré sur l'histoire cosmique de ma dernière rencontre avec le Seigneur vivant. Une histoire de darshan, si elle est bien transmise entre deux amis, peut même avoir des conséquences à distance :

'J'étais avec A. Il est à la résidence. Hier, il nous a raconté une histoire incroyable. Il était dans le couloir, la porte s'est ouverte, et c'était Maharaji. Ils se sont regardés. Personne n'a rien dit'.

'Wow, C'est incroyable. Après, qu'est-ce qu'il s'est passé ?'

'Ca va mieux. O semble avoir raison, Maharaji connaît O. Maharaji a désigné A en disant, 'Qui est-ce ?'

'Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ?'

'Ca c'est ce qui est vraiment étonnant. L'ego de A a été complètement réduit en miettes'.

'Complètement ?'

'Oui. Il l'a mis dans un carton, il l'a ramené chez lui, et il l'a donné à manger au chat. C'est maintenant une âme réalisée'.

'Amen'.

J'ai donné des leçons à Wadi, à Hansi, et plus tard à Daya, et même à leur cousine Navi pendant un moment, lorsqu'ils ont été en Europe pendant deux ans et demi. Après la naissance de Amar, ils ont passé moins de temps en Angleterre, et plus de temps en Amérique. Amar est né le jour de Noël. Les premies du monde entier ont été contactés par téléphone (système divin de communication pyramidale), et on leur a dit que Maharaji voulait que chacun médite pendant l'accouchement de Marolyn. Nous avions deux enfants à surveiller. Il a fallu que je désobéisse à l'agya, j'ai regardé un film de James Bond, j'ai mangé du chocolat, et j'ai bu de la bière sans alcool infecte pendant ce temps là. Trois heures plus tard, on a reçu un coup de téléphone nous informant que Amar était né.

Je me suis rendu en Amérique quelques fois pour assister à des festivals. J'étais généralement invité à la résidence. Il y avait une salle de classe à la maison de Miami, avec un professeur américain, avec qui je suis devenu ami. J'ai assisté à quelques leçons. Lorsque j'enseignais, je faisais partie du 'Staff Personnel de Maharaji'. Nous étions assis aux meilleure places de la salle, devant les initiateurs (précédemment 'mahatmas', et plus tard 'instructeurs'). Nous étions bien sûr tous égaux aux yeux du Seigneur, ça n'avait donc pas vraiment d'importance.

Si le programme durait toute la journée, il y avait une zone privée pour les 'initiateurs'. Le Staff de la Résidence avait aussi le droit d'y aller. Il y avait en général des tonnes de bons snacks et de bons plats végétariens, des jus de fruits, de l'eau minérale, et quelques premies pour faire le service. Les premies bien sûr servaient leur Seigneur, pas les initiateurs.

Les enfants passant davantage de temps à Miami, ils passaient moins de temps à Reigate, et il valait mieux qu'ils aient un professeur américain. Deux ans après mes débuts de professeur, s'ils venaient passer une semaine à Reigate, il me fallait aussi une semaine pour savoir quels avaient été leurs progrès depuis la dernière fois que je les avais vus, et ils étaient déjà repartis. Bien que j'avais cessé d'enseigner à Reigate, j'étais souvent invité à la résidence lorsque la famille était là. C'était pareil si j'étais en Amérique.

Le dernier programme américain auquel j'ai assisté, c'est celui de Long Beach en décembre 1996. Le lendemain du programme, j'ai été invité à l'anniversaire de Maharaji à Malibu. Au début de cette année (1998), Daya m'a invité à sa fête d'anniversaire à Reigate. Bien que j'ai moins vu les enfants ces dernières années, j'ai de bons souvenirs du temps passé avec eux, et j'ai de bonnes relations avec eux lorsque je les rencontre.

Ils ont grandi dans un environnement très inhabituel. Beaucoup de premies réagissent à eux de la même manière que certaines personnes réagissent lorsqu'elle rencontrent une vedette de cinéma dans la rue. Les enfants ont eu des premies se comportant étrangement autour d'eux toute leur vie, et il semblent qu'ils aient remarquablement bien survécu à ces circonstances.

Ma carrière de professeur divin terminée, la vie a continué dans la communauté. Les années 80 ont été des années où il y a eu encore plus de changements. La Divine Light Mission est devenue Elan Vital. Les ashrams ont fermé. On a dit aux gens - qui avaient renoncé à leur possessions pour vivre une vie de pauvreté, chasteté, obéissance, végétarisme, méditation, satsang, et service, et couverts du cou aux chevilles (si je me souviens bien de ce qui figurait dans le manuel d'Ashram) - de foutre le camp et de s'occuper d'eux-mêmes. Beaucoup d'entre eux ont considéré ceci comme un 'test temporaire', et ils ont continué à mener une vie d'ashram pendant un certain temps ; ils n'ont découvert leurs genoux que quelques années plus tard.

La couronne de Krishna a été rangée. On a cessé de chanter Arti. Maharaj Ji est devenu Maharaji. Le 'Satsang' avait lieu tous les soirs chez des premies. On a continué à aller aux festivals et à faire du service.

J'étais convaincu que ça s'améliorait. Il y avait une nouvelle atmosphère, et la foi est une force puissante. Nous admettions que ça avait été la folie. Mais Maharaji mûrissait, et il arrangeait la situation. L'hindouisme et l'adoration publique du Gourou faisaient partie du passé. Les gens allaient enfin se précipiter en masse pour recevoir la 'connaissance'.

A la fin des années 80, lors d'un meeting à Birmingham, Maharaji nous a dit qu'il ne voulait plus que les premies parlent aux gens de la connaissance. Il fallait amener les gens aux vidéos, ou, mieux, qu'ils Le voient personnellement, afin qu'ils reçoivent les bonnes explications directement de lui-même, sans intermédiaires.

Les premies ne devaient plus pratiquer la première technique de méditation toute la journée, mais seulement assis, lors de la méditation formelle. J'ai été surpris. Depuis que j'avais reçu la connaissance, on m'avait constamment martelé, 'Médites constamment, et souviens toi du Verbe'. C'était même un des cinq commandements de Maharaji, datant des années 70. La pensée et le mental étaient ce qui t'éloignait de la Vérité. La première technique de méditation stoppait les pensées, source de nos problèmes. Si nous ne méditions plus pendant la journée, et que nous n'étions pas non plus supposés penser, qu'allions-nous donc faire de notre sacré mental ? Dormir ? Chanter ? Siffler au vent ?

Mon esprit s'est retrouvé trébuchant, à la lumière du jour, somnolant, enfariné et curieux. J'ai continué à assister aux réunions, et j'ai commencé à remettre en question le 'dogme du premie'. Si nous voulions vraiment faire passer le message de Maharaji, il fallait cesser d'avoir l'air d'une secte et d'agir comme tel.

Puis les années 90 sont arrivées. Maharaji a demandé aux instructeurs de montrer la 'Connaissance' aux gens, il s'est mis à le faire lui-même, lors de grandes réunions, avec des instructeurs comme assistants. J'étais invité à moins de meetings. Etant un écrivain professionnel, j'étais sollicité pour contribuer à de plus en plus de magazines et de publications. Mes textes étaient rejetés. Personne n'ose jamais publier quoi que ce soit sans l'autorisation personnelle de Maharaji. Chaque nouveau numéro d'un journal ou d'un magazine était préparé pour lui, et il lui était montré en vue de commentaires et d'approbation. Mes articles étaient généralement éliminés au dernier contrôle. Je connaissais le genre de qualificatifs tels 'étonnant, incroyable, merveilleux, maintenant ça marche vraiment' qu'il fallait mettre, mais je ne pouvais plus écrire ce genre de choses.

J'ai cessé d'aller aux vidéos, et je méditais moins. (Premies, attention à cette histoire, voyez comment tombent les 'puissants', lorsqu'ils négligent leur 'expérience intérieure' et qu'ils sont à nouveau attirés par le 'mental'.) J'ai cessé d'accepter le dogme et la religion. Mais j'avais toujours la connaissance et mon Maître, que m'aurait-il fallu de plus ?

J'avais remarqué une tendance constante et incessante aux sollicitations financières. Maharaji voulait un jet privé. Puis il en voulait un meilleur. Puis encore un plus gros. La famille avait déménagé à Malibu, et une nouvelle demeure était construite. Il y avait un besoin insatiable de fonds. J'ai été invité à une 'conférence de soutien financier' pour premies spécialement sélectionnés, dans un hôtel de Slough. Il me semble qu'on nous a demandé de faire des dons pour des remaniements à la maison de Reigate. Maharaji y est venu pour appuyer l'événement.

J'ai continué à aller aux événements où Maharaji se produisait, mais j'avais un sentiment de malaise grandissant. A Brighton, il a présenté un slide-show embarrassant. C'était comme s'il s'était dit que pour faire un bon exposé, il suffit de quelques diapos faites avec Powerpoint, et quelques graphiques. Personne n'y faisait vraiment attention, alors peu importait ce qui était représenté, jusqu'à ce qu'il dise, 'Voici une courbe représentant le nombre de kilos des différents légumes consommés lors du dernier programme à Delhi'.

Je me suis dit, 'Il devrait se contenter de parler de la Connaissance'. Lorsque j'ai dit ce que je pensais, la plupart des premies étaient désolés pour moi. Ils avaient eu une expérience de béatitude en regardant ces diapositives. Pour moi, c'était une souffrance intellectuelle. Je devais être le seul à être à côté.

C'était comme dans l'histoire des Nouveaux Vêtements du Roi. Tout le monde faisait semblant de les voir. En ce qui concerne sa poésie et sa musique, mes conclusions étaient les mêmes, 'N'arrête pas ton travail de parler de la Connaissance, Seigneur'. Mais les années 90 étaient là, et lors des réunions régulières pour premies et pour le public, il n'y avait que Maharaji ou bien ses vidéos.

On avait dit aux premies et aux instructeurs de la fermer. Mais ils avaient le droit de parler lors des meetings privés de 'service' ou de 'soutien financier'. Les instructeurs avaient aussi des réunions privées avec les aspirants, afin de les 'préparer à la connaissance'. Mais les événements pour le public et les premies étaient devenus 'strictement vidéos'.

J'ai continué à aller voir Maharaji lorsqu'il était là, mais j'allais de moins en moins aux vidéos. Après un break de deux mois environ en 1997, j'ai été à un 'événement vidéo' local un samedi après-midi. Le lendemain, j'ai reçu un coup de téléphone,

'Bonjour, ici c'est X, ton contact de la communauté locale. Je t'ai vu hier soir à l'événement vidéo. C'était super de te voir de nouveau. Je me demandais si tu serais intéressé pour faire du service ?'

'De quoi s'agit-il ?'

'En ce moment, Maharaji a ce projet, et la meilleure manière de l'aider serait le soutien financier'.
'Donc, tu veux de l'argent ?'


'Euh, bien, …'

Bien que la façade publique de l'organisation ait changé, plus de files de darshan, ni de couronnes de Krishna, etc, à l'intérieur, il se passe toujours la même chose. Les premies en situation d'autorité, les instructeurs, les coordinateurs, le staff de la résidence, traitent tous Maharaji comme leur Seigneur et maître. Ce qu'il est pour eux. C'est aussi ce que croient la plupart des premies. Ils ont la possibilité de l'exprimer lors des 'événements réservés aux premies', ils peuvent danser de béatitude lorsqu'il est sur scène, ou le contempler béatement lorsqu'il leur montre des courbes de consommation de lentilles.

Il y a deux ans, mon fils cadet alors âgé de 18 ans - un garçon brillant à l'esprit ouvert, était à Brighton pour assister à une fête. Il savait que Maharaji allait venir à un programme pour premies. Il était vaguement intéressé par la Connaissance, et il avait assisté à un petit 'événement pour aspirants' avec Maharaji l'année précédente. Il avait décidé d'amener trois de ses amis à l'événement pour premies. Il leur avait dit, 'Lorsque vous entrerez, si on vous demande si vous avez la 'connaissance', dites 'oui'.

Ils avaient horreur des vidéos, et ils étaient horrifiés par l'adoration pour Maharaji. Lorsque je lui ai demandé ce qu'ils pensaient de tout ça, il m'a dit doucement et gentiment, afin que je ne le prenne pas mal, 'Tu as déjà vu ces vieux films en noir et blanc sur Hitler … et tous ces gens devant lui. Ca me fait penser à ça'.

Je suppose que son esprit n'était pas prêt à une vibration aussi haute. Sans la connaissance, il ne pouvait pas supporter ça. Son ego réagissait et se rebellait en arrivant à proximité du créateur. Comme il n'avait que 18 ans, et qu'il ne connaissait pas grand chose du vingtième siècle, sa comparaison avec les nazis ne voulait rien dire.

Pendant les trois ou quatre années passées, j'étais allé aux événements avec des œillères, ne voulant seulement écouter que ce que Maharaji disait. Je n'aimais pas les vidéos, je n'aimais pas la musique d'ascenseurs, je n'aimais pas les resucées des chansons des années 70, avec toutes leurs allusions aux 'pieds de lotus' transformés en 'personne étincelante'.

Je n'aimais pas les vidéos et les slide-shows, 'Ah non, pas encore ces diapos de torrents entrecoupées de citations de Maharaji, suivies de fleurs qui s'agitent dans la brise, et encore des citations, puis des vagues, ou un coucher de soleil. Assez.'

J'avais horreur des applaudisseurs frénétiques, ceux qui éclataient en applaudissements enthousiastes à chaque fois que Maharaji faisait une allusion pouvant se rapporter à sa divinité. Je ne venais pas pour tout ce cirque. Je voulais très simplement être avec mon Maître et entendre ce qu'il avait à dire. J'ignorais donc tout ça.

Lorsque j'avais 15 ans, je me souviens d'une leçon de chimie sur la coagulation. Dans un Becher de liquide transparent contenant par exemple un solide dissout, comme un sel de calcium, on faisait tomber goutte à goutte un autre liquide transparent, un acide par exemple. Pendant un moment rien ne semblait se passer. Puis tout à coup, un 'drip' de plus, et le contenu devenait blanc. Le calcaire avait fini par apparaître. Il avait coagulé.

Lors du programme de Wembley, au début de cette année (1998), j'ai coagulé. Il a fallu trois gouttes de plus.

Le soir du premier jour du programme, j'étais sorti dîner avec un couple de premies d'Amérique qui avaient fait le voyage. Pendant le repas, nous avons été rejoints par d'autres premies que je ne connaissais pas. Il étaient tous des habitués de la résidence. La conversation était agréable. Il s'agissait de personnes brillantes et intelligentes.

Puis l'un d'eux s'est mis à parler du 'Logo'. Maharaji venait juste de terminer la maquette d'un nouveau logo. C'était devenu un objet de grand intérêt à Malibu. Il me semble que Maharaji l'avait mentionné ce soir là dans son discours.

'As-tu déjà vu le Logo ?'

'Non, pas encore, et toi ?'

'Je l'ai vu. Il est vraiment incroyable. Je l'ai vu ce soir pour la première fois. C'est étonnant'.

Je me suis dit, 'Est-ce qu'ils parlent de ce cygne de bande dessinée que j'avais vu un peu plus tôt ?'

'Ah zut. Je l'ai raté. Il était dans le backstage. Je ne l'ai toujours pas vu.'

'Je l'ai vu. Ils est vraiment très beau !'

Et ils ont continué à parler du 'Logo', comme s'il s'agissait du nouveau médicament contre le cancer. Pourquoi ces gens intelligents avaient-ils soudain l'air de parfaits idiots ? Je me suis senti mal à l'aise.

Drip.

Le samedi après-midi, après la fin du discours de Maharaji, j'ai quitté la salle, n'ayant aucune envie de voir encore une vidéo mielleuse. J'ai traversé un grand espace désert, j'ai atteint la porte, et j'ai regardé par la fenêtre.

Il pleuvait incroyablement fort, à seaux. Si vous sortiez, vous étiez trempés en quelques secondes. A quelques mètres, regardant par une autre fenêtre, il y avait une jeune maman avec un enfant dans un landau. Il ne devait pas avoir plus de trois mois. Nous occupions à nous trois un coin du foyer du Wembley Arena d'environ 500 mètres carré. Toutes les autres personnes étaient à l'intérieur de l'Arena, devant une vidéo.

Nous avons été remarqués par un premie de 'l'accueil' qui faisait son service. Il est allé voir la jeune maman pour lui dire,

'Désolé, les enfants ne sont pas autorisés dans la salle.'

'Mais il pleut dehors'.

'Oui, je sais, il faut sortir le bébé dehors'.

Il n'y avait ni auvent, ni aucun abri là dehors, et il tombait un déluge. J'ai été les voir.

'Pourquoi tu fais ça ?'

Ma bouche s'est ouverte, et du plus profond de moi s'est déversé un torrent d'insultes, parsemées des pires jurons (du quartier de mon enfance).

'T'es pas *** malade *** ***. Tu ne vois pas qu'elle a un tout petit bébé, et qu'il pleut comme ***, espèce de *** *** *** ***. Quel est le ** *** *** d'abruti qui enverrait un bébé dehors sous un tel déluge, espèce de *** *** *** ***.'

Quel saint ! Il est resté là, scotché à son saint nom, à gérer ce 'bongo' qui l'empêchait de servir son Maître. Il a ouvert la bouche, et du plus profond de son âme de premie sont venus ces mots,

'Ce sont les ordres pour le programme. Aucun enfant ne peut entrer.'

J'avais deux options. Lui mettre mon poing dans la figure, faire flipper tout le monde, et me faire traîner hors de la salle en hurlant. 'Tiens voilà encore un bongo. Hé, n'est-ce pas celui qui était le professeur des enfants de Maharaji ?' 'Eh bien, on dirait qu'il a grossi, il a fallu six types de la sécurité pour le sortir.'

L'autre option, c'était de faire demi-tour, et m'en aller. Ce que je fis.

Drip.

Le programme se terminait le dimanche vers l'heure du déjeuner. L'orchestre jouait du rock. Maharaji était assis sur la scène. Le moment de partir était presque arrivé. La plupart des premies étaient debout, dansant, sans quitter des yeux la personne assise sur scène. J'étais assis vers le fond de la salle, sur le côté.

Un vieil ami est alors apparu. Il venait d'arriver, et il avait manqué le discours de Maharaji. Il s'est assis à côté de moi, sur les gradins, et il m'a raconté le cauchemar qu'il avait enduré pour pouvoir entrer dans la salle. Une sœur, dansant béatement sur la musique trois rangs devant nous, s'est alors tournée. Mon ami et moi, nous étions assis au milieu d'une mer de disciples en train de danser, avons arrêté son regard. Elle a escaladé les rangs vides qui nous séparaient, elle s'est penchée vers nous pour que je puisse l'entendre malgré la musique, et elle a dit,

'Ca vous ennuierait d'arrêter de parler tous les deux ? Vous me déconcentrez.'

Nous avons échangé quelques railleries légères, qui se sont terminées par, 'Mon frère, tu as un sérieux problème.' 'C'est plutôt toi. Vas te faire foutre.'

Drip.

Lorsque j'ai parlé de ces incidents à des premies, ils ont tous eu la même réaction. 'Ce sont les premies qui sont stupides. Ca n'a rien à voir avec Maharaji et la Connaissance'. Mais je me doutais de quelque chose. J'avais le sentiment qu'il y a une manière très simple d'expliquer tout ça.

Je me suis posé quelques questions.

  • Si Maharaji est le 'Maître Parfait', qu'il enseigne la 'Connaissance du véritable soi' - peu importe comment on appelle ça, comment se fait-il que les gens qui pratiquent son enseignement se comportent comme des gardiens de camps de concentration ?
  • Comment se fait-il que des personnes intelligentes se mettent à parler comme des idiots ?
  • Comment se fait-il que la plupart des personnes qui viennent pour la première fois repartent en courant ?
  • Comment se fait-il que la plupart des personnes qui reçoivent la connaissance finissent par la laisser tomber ?
  • Comment se fait-il que les premies soient toujours sollicités pour donner de l'argent ?
  • Comment se fait-il que les membres de sectes parlent comme les premies, qu'ils font exactement le même genre de choses que les premies, et que les premies ne sont pas dans une secte ?

La situation commençait à s'éclaircir. Mes épaules se soulageaient d'un poids. Il était temps de rejoindre l'espèce humaine.

Quel est mon sentiment actuel par rapport à tout ceci ? Maharaji, sa famille, et toutes ces années 'gâchées' ?

Je n'ai aucun regrets. Je voulais un gourou, j'en ai eu un. Je voulais vivre dans un monastère, je l'ai fait. Bon d'accord, j'ai fini par dormir sous une table dans un jardin de West Norwood. J'aurais préféré un palace du XIIème siècle dans l'Himalaya, mais bon dieu, nous sommes au 20ème Siècle. Les temps ont changé. En tout cas, on avait le chauffage central. J'ai aimé la période de l'Unity School. Travailler avec des jeunes gens dédiés et idéalistes à Londres, puis en Cornouailles, a été une expérience riche et satisfaisante. Il vaut mieux essayer, et échouer, que de rester à en parler sans rien faire. J'ai aussi aimé cette période où j'ai enseigné aux enfants de Maharaji et Marylin. J'ai toujours aimé Marilyn et ses enfants, et mes sentiments n'ont pas changé.

Parmi les meilleures personne que j'ai rencontrées, beaucoup sont des premies. Beaucoup le sont encore.

Ma carrière ruinée ? J'aurais pu me soumettre, avoir de la promotion, devenir maître principal, jouer le week-end dans un orchestre de blues, et me faire bouffer par le système. Au lieu de cela, je suis entré dans une secte, et j'ai parcouru le monde. Je n'ai pas de regrets.

Maharaji ? C'était un mystère lorsque j'étais premie, et il est toujours un mystère pour moi maintenant. C'était un mystère divin, maintenant c'est un mystère humain. Est-il un simple escroc qui amasse le fric ? Je ne le crois pas.

Maharaji n'est pas né dans une famille 'normale'. Son papa, Shri Maharaj Ji, n'était pas un papa normal. Il était 'Maître Parfait', et tout le monde l'adorait.

Il y a un livre, 'Satgurudev Shri Hans Ji Maharaj', publié par la Divine Light Mission en 1970, où il est écrit,

'Shri Hans Ji Maharaj était un phare montrant la voie de la lumière à des lakhs (centaines de milliers) de personnes en Inde, et il était adoré par eux comme leur Satgourou.'

Et plus loin,

'Dans les annales de l'humanité, un grand Maître Spirituel est toujours apparu à chaque circonstance critique, pour sauver l'humanité de la crise imminente. Shri Hans Ji Maharaj, le fondateur de la Divine Light Mission, fut un tel Maître Divin'.

Comme nous tous, Maharaji est le produit de son environnement. Maharaji avait six ans lorsque son père est décédé. Ce fut sans doute un moment terrible pour tous ses enfants. Et qui sait ce qu'il s'est passé dans les quelques jours qui ont passé entre la mort de Shri Maharaj Ji, et le moment où le petit Sant Ji de six ans fut mis sur scène, couronné Maître Parfait, et où on lui a dit qu'il devait continuer la mission de son père ?

Les gens n'ont cessé de l'aduler depuis ce moment. Qui sait quels en sont les effets sur la personnalité ? Si, depuis que vous avez six ans, on vous adule et on vous donne tout ce que vous demandez, est-il surprenant que trente ans plus tard vous vouliez des jets privés et des maisons de la taille d'un hôtel ? Si le Seigneur veut quelque chose, on le lui obtient.

Maharaji n'avait pas la moindre chance.

Jour après jour, année après année, les premies lui disent, 'Merci Seigneur pour cette chance incroyable. Elle est tout. Sans cela, j'étais perdu … etc.' Comment aurait-il pu douter de leurs réponses sincères ? Il n'a jamais rien entendu d'autre.

Il est né dans ce jeu du 'Seigneur sous forme humaine', il n'a jamais eu la possibilité d'en sortir. Ca fait penser à cette scène de 'La Vie de Brian' des Monty Python, où Brian est chassé dans une fosse par ses disciples.

'Mais je vous dis que je ne suis pas le Seigneur'.

'Voyez, c'est un signe, le Seigneur nie toujours sa divinité. Louons le Seigneur'.

Maharaji est tout aussi victime de la secte que les autres.

Ma conclusion ?

Il est vraiment le Seigneur sur Terre dans un corps humain. Comme nous tous.


Mr Gentil N'est Plus Là

Lorsque j'ai publié le récit qui précède sur Internet, je pensais avoir quitté la secte. Mais il se trouve que deux ans et demi plus tard, ce que j'en pense et ma compréhension évoluent toujours. J'ai découvert beaucoup de choses sur Mr Rawat et ses supercheries, maintenant qu'il n'occupe plus la scène dans son rôle de Maître Parfait. J'ai découvert de quelle manière la secte et son leader ont protégé et apporté leur soutien à un pédophile, Mahatma Jagdeo, pendant des années. J'ai directement expérimenté les tactiques utilisées par la secte pour empêcher la divulgation des informations sur l'affaire Jagdeo. J'ai aussi eu quelques discussions sur le forum qui ont remué quelques squelettes de mes placards.

Le premier 'Parcours' a été facile à rédiger. Il s'agissait d'événements chronologiques. Dans cette deuxième partie de mon histoire, j'ai individualisé certains sujets afin qu'ils soient plus faciles à raconter.

Voilà donc pourquoi je ne suis plus un ex-premie tolérant et plein d'amour, je suis devenu un activiste anti-secte furieux et enflammé.

Durant l'été 1998, j'étais assis à mon bureau dans un bâtiment sans âme de West London, hypnotisé par l'écran. Mon cœur battait très vite. Mes doigts tremblaient légèrement. J'avais découvert Ex-Premie.org. Cette découverte a eu des effets radicaux. Après deux semaines de lecture du site, j'étais prêt à quitter la secte. L'information se déversait dans ma tête, comme la tempête sur le désert desséché.

J'avais lu tous les 'Parcours' d'EPO (Ex-Premie.Org), et décidé de rédiger le mien. Ca débordait. Tous les soirs, après le travail, mon seul désir était de me mettre sur l'ordinateur, et utiliser le clavier. J'ai fini d'écrire une semaine plus tard, et j'ai envoyé mon histoire à Brian (qui gérait alors le site EPO, ndt). Il a rectifié mes erreurs de mise en page, converti les £ en $, et l'a mise sur EPO. Après 25 années dans la secte, ma vie d'ex-premie avait commencé.

La publication de mon histoire a eu des conséquence que je n'aurais jamais imaginées. J'ai reçu des emails du monde entier, me disant des choses du genre, 'Un ami de travail m'a amené à une vidéo, et j'ai commencé à me demander de quoi il s'agissait. J'ai lu votre histoire, et elle a répondu à toutes mes questions. Merci beaucoup. Vous m'avez sans doute évité d'entrer dans une secte religieuse'.

Amis, Relations, et Lettons

Un des effets les plus décevant, lorsqu'on quitte une secte, c'est de se rendre compte que vos vieux amis rompent tout contact - ou qu'ils sont tout à coup 'dans l'impossibilité de venir vous voir' ; je suppose que ça risquerait de mettre en péril leur carrière dans la secte. (Ou peut-être parce que j'émets désormais une vibration tellement basse, qu'ils ont peur que j'aspire leur âme dans les profondeurs des ténèbres et de la souffrance dans lesquelles je me vautre maintenant). Je vis dans l'espoir qu'un jour ils viendront nous rejoindre dans ce monde imparfait, plein de gens imparfaits.

Il semble donc que j'ai perdu quelques amis, mais je m'en suis fait de nouveaux. Une des conséquences les plus agréables de la communication avec les gens du forum Ex-Premie, c'est que je les ai rencontrés en personne. Je me suis fait de bons amis, et j'ai passé d'excellents moments avec beaucoup d'entre eux.

La première fois que j'en ai rencontré, c'était au Latvian Club de Londres, dont John (JHB) a été le manager à une époque. J'y ai rencontré Charlie, Hamzen, Jethro et John. Nous avons appris à jouer aux pronostics lettons, et vers minuit, la barmaid est partie en nous laissant les clefs. Notre principale occupation de la soirée a été de goûter les bières lettonnes. J'ai reçu un T-shirt de la secte comme cadeau, et John m'a fièrement montré les deux documents officiels attestant le lien entre la Divine Light Mission et Elan Vital. Les nuits lettonnes sont devenues une activité irrégulière du club, jusqu'à se fermeture au début de cette année.

Le Latvian Club était un centre de coïncidences bizarres. Une fois, à 3 heures du matin, on a frappé à la porte, et un avocat américain est entré. C'était un ami de Marianne (présente ce jour là), qui est aussi avocate aux USA. Il y a environ un an, j'avais une amie qui avait été emprisonnée en Birmanie pour avoir participé à une manifestation pour la démocratie. On parlait d'elle aux informations nationales de Grande-Bretagne. Nous avons eu une soirée lettonne à cette époque, et devinez qui est arrivé au club, le Prince Héritier de Birmanie. John m'a demandé ce que je demanderais au Prince pour mon amie, si j'en avais la possibilité. Puis il a été parler au Prince, et lui a transmis mon message. (J'ignorais encore qui il était à ce moment là.) Une semaine plus tard, après le retour en Grande-Bretagne de mon amie, le prince a dit à John qu'il l'avait fait sortir de prison.

Au mois de février, nous avons fait une autre soirée lettonne à Londres. Il y avait à peu près 25 personnes ce jour là. Dans quelques années, nous remplirons le Conference Centre de Wembley. Il y aura deux hôtesses d'accueil par personne, non payées, nous vendrons des cartes à puce, et nous jetterons les nouveaux nés sous la pluie.

Mahatma Jagdeo

Lorsque Dot et moi étions à l'Unity School, en Cornouailles, au début des années 70, nous étions devenus les amis d'une famille qui était venue d'Espagne pour s'installer en Grande-Bretagne, afin de participer au projet scolaire. Après l'éclatement du projet à l'été 1975, cette famille est restée dans la région. Dot et moi sommes retournés à Londres, où nous avons eu deux enfants.

Bien des années plus tard, j'ai rencontré le père de cette famille à Londres. Il m'a appris que Jagdeo s'était livré à des violences sexuelles sur l'aînée de ses filles. Elle avait 8 ans à cette époque. Lorsque j'ai lu le récit de ce qui lui est arrivé, des années plus tard, j'ai pleuré.

Lorsque son père m'a raconté ça, ma réaction avait été différente. C'était comme si on me racontait une histoire déplaisante et totalement inutile. J'étais fâché. L'incident s'était produit près de vingt ans auparavant, que pouvais-je faire ? Son père avait rapporté les faits à Mahatma Gurucharanand, et rien n'avait été fait. C'était comme si je marchais sur un vieux chewing-gum sec. Le voilà collé à ma semelle. Je pouvais l'ignorer presque tout le temps, mais il ne s'en allait pas. Il n'y avait jamais eu un moment qui convenait pour en parler. Il n'y avait jamais eu personne à qui le dire. C'était arrivé il y a 20 ans. La crotte sous le canapé s'était recouverte d'une épaisse couche de poussière. Pourquoi la déranger maintenant ? Faisons comme si elle n'était pas là, en espérant que personne n'aille voir de trop près.

Mais quand je passais mes soirées sur mon clavier, à écrire mon histoire de secte comme un zombie, j'ai trouvé l'occasion d'utiliser cette information. Je l'ai incluse dans mon histoire. Je me suis senti un peu soulagé. J'avais décollé le chewing-gum de ma semelle. Je n'en avais même pas fait une phrase. Et j'étais très loin d'en réaliser les répercussions à venir.

La petite fille de huit ans était devenue maître-assistant dans une université d'Australie, et elle avait donné son adresse email à un des sites d'ex-premies. Je lui ai envoyé une copie de mon histoire, et nous avons commencé à correspondre.

Et elle brûlait toujours pour que justice soit faite. Elle avait porté sa colère et sa douleur depuis l'âge de huit ans, et personne n'avait jamais reconnu que quelque chose n'allait pas. Son message était cohérent, 'Tout le monde se fiche de Jagdeo, personne ne veut rien faire'.

Je décidais de lui apporter mon soutien total. Ca avait pris une fraction de seconde.

La mention de la pédophilie de Jagdeo a déclenché d'autres réponses. J'ai reçu une lettre de mon ami Glen Whittaker, qui avait passé l'essentiel de sa vie d'adulte à diriger la secte en Grande-Bretagne. Il s'agissait d'une lettre personnelle. Il me disait qu'il connaissait bien Mahatma Jagdeo, que Jagdeo était un des plus anciens Mahatmas de la secte, et qu'il avait connu Maharaji lorsqu'il était encore petit. Selon lui, il était impossible qu'il ait pu faire une chose pareille. Les enfants l'aimaient. Peut-être que lorsqu'il avait raconté une histoire à un groupe d'enfants, l'un deux s'était assis sur ses genoux, peut-être que la main de Mahatma Ji s'était posée un instant sur ses genoux, et que l'enfant avait mal interprété ce geste.

Un autre ami qui faisait partie des hautes sphères de la secte est venu me voir quelques jours plus tard, et nous sommes sortis pour boire un verre. Il m'a affronté à propos de ces allégations concernant Jagdeo, et il m'a demandé comment je pouvais porter de telles accusations sans preuves. Je me souviens de ce dimanche après-midi ensoleillé où nous étions assis au bord de la Tamise ; j'étais irrité par son insistance sur le fait que Jagdeo n'aurait pas pu faire ce genre de choses. J'ai fini par me fâcher, et lui crier, 'Ce type est un salopard de pédophile, ne le laisse pas approcher de ta fille de six ans'.

Puis j'ai reçu un email d'une autre victime de Jagdeo. Il l'avait violentée aux USA. Une amie à elle avait aussi été violentée. Elle avait rapporté les faits à deux instructeurs, en leur demandant de les rapporter à Maharaji. L'un des instructeurs lui a dit plus tard que Maharaji avait déjà été averti. Mais rien n'avait été fait. Jagdeo continuait ses tournées, traité comme un VIP par les membres de la secte. Comme les autres victimes, elle était extrêmement fâchée, et elle voulait toujours faire quelque chose à ce propos.

L'élan pour faire justice aux victimes de Jagdeo augmentait.

J'ai alors reçu une lettre de Glen, sur papier à en-tête de la secte. Il me disait que si j'insinuais que la secte ou son leader avaient été d'une manière quelconque conscients d'un crime qui aurait été commis par Jagdeo, et qu'ils l'auraient tu, ils iraient voir leurs avocats. J'ai publié cette lettre sur le Forum, ainsi que ma suggestion que - oui, la secte et son leader avaient bien pu être tout à fait conscients du fait que Jagdeo abusait de sa situation pour violer des enfants. Je n'ai jamais entendu parler de leurs avocats.

Lorsque je me suis rendu en Cornouailles la fois suivante, je me suis rendu à la Police Station de Torpoint, et j'ai demandé au Sergent si la Police était intéressé par une enquête sur un crime qui s'était produit dans leur juridiction vingt ans plus tôt.

Il m'a demandé, 'De quel crime s'agit-il ?'

J'ai répondu, 'Un viol d'enfant'.

'Allez vous asseoir dans cette pièce, je vais chercher l'inspecteur'.

Pendant l'été 1999, le Sunday Express, un journal de Grande-Bretagne lu par quelques millions de personnes, s'est saisi de l'affaire Jagdeo. Je pensais qu'ils voulaient faire un article du style 'Un pédophile découvert dans une secte grâce à Internet'. Le journal m'a demandé ma coopération. J'étais d'accord. Puis ils m'ont demandé de contacter les autres victimes, pour voir si elles acceptaient d'être interviewées. Elles étaient plus que d'accord.

Le journal a contacté la secte, et ils ont paniqué. Ils ont envoyé une lettre à l'Express, disant qu'ils les attaqueraient en justice s'il suggéraient que Elan Vital était lié à la Divine Light Mission. Aucun crime commis par un responsable de la DLM ne pouvait avoir de rapport avec Elan Vital.

Cette lettre a précipité un autre de mes moments magiques sur Internet. Il était cinq heures, et c'était un après-midi poisseux du mois d'août. J'étais dans une cabane des colline de Cornouailles, à des kilomètres de la civilisation. Le téléphone a sonné. C'était le reporter de l'Express. La secte tentait d'empêcher son journal de publier l'histoire. Ils les menaçaient d'une action juridique s'il y avait la moindre suggestion d'un lien entre la DLM et Elan Vital. J'ai publié cette nouvelle sur le Forum.

Cinq minutes plus tard, John (JHB) a écrit un message, de Londres, où il disait qu'il était en possession d'une lettre de la Divine Light Mission, où il lui était demandé de changer le numéro du compte où il effectuait ses dons réguliers. Et il avait une autre lettre prouvant que ce nouveau numéro de compte était un compte d'Elan Vital.

Dix minutes plus tard, Joe, de San Francisco, a mis un message avec un lien vers les archives juridiques de l'Etat de Californie, montrant que le nom de la Divine Light Mission avait été changé pour celui de Elan Vital. J'ai envoyé l'information à l'Express par email.

L'article fut retardé d'une semaine. La secte se battait pour tout faire arrêter.

Cette semaine là, un des directeurs du journal est apparu dans la salle de rédaction, tout excité de 'tenir Cainer'. Il mentionnait un autre de mes amis, l'astrologue de Grande-Bretagne le plus connu, et le mieux payé aux dernières nouvelles : Jonathon Cainer. Jonathon et moi avions travaillé ensemble dans l'équipe éditoriale de "Connect", un magazine de la secte. Il faisait aussi partie de l'équipe qui a mis en place un des premiers sites Internet de la secte, Enjoyinglife.org.

En Angleterre, il y a le Sunday Express, le Sunday Mail, le Daily Express et le Daily Mail. Ces journaux sont tous rivaux. Ils s'adressent tous à la même population, la middle class conservatrice. Le Mail avait appâté les lecteurs de l'Express depuis des mois. Le propriétaire du journal avait embauché un éditeur à la mode, Rosie Boycott, qui était devenue célèbre en entreprenant la campagne " Légalisation du Cannabis " pour l'Independent. On disait autour de la 'mare à Barnes' (l'éditeur du Daily, ndt) qu'elle avait été appâtée par un salaire plus gras que la panse de Jabba the Hut, et du bon foin, pour passer de la grande feuille de chou libérale au tabloïd conservateur minable. La rumeur disait que Jonathon allait amener avec lui, de leur rival, une centaine de milliers de fans d'astrologie bons et loyaux. Il avait bien sûr senti le vent tourner.

Il y avait bien sûr l'affaire du lien entre Jonathon et la secte qui était soulevée par les allégations de pédophilie, et le fait que le journal allait - pure coïncidence - publier un article sur la secte en question. Jonathon décida alors de démissionner de ses responsabilités dans la secte, de sa qualité de membre, et finit par travailler pour l'Express qui laissa tomber l'histoire Jagdeo. Il ne pouvait bien sûr pas rester associé à une organisation qui était la cible d'aussi sérieuses allégations.

Lorsque j'ai demandé au reporter pourquoi l'article avait avorté, il m'a dit, "Pour des raisons commerciales".

Je lui ai alors demandé si ces 'raisons commerciales' étaient les lecteurs que Jonathon Cainer devait apporter de l'Express. Il ne s'est pas permis de faire des commentaires.

La campagne Jagdeo a pris de l'élan. La secte a cessé de nier sa pédophilie. Ils ont supprimé de leur site leur réponse initiale. Ils ont récemment mené une enquête sur ses activités, mas ils refusent d'en publier les résultats, ils ne reconnaissent même pas l'existence de cette enquête.

Au début de cette année, j'ai été contacté par une personne que je connais depuis des années, et qui a occupé beaucoup de postes officiels dans la secte. J'ai appris que les abus sexuels commis par Jagdeo sur des enfants avaient été discutés par de petits groupes de personnes, lors des conférences de la secte, pendant des années. La seule solution finalement trouvée avait été de l'envoyer en tournée dans les communautés indiennes d'Extrême Orient.

Une personne qui avait participé à l'Unity School de Denver m'a également contactée. Elle m'a dit qu'elle avait lu les documents concernant l'affaire Jagdeo, et que ça lui avait rappelé qu'il y faisait des réunions, avec certains des élèves, dans des pièces où on faisait l'obscurité. Cette histoire la soucie maintenant beaucoup, et elle a décidé de faire une enquête.

Plus récemment, quelqu'un m'a raconté qu'il avait assisté à une scène très perturbante dans un ashram en Inde ; il avait vu une petite fille pleurer, suppliant qu'on ne la force pas à nouveau à entrer dans la chambre de Jagdeo.

L'affaire Jagdeo, plus que toute autre chose, a durci mon attitude vis-à-vis de la secte et de son leader.

Le Capitaine Rawat

C'est au moment où vous avez enfin compris le Maître de votre ère, qu'il vous surprend par une autre facette de son être divin.

J'ai vu Maharaji sur scène, porter sa couronne de Krishna en papier mâché, emblasonnée de joyaux de verre. Je l'ai entendu réciter ses poésies si médiocres que c'en était embarrassant, à un auditoire qui aurait pleuré d'extase s'il avait lu l'étiquette d'une boîte d'onguent pour le poil. Je l'ai vu devant un graphique, pointer vers une colonne et dire, 'Ils ont mangé tant de dahl que j'ai dû raccourcir cette colonne afin qu'elle ne dépasse pas le haut de la diapositive. Clic. Et voilà un camembert du musicien favori de tous. La grande part, c'est Peter Frampton.'

Mais je n'ai jamais vu son incarnation favorite - le 'Capitaine Rawat'.

Il a un costume de pilote, avec des spaghettis dorés sur la casquette. Il pilote son jet privé. Le staff qui voyage avec lui a comme instruction de ne parler de lui qu'en mentionnant le 'Capitaine Rawat'. Sa vie de Seigneur de l'Univers est un grand secret. L'appeler 'Maharaji' ou 'Maître', ou "Balyogeshwar Param Hans Shri Guru Maharaji point com," c'est un crime passible de bannissement du Divin Royaume.

Lorsque Michael Dettmers a commencé à écrire sur le Forum, notre compréhension du Capitaine Rawat s'est remarquablement améliorée.

Le Capitaine n'est pas aussi saint et aussi parfait qu'il tente de le faire croire. Il y a des récits des témoins oculaires de ses excès de boisson, de son comportement d'alcoolique abusif, de violences sexuelles sur ses femmes disciples, de sa fuite des lieux d'un accident de la route où il a tué un cycliste au volant de sa voiture après avoir demandé à un de ses disciples d'en endosser la responsabilité. Tout ceci fait le tableau d'une personne malheureuse, cupide, dérangée et abusive, avec quelques qualités pour le racheter.

Lorsque j'ai quitté la secte, le Capitaine Rawat était encore un mystère. J'avais été conditionné pour l'aduler et l'adorer pendant tant d'années. Il a fallu un certain temps pour que cette image s'estompe, et que je découvre quelle sorte de personne il est vraiment. Il est ironique de constater que je l'ai suivi pendant vingt cinq ans, et que je n'ai découvert qui il était vraiment qu'après être parti. Lorsque vous êtes premie, il ne peut pas faire d'erreur. Toute perception de faute est le reflet de l'imperfection de l'observateur. Dans le monde de la secte, le Capitaine et le Créateur sont identiques.

Divertissements de Forum

Après avoir publié mon 'Parcours', j'ai commencé à participer au Forum sous le pseudonyme de AJW. Il y a des gens intelligents et pleins d'esprit qui y écrivent. C'est distrayant d'observer les premies éludant les questions difficiles, comme les toreros de Pampelune. Le Forum est un bon endroit pour ceux qui ont été désillusionnés par la secte.

A condition de respecter quelques règles évidentes, on peut y exprimer ce qu'on pense, participer aux discussions, publier des informations, et aussi se faire arroser, ce qui fait parfois du bien. Il y a parfois des vendettas internes qui se déclenchent, souvent au pays des cow-boys, de l'autre côté de l'Atlantique, où ils ne peuvent pas discuter sans se tirer dessus. En 1998, lorsque j'ai commencé à m'intéresser au Forum, ces règlements de comptes consommaient beaucoup de temps et d'énergie, et impliquaient souvent le Webmaster du Forum. On était au Far-West du cyberespace (le Forum anglophone est beaucoup plus animé que le Forum français, ndt).

Pendant l'été 1999, lors d'une bagarre nocturne particulièrement méchante, le Webmaster est tombé, victime d'une blessure fatale. Son dernier geste avait été de lancer son étoile de Shérif à Marianne, qui m'envoya, en hâte, un message depuis le Saloon. Elle se retrouvait Webmistress, elle n'en voulait pas. Pourquoi pas moi ? En bon Anglais, je fus instantanément attiré par le titre. Je lui ai demandé si j'aurais un uniforme. Elle m'a répondu, "Tu peux le faire habillé comme la Princesse Anne, et assis dans une cuve de crème anglaise. Voilà les mots de passe. Te voilà maintenant Webmistress du Forum". Je suis parti en courant m'acheter un diadème.

J'ai effectué ce travail pendant un an. Mes réalisations furent petites et rares. Je l'ai fait d'une façon anonyme. J'ai changé l'appellation de Webmaster en Administrateur du Forum. J'ai trouvé des gens pour m'aider. Nous avons mis au point un système d'équipes, pour que le rôle ne soit pas associé tout le temps à la même personne. J'ai été rassuré de constater qu'il y avait pratiquement un consensus sur la manière de gérer le Forum (souvent harcelé et squatté par des 'premies en colère', ndt).

Il y a eu quelques moments difficiles lorsque tous les assistants étaient partis en vacances, pendant l'été 2000. Je m'étais fait un devoir de contrôler le forum au moins une fois par jour. Ca voulait dire qu'il me fallait parfois prendre le métro à Paris pour me rendre dans un cybercafé qui n'était pas plein. Il m'a aussi fallu trébucher, les yeux rouges, en traversant le centre de Eindhoven, pour me rendre du Baakerei au Laser Game Centre, m'inscrire, boire un café noir, et nettoyer le forum de tous les cinglés.

La cyber-bataille contre la secte fut dure, mais j'ai survécu sans mourir d'épuisement.

Perte de Temps

Dans ma vie, j'ai perdu beaucoup de temps à faire quantité de choses stupides. Surtout gagner de l'argent pour subvenir aux besoins de ma famille. Quand j'ai eu du temps et de l'énergie disponibles, j'ai souvent fait des dons à des mouvements, à des causes et à des entreprises que je voulais aider et soutenir. Il m'arrive de participer à des manifestations politiques. Nous faisons des dons réguliers à Greenpeace et à Amnesty International. L'an passé, j'ai aidé à l'organisation d'un concert de rock pour la famine. Mais durant les 25 dernières années, la cause qui a pris l'essentiel de mon temps libre et de mon énergie a été ce que j'ai fait pour le Capitaine Rawat et sa secte.

Au début, après l'avoir quittée, je n'y voyais pas de mal. J'ai eu beaucoup d'expériences positives, et je me suis fait quelques bons amis. Mon sentiment actuel est différent. Je regrette tout le temps, l'argent et l'énergie que j'ai gâchés pour quelqu'un qui s'est révélé être confus, abusif, et vivant dans un luxe scandaleux.

Au départ, il est impossible de concevoir qu'on peut être dans une secte. Bien sûr, les Moonies, les Scientologues, les Enfants de Dieu, les Hare Krishnas sont dans des sectes, mais les Premies, ils ont un vrai Maître, et ils pratiquent la Vraie Connaissance. Les autres n'ont que des croyances. Les Premies ont une expérience directe, ce qui, bien sûr, est au delà de toute croyance.

La Connaissance, c'est l'autre nom de la conscience divine en vous, que vous pouvez expérimenter par la grâce du Capitaine Rawat. Pas de doute. C'est la "Connaissance de l'Ame". Bien sûr, si vous ne faites pas tout à fait l'expérience de la gloire infinie lorsque vous méditez, c'est votre faute. Vous êtes trop impur pour que la Grâce se pose. Mais elle va vous survoler jusqu'à ce que vous soyez clair. Elle ne risque pas de tomber en panne de kérosène. Peut-être est-ce un planeur, c'est pour cela que vous n'entendez pas son moteur. Peut être un jour les nuages vont disparaître, et vous pourrez la voir. En attendant, silence, et continuez à envoyer la monnaie.

"La Méditation, le Yoga, la Réalité, l'Harmonie, la Paix", tout ça c'est très bien, c'est très utile. Comment pourriez-vous être dans une secte ? Vous arrosez votre âme. Vous devenez naturel, cool, un yogi moderne avec un maître moderne. Comment aurait-on pu vous faire subir un lavage de cerveau ? C'était la "compagnie de la vérité", pas un lavage de cerveau.

Mais vous êtes dans une secte, et il y a un placard que vous avez peur d'ouvrir. Il ne contient rien d'autre qu'une perspective différente ; mais en tant qu'adepte de secte, il vous est même interdit de la considérer. Vous n'osez pas le faire, parce que si ça colle, vous risquez de ne plus pouvoir vous en défaire. Parce que la vérité est très simple, "La qualité de vie hors d'une secte est meilleure que dans une secte". Et une fois que vous l'avez réalisé, vous partez.

Il y a un moment où, comme une graine qui germe à la recherche de la lumière, vous découvrez des informations sur la secte et ses activités provenant de l'extérieur de celle-ci. Normalement, vous écarteriez ce genre de chose sans arrière pensée, mais il se trouve que ces informations proviennent de personnes qui ont passé beaucoup de temps dans l'entourage du Capitaine. Il se trouve que vous les connaissez, et que vous leur faites confiance. Vous buvez tout ça. La maison tremble, et les placards s'ouvrent. Au départ, vous êtes en ébullition, le centre de votre vie commence à changer. C'est le moment où vous vous échappez de la prison. Mais il faut du temps pour reprendre le contrôle de la situation. On ne peut pas mettre à la poubelle 25 ans de croyances stupides comme on le ferait pour un vieux costume, et le remplacer par une nouvelle tenue. Il m'a fallu du temps, des discussions, et des informations pour remettre de l'ordre, et pour permettre au processus de dénouement naturel de s'effectuer.

Mr Gentil

Je crois que Mr Gentil est un produit de la culture " Peace and Love " des années 60. Ce personnage a trouvé un sol fertile pour se développer dans la secte du Capitaine Rawat. Il veut être gentil avec chacun dans ce monde, tout le temps. Tout autre comportement est un échec. En théorie, si je consacre mon temps et mon énergie à adorer le Capitaine, et si je pratique ses techniques de yoga auxquelles je crois, mes efforts porteront leurs fruits. Je deviendrai comme ces moines illuminés des films de Kung-Fu. Mon aura de paix et de sagesse affectera ceux qui m'entourent, et je serai bien parti pour devenir un saint - ce qui est une vocation somme toute légitime. La manière de progresser dans la carrière spirituelle, c'est d'être plus saint, plus en paix, plus sage et plus conscient de Dieu que les premies qui m'entourent. La colère, ça n'est vraiment pas cool, sauf si elle est manifestée par une personne de conscience inférieure, en réponse à une remarque pénétrante provenant d'une personne aussi claire et branchée que moi.

Comme les puissants peuvent tomber

Le sentiment du retour de ma personnalité a été une joie immense, même si ça m'a coûté toutes mes chances de sortir du cycle éternel des renaissances, mes chances de quitter les liens du karma et de m'engager dans la libération éternelle, et même peut-être même de devenir un Bouddha sur terre. Je pense que je préfère aller boire une bière, jouer au football, ou manger un sandwich.

Il y a quelqu'un qui a décrit une fois les différentes étapes par lesquelles on passe lorsqu'on quitte une secte. Comprendre cette théorie ne change rien à ce que vous traversez. Je suis maintenant au stade " colère ". Et je peux faire bon usage de ce sentiment. Je me suis dépouillé de mes habits de moine arc-en-ciel râpés et décolorés, et je porte une veste en cuir cloutée. J'ai pris rendez-vous pour me faire tatouer le chiffre 666 en travers du front. Il est temps que le Capitaine Rawat et sa secte répondent de la merde qu'ils ont semée dans nos vies.

Anth Ginn
Utrecht, Mars 2001


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