Aveuglé par la Lumière

Par John Macgregor

L'article qui suit est paru dans Good Weekend - le supplément couleur partagé
par les quotidiens
The Age (Melbourne) et The Sydney Morning Herald (Sydney)
du 31 août 2002 (page 38-42),
et dans le quotidien
The West Australian (Perth) du 21 septembre 2002.
Version originale sur la partie anglophone du site
et copie de l'
article au format pdf (Nécessite Acrobat® Reader installé sur votre ordinateur).



Voici donc la traduction du fameux article paru à la veille de l'événement d'Amaroo - fin août 2002.
Pour sa publication, le texte constituant cet article a été extrait d'une version beaucoup plus longue. La version originale du texte, sans les coupures,
est traduite ici.



En 1972, John Macgregor est tombé sous le charme de Guru Maharaji, un garçon grassouillet de 14 ans qui promettait - et qui lui a un temps apporté - une paix divine. Son ancien disciple se remémore, à la veille d'une nouvelle visite de Maharaji en Australie, ses 28 années de voyage vers la désillusion.

Aveuglé par la Lumière


"Comment savoir que vous avez été
avalé par un lion ?"
- Carl Jung

En 1980, je me suis rendu compte que l'OPEP avait déclenché une crise pétrolière, que les joueurs de cricket n'étaient plus vêtus de blanc, et que quelqu'un du nom de David Bowie était devenu très célèbre. Mon absence durant les années 70 avait beaucoup de rapport avec une incarnation adolescente de Dieu nommée Guru Maharaji. Il avait décampé du nord de l'Inde avec sa mère et ses trois frères - également de grandes incarnations, bien que d'un rang inférieur - pour s'établir à Malibu Beach, dans le sud de la Californie, dans notre monde occidental.

Maintenant, 30 ans plus tard, après une succession de scandales de moeurs et de scandales financiers, la plupart des "premies" de Maharaji - c'est à dire ses disciples - l'ont abandonné. Mais en 1972, le garçon grassouillet de 14 ans m'avait persuadé qu'une expérience divine m'attendait si je recevais son initiation, baptisée "Connaissance" - comme il disait, basée sur quatre techniques de méditation secrètes.

De vieux amis de la Geelong Grammar, où j'avais été à l'école primaire, m'avaient parlé de Maharaji en Septembre 1972. Et au début du mois d'Octobre 1972, je me suis retrouvé en voiture sur le Hume Highway, avec un groupe de ses "premies" - un mot hindi qui signifie "amoureux" - que j'avais rencontrés dans leur ashram de Carlton, en route pour aller écouter Maharaji qui devait parler à Sydney.

Mes compagnons de voyage m'impressionnaient par leur euphorie. L'un d'eux me tuait de son discours sur mon "troisième oeil" qui allait sûrement s'ouvrir, disait-elle, si j'étais suffisamment pur.

Un écossais au crâne rasé a médité sous une couverture pendant les 12 heures du voyage. A l'autre bout de la banquette arrière, une fille de la caste des Chevelus, avec un visage d'ange préraphaélite, chantait comme un ange et semblait ne pas avoir de petit ami.

Quelqu'un m'a donné un exemplaire du magazine Divine Times publié par la DLM - la Divine Light Mission, l'organisation de Maharaji.

Nous roulions vers le nord, et je lisais les mots de Maharaji: "Si vous venez à moi avec un coeur sincère, vous recevrez cette connaissance spirituelle très ancienne. Et si vous la pratiquez, elle vous procurera la paix". (Son anglais était beaucoup plus indirect, comme j'allais bientôt le découvrir, mais son éditeur était diplômé d'Oxford.) Venant d'une personne qui avait six ans de moins que moi, c'était une déclaration impressionnante. Qui était donc Maharaji ?

"Toutes les oreilles devraient entendre que le sauveur de l'humanité est arrivé !" avait-il proclamé. "Lorsque les êtres humains oublient la religion de l'humanité, le Seigneur Suprême s'incarne ... Si vous voulez donner votre dévotion, donnez la au gourou."

En comparant cette offre aux autres possibilités, (me consacrer au droit ou à la comptabilité, par exemple), je me suis demandé si c'était une mauvaise idée.

Les premies ne mangeaient pas de viande, et nous nous demandions comment nous allions trouver de la nourriture végétarienne sur la route de Sydney. Arrivés à Albury, la première chose qui nous est apparue fut un magasin d'aliments de régime - une rareté en 1972. "Maharaji ! Tu es incroyable !", se mirent à crier mes collègues. Quelques heures plus tard, nous sommes tombés en panne d'essence dans un quartier désert de Yass. Une camionnette de dépannage est apparue quasiment immédiatement. "Oh, merci Maharaji !" dirent en choeur mes compagnons de voyage.

Les gourous composent leurs charmes, et les disciples font du bon travail les uns pour les autres. Le temps d'atteindre Sydney, et j'étais bien parti pour le grand soir - le 6 Octobre - où le pourvoyeur de toute cette magie allait s'adresser à nous, au Lower Town Hall de Sydney.

Ce soir là, la salle était comble, et des centaines de personnes ne purent entrer. Maharaji passa rapidement sur un chemin de pétales de roses pour atteindre son trône au milieu de l'estrade. Il examina l'auditoire d'un oeil que je trouvais fuyant et calculateur. (On m'expliqua plus tard que, comme il était parfait, il nous renvoyait le reflet de tous nos défauts.) Une foule de premies plongea au sol devant lui, à plat ventre.

Maharaji parla - d'une manière parfois obscure, souvent de manière répétitive, mais toujours plein de confiance en lui - de l'expérience divine qui m'attendait si je recevais sa Connaissance. Rangés comme des séraphins sur les sièges qui m'entouraient, ceux qui avaient reçu la Connaissance semblaient être les personnes les plus calmes et les plus heureuses que j'avais jamais vu.

Maharaji offrait toutes la certitude qu'un adolescent pouvait souhaiter. Au milieu de sa syntaxe tourmentée et torturée, je discernai graduellement le message que j'avais attendu depuis la fin de mon enfance: la vie n'était pas un hasard.

De retour à Melbourne après cette Divine Visite, comme fut baptisée l'apparition de Maharaji à Sydney, je déménageai à l'ashram de Carlton, renonçant au sexe, aux drogues, à l'alcool et à la viande. J'écrivis une lettre à la Commonwealth Bank, leur demandant de transférer mes 3,46 dollars à la Divine Light Mission. A partir de cette date, j'informais avec dédain mon banquier, sans doute stupéfait, que j'emmagasinais mon trésor "à l'abri des mites et de la rouille".

Comment se fait-il qu'on puisse adorer une personne qui est, aux yeux de tous les autres, un imposteur manifeste ? Il y a peut-être une réponse dans ce que l'évolutionniste Richard Dawkins a dit une fois à propos des fous de religion: "C'est comme si la personne qui a la foi acquiert du prestige en réussissant à croire des choses encore plus impossibles que celles que leurs rivaux on réussi à croire."

Ca peut sembler tiré par les cheveux. Mais en 1973, on a demandé à Tim Gallwey, auteur mondialement connu du livre "The Inner Game of Tennis" - et qui est aujourd'hui un des plus proches disciples de Maharaji, et un entraîneur d'équipes de travail qui a un énorme succès - pourquoi il croyait que Maharaji était Dieu, et non un véritable escroc. Il répondit: "Un bon escroc ne porterait pas une montre en or et il ne donnerait pas des réponses aussi stupides".

Mais il ne s'agit là que d'une analyse rétrospective. Que se passait-il donc dans ma tête en 1972 ?

Le cinéma d'aujourd'hui a réinventé la jeunesse des années 70, et la décrit comme loufoque, insouciante et prête à toutes les expériences. En réalité, nombre d'entre-nous étions paralysés par une angoisse existentielle terrible. En ce qui me concerne, j'étais désemparé dans ce monde d'après-guerre dont les buts n'avaient pour moi aucun sens. Comme ses rivaux, Maharaji a tourné à son avantage la vengeance de ce malaise occidental. Et il a eu le bonheur d'arriver au pic d'une ère anti-rationnelle.

Les ashrams de Maharaji étaient des lieux très tranquilles - et toute les parties troublées de notre être pouvaient vraiment y devenir silencieuses. La vie d'ashram permettait d'être libres du besoin de "réussir", dans une société que peu d'entre nous pouvaient comprendre. Il n'y avait plus cette pression sociale qui pousse à boire ou à prendre de la drogue. La prohibition des relations et du sexe était, pendant la première année environ, des vacances bienvenues après des fréquentations, des tâtonnements et des inexpériences sexuelles désastreuses. J'avais tout à coup une nouvelle famille - tout une tribu internationale, en réalité.

Tout comme le conditionnement qui nous a abreuvé tous les jours, à travers les cassettes, les magazines et les mahatmas, nous nous sommes mutuellement conditionnés. Les premies rapportaient du prasad (restes de la nourriture de Maharaji) et du charanamrit (des flacons d'eau dans laquelle il avait trempé le pied) dans leurs valises lorsqu'ils revenaient de ses programmes internationaux, comme s'ils faisaient de la contrebande de drogue. Tout ce qu'il avait touché était sacré. Une fois, nous avions même mis en loterie un jeu de radiographies dentaires de sa mère.

Pour tout cela, la "Connaissance" de Maharaji marchait vraiment. Ca m'a donné la paix, l'euphorie, l'amour, et des certitudes que je n'aurais pas crues possibles. Ca m'a délivré de l'anxiété et même de la solitude. Il fallait que ça soit divin, éternel, la connaissance totale.

Pendant les années 70, pour des milliers de jeunes australiens comme moi, la dévotion pour le "Maître Parfait" s'appelait le "trésor caché à l'intérieur". Mais Maharaji ne manquait pas de trésor caché pour lui. Où qu'il aille - Australie, Japon, Fidji - il y avait des files de darshan. Les premies faisaient la queue pour lui embrasser les pieds et y déposer des cadeaux en espèces. Ces derniers disparaissaient vers Hong Kong dans les valises des premies faisant office de courrier - parfois 300.000 dollars US ou plus à la fois - pour y être transférés sur les comptes en Suisse de Maharaji.

"Il y avait aussi des collecteurs de fonds spéciaux pour les cadeaux d'anniversaire extravagants", se rappelle Michael Donner, ancien responsable national de la Divine Light Mission de Maharaji aux USA. "Des gens faisaient des tournées en avion pour ramasser des sacs d'argent - parfois plus de 100.000 dollars US - pour lui acheter une nouvelle voiture, ou quoi que ce soit d'autre. Cet usage de l'organisation pour solliciter et collecter des dons n'était sans doute pas trop légale."

A travers le monde, des milliers de personnes donnaient de l'argent, leurs biens, renonçaient à leurs relations, aux drogues et à l'alcool pour entrer à l'ashram, où la vie était réduite à un mode frugal et élémentaire.

A l'ashram, la vie quotidienne consistait à chanter un chant dévotionnel au "Pouvoir Supérieur en Personne" (Maharaji bien sûr), à méditer, et à faire du "service" (travail) - en ce qui me concerne, établir le statut juridique et financier de la DLM. Les soirées étaient consacrées au satsang, pour lequel des centaines de premies se réunissaient, vêtus de robes longues et de costumes de piètre qualité, pour exprimer leur dévotion à Maharaji - ou plutôt à une gigantesque photo de lui, pour être précis.

Bien que le sexe fut banni, il y eut des fuites théâtrales, et beaucoup d'entre nous, après un certain temps, commencèrent à avoir des liaisons secrètes, tourmentées par la culpabilité et la peur. Nombre d'enfants de premies furent conçus sur des sièges de voiture, sur des pelouses et sur le sol des salles de satsang en pleine nuit, sous le regard menaçant du "Seigneur tout-puissant", comme Maharaji se décrivait lui-même.

"Toutes les oreilles devraient
entendre que le sauveur de
l'humanité est arrivé !
... Si vous voulez donner
votre dévotion, donnez la
au Gourou."
Le Maharaji de 14 ans arrive
à Sydney en Octobre 1972.

En 1973, Maharaji a annoncé le programme - Millennium 73 - qui allait se tenir dans l'énorme Astrodome de Houston, Texas. Toujours béatement libre de toute fausse modestie, il promit que ce serait "l'événement le plus significatif de l'histoire de l'homme". Bal Bhagwan Ji, son frère aîné maigre et pimpant, annonça que des êtres venant d'autres planètes viendraient rendre hommage à Maharaji.

Mais Millennium fut un flop. 15.000 personnes seulement y assistèrent, au lieu des 144.000 attendues, et tous étaient des terriens. Le point culminant de Millennium fut pour moi le moment où j'ai croisé Maharaji à 2 heures du matin au sommet de l'Astrodome, assis sur une voiture de golf et entouré d'un groupe de premies. Il y avait un contraste marquant entre son costume de haute couture et les vêtements d'occasion portés par ceux qui l'entouraient. Mais surtout, il semblait être le seul du groupe à être naturel. Les femmes qui l'entouraient s'étreignaient la poitrine de leurs mains avec ravissement, comme pour se protéger de son rayonnement. Les hommes avaient l'air tendus, les mains fermement serrées devant leurs organes génitaux. Chacun arborait un sourire figé, et, à chaque parole de Maharaji, les têtes faisaient de furieux signes de haut en bas. Ses plaisanteries - la plupart stupides - déclenchaient de grands éclats de rires.

A la vue de ce tableau surréaliste, je fus frappé par la qualité unique et divine de ma divinité corpulente chevauchant un kart de golf. Mais pour la première fois, les premies - qui avaient été jusque là mes gais compagnons - m'apparaissaient comme de simples moutons. Je n'avais encore que 21 ans: je ne m'étais pas rendu compte que je faisais partie du troupeau.

En 1970, Maharaji avait dit: "Je vais diriger le monde !" Le monde ne l'a pas vu ainsi. Pendant les années 70, sa couverture médiatique fut uniformément mauvaise: Maharaji est hospitalisé pour ulcères à l'estomac, il se marie à 16 ans avec une blonde bien roulée, les dettes massives laissées par Millennium. Puis il y a eu l'épisode du journaliste de Detroit qui l'a entarté, et qui fut presque battu à mort par un de ses mahatmas - nommé Fakiranand - armé d'un pied-de-biche.

Maharaji continua à faire transférer des sommes importantes sur ses comptes en Suisse. Des demeures, des voitures de luxe, et le premier de ses nombreux jets se matérialisèrent. Un premier Boeing 707 Divin revendiquait une cuvette de WC en or, comme le raconte l'ex-premie américaine Cynthia Gracie qui a travaillé au réaménagement du jet - "bien que je ne sache pas si c'était de l'or massif, ou simplement plaqué or". A la date d'aujourd'hui, la valeur totale des biens de Maharaji, dont ses anciens disciples lésés ont pu suivre la trace, se monte au moins à 100 millions de dollars.

Mais même si nous, les premies de la première heure, avions connu le véritable volume du butin, ça n'aurait probablement pas suffi pour nous désillusionner. Je n'avais pas remarqué les rangs de sièges vide à Millennium lorsqu'il s'adressait à nous d'un trône si élevé que ça m'a donné le torticolis, pas plus que son discours à la logique circulaire: "On dirait qu'il y a une chose qui guide l'autre, et que l'autre en guide une autre, et que l'autre en guide une autre, et que l'autre en guide une autre. Et il semble donc (sic) qu'il y ait dans ce monde des séries de choses qui font marcher une chose ou une autre."

Chacun arborait un sourire figé, et,
à chaque parole de Maharaji, approuvait
furieusement.
Ses plaisanteries - la plupart
stupides - déclenchaient de grands éclats de rires.

Bob Mishler fut pendant quatre ans le président de la Divine Light Mission, et le secrétaire personnel de Maharaji. Des années plus tard, ancien premie, il a donné les raisons de cette contre performance. Le Maître Parfait était ivre.

En 1974, après une implacable lutte pour le pouvoir, deux de ses frères et sa mère dénoncèrent son imposture. Pendant la décade qui suivit - sentant une prise de conscience croissante du phénomène sectaire - Maharaji ferma les ashrams, abandonna "Gourou" pour son nom de famille, et cessa de porter sa couronne de Krishna ornée de bijoux, celle de l'enfant-Dieu de l'hindouisme. On demanda aux premies du monde entier de rendre leurs cassettes et leurs magazines. La Sainte Famille et les proclamations de Maharaji affirmant sa divinité furent jetées aux flammes.

Vers le milieu des années 80, la Divine Light Mission avait refait surface sous le nom d'Elan Vital. (C'est la même organisation que celle que j'avais déclarée en 1974, affublée d'un nouveau nom et d'un vernis plus social.) Le Seigneur de l'Univers s'était métamorphosé en "quelqu'un qui parle de la vie", ainsi qu'Elan Vital le décrit assez mielleusement. L'idée de sa divinité, comme l'a dit Maharaji, provenait d'un "malentendu" propagé par ses mahatmas (lieutenants de haut rang).

A cette époque, je n'étais plus un renonçant: la dévotion totale avait fait place au mariage, aux enfants, et à une carrière. Mais je méditais encore tous les jours, je faisais régulièrement des dons financiers, et je travaillais bénévolement pour l'association.

En 1991, la mission de Maharaji est repartie pour un nouveau bail lorsqu'un nouveau lieu de réunion international fut installé pour lui et ses disciples sur un terrain de 800 hectares de terres agricoles reconquises sur la nature, non loin de Brisbane. Pour la première fois, l'Australie devint le centre de ses activités mondiales.

"Si vous venez à moi
avec un coeur sincère,
vous recevrez cette
connaissance spirituelle
très ancienne":
arrivé à Sydney,
Guru Maharaji s'éclipse
dans la sainte Rolls.

Amaroo, ainsi que l'appellent les premies, s'appelle officiellement "Ivory's Rock Conference Centre". Ses hôtes s'y réunissent une ou deux fois par an, regroupant jusqu'à 5.000 participants qui affluent de tous les continents. (Une session y est prévue la semaine prochaine.) La propriété possède une infrastructure qui vaut des millions de dollars, avec des kilomètres de câbles de fibre optique, une salle de réunion d'un million de dollars, un amphithéâtre extérieur en gradins de 4.500 places, et 20 magasins vendant, entre autres, de la nourriture, des vêtements, des chapeaux, tasses, T-shirts et autres gadgets très onéreux approuvés par Maharaji. Les fonds nécessaires à tout ceci sont collectés par Elan Vital, via les droits perçus pour assister aux programmes (jusqu'à plusieurs milliers de dollars pour y camper, par exemple), et les millions de dollars de dons et de prêts apportés par ses "grands donneurs".

En plus du discours qu'il fait tous les jours, Maharaji passe l'essentiel de son temps à Amaroo à se "reposer" et à faire la fête dans son campement luxueusement aménagé. Il part de temps en temps en promenade, tire sur les lapins (un secret officiel) et rencontre ses organisateurs internationaux.

Un moment essentiel des programmes à Amaroo est la file de darshan - le rituel où on lui embrasse les pieds, qu'il a silencieusement ressuscité. On y accède maintenant après être passé sous un portique de détection, et l'événement a lieu en l'absence de toute personne extérieure. Son existence est officiellement niée.

Arrivé aux années 90, j'avais déjà fait l'expérience de quelques "gouttes" - un terme ex-premie pour caractériser les anomalies ou les erreurs qui pénètrent à travers l'armure mentale épaisse de chacun, et qui permettent au doute de grandir, et à la dépendance de Maharaji de s'affaiblir.

Une "goutte" majeure est arrivée en 1997, lorsque la plupart des responsables d'Amaroo se sont plaints du mode d'administration autoritaire de ce lieu. Maharaji a dépêché un envoyé des USA pour faire passer les 40 personnes, y compris les mutins, par d'intenses sessions d'autocritique, avec des confessions d'indignité et de culpabilité. Le plus étrange, c'est que ceux qui ont confessé avec des larmes - et parfois de manière hystérique - le pire de la plus grande indignité, n'avaient rien fait de mal. (Les pires des pécheurs, comme moi, n'ont pas eu la moindre larme.)

Après ceci, j'ai quitté Amaroo et le Queensland un peu troublé. Mais j'y suis retourné en Septembre 1999, pour un training d'une semaine dirigé par Maharaji en personne.

Ce fut un exercice mené dans le désordre et la peur. Maharaji semblait avoir les nerfs à fleur de peau pendant toute la semaine, et tombait dans des fureurs violentes à la moindre provocation.

On répétait des tâches inutiles. On jouait à des jeux d'équipe où il ne pouvait y avoir de vainqueur. On était martelés de messages sur l'indépendance, le respect et l'honnêteté - puis cassés par des demandes d'obéissance grâce à des abus de pouvoir et des conventions passées secrètement entre les responsables du training et certains participants.

J'ai fini par comprendre que Maharaji prospère grâce au passage d'un double message: indépendance/dévotion, honnêteté/secret, confiance en soi/confiance dans le maître. Une moitié du message vous autorise et vous grandit, et l'autre moitié du message vous intimide et vous amoindrit; une moitié provoque l'amour, une moitié libère, et l'autre moitié vous rend esclave.

Par sa stratégie, ce message mixte vous embrouille.

Et finalement, je me suis mis à percer la logique superficielle - ces prémisses - qui avait été installées il y a bien des années dans ma tête à l'âge de 20 ans.

La contradiction entre la liberté et l'esclavage que Maharaji incarne est aujourd'hui d'une clarté aveuglante. Mais il n'en a pas été ainsi pendant des années. Ca m'a troublé d'une manière étrange et inconsciente: cette incapacité à expliquer Maharaji aux personnes extérieures, les défaillances éthiques dont je n'aurais normalement pas dû être la proie, mon attachement à des voies de pensée "sûres", la sape de mes ambitions.

Un moment essentiel des programmes à Amaroo
est la file de darshan - le rituel où on lui embrasse

les pieds, silencieusement ressuscité par Maharaji.
Son existence est officiellement niée.

En 1996, Jim Heller, avocat et ex-premie canadien, naviguait sur les premiers newsgroups d'Internet consacrés aux sectes, à la recherche d'informations sur Maharaji. Rien. Puis, progressivement, d'autres ex-premies se sont matérialisés. Parmi eux, il y en avait un qui avait quelques talents en matière de site Internet: www.ex-premie.org était né. A mesure que des parcelles d'informations - souvenirs, documents, photos - suintaient vers le site, en provenance de tous les coins du monde, une toute nouvelle image du Maître Parfait commençait à émerger.

Comme le dit Heller, "Sans le Net, je n'aurais été qu'un type de plus avec un passé bizarre, qui, s'il avait de la chance, risquait de ressasser cette vieille histoire avec un ancien ami d'il y a vingt ans rencontré un jour dans un bar d'aéroport. Mais le Net nous a aiguillonnés pour devenir des détectives enquêtant sur une vieille affaire - scrutant notre passé collectif avec le bénéfice de la maturité, sagesse d'après coup et soulagement de la privation d'information grâce à laquelle toutes les sectes prospèrent."

Au départ, l'interview de Bob Mishler, décédé depuis, est un document qui m'a beaucoup ouvert les yeux. Ses révélations étaient énormes: Maharaji "buvait beaucoup ... au point d'être cuit tous les soirs".

"Il trouvait le moyen de faire payer par les divers départements de la Divine Light Mission, les choses que nous avions achetées pour lui ... La consommation est une maladie pour lui."

Mishler avait un thème récurrent: "La plupart des membres ... n'ont vu Maharaji que dans des circonstances bien mises en scène et planifiées."

Le site www.ex-premie.org révélait que Maharaji avait fabriqué son lignage de maître, que les premies du cercle rapproché étaient formellement bâillonnés quant à son mode de vie débauché (un processus appelé "classer-X"), et qu'il avait tué accidentellement un cycliste à Delhi et qu'il en avait fait endosser la responsabilité à un employé de maison.

On affirme que le Maître Parfait, est
un alcoolique violent qui fume du hash,

et qu'il demande à un assistant d'arranger des rencontres avec des femmes disciples
pour qu'elles lui accordent leurs faveurs.

Mais le scandale qui a causé le plus de soucis à son équipe internationale de RP, c'est ce qui concerne Jagdeo, le mahatma indien, décrit il y a vingt ans comme "le plus proche mahatma de Maharaji".

Via le site ex-premie, deux femmes se sont manifestées, affirmant qu'elles étaient des enfants dans les années 70, et que Jagdeo leur avait infligé des violences sexuelles. L'une d'elles, Susan Haupt, dit qu'il y a de nombreuses autres victimes, mais qu'elles ne veulent pas s'exprimer publiquement. Susan Haupt dit qu'il y a vingt ans, et même avant, elle a fait connaître personnellement à Maharaji, à deux reprises, les crimes de Jagdeo. Mais Jagdeo est resté un personnage en vue dans l'organisation, et son accès aux enfants a continué sans répit. Elan Vital reconnaît maintenant que Jagdeo a commis des crimes, et plusieurs ex-premies attestent que l'histoire de la pédophilie de Jagdeo a été connue aux échelons les plus hauts de l'organisation dès 1978. En 1997, j'ai vu Jagdeo à l'ashram de Maharaji de Delhi. Elan Vital dit maintenant qu'il a "disparu".

Le pire était encore à venir. L'infatigable Jim Heller retrouva la trace de Michael Dettmers, qui avait administré les biens de Maharaji, ses affaires personnelles, et sa "présentation au monde" de 1975 à 1987. Comme Dettmers le révéla, le Maître Parfait n'était pas juste un alcoolique, mais souvent aussi un alcoolique violent. Alors qu'il insistait pour que les gens qui vivaient à l'ashram s'abstiennent de drogues, d'alcool et de relations sexuelles, Dettmers raconte comment il fumait du hash quatre ou cinq nuits par semaine à Malibu, et comment il lui organisait des rencontres avec des femmes disciples pour qu'elles lui accordent leurs faveurs. Invariablement, ces femmes étaient rapidement abandonnées, "fâchées et désemparées".

Ceux qui crachent le morceau ne s'en tirent pas sans conséquences. Au mois de Janvier dernier, des attaques de hackers ont eu lieu sur Internet, contre le site www.ex-premie.org, mettant le serveur qui l'héberge hors d'usage par deux fois, paralysant du même coup des foules d'entreprises. Des sites ont été mis en place l'an dernier par des premies toujours fidèles à Maharaji; il y était suggéré que Dettmers, Donner et 21 autres ex-premies connus souffraient de maladies mentales, et qu'ils étaient des kidnappeurs ou des pédophiles.

En Inde, Maharaji est encore présenté comme une divinité; en Australie, il y a des psychiatres, des hommes d'affaire et des journalistes parmi ses disciples. Mais dans les pays occidentaux, l'expression ouverte de la dévotion est limitée au darshan, et à ce que les ex-premies appellent le "Culte de la Vestale Virginale du Backstage": ces femmes super-dévotes qui se douchent et méditent avant de récurer chaque centimètre carré des coulisses des lieux où il fait ses discours. Maharaji continue à faire ses tours du monde, parfois plusieurs fois par an, bien que l'assistance ait chuté de 20.000 personnes en 1979 à 5.000 personnes maintenant. Même en Inde, sa popularité a décliné. Il avait attiré une foule de 1 million de personnes à Delhi en 1970; ses programmes n'attirent aujourd'hui que 70.000 personnes.

Le déni ne peut pas durer toujours. J'ai fini par aller lire sur le site Internet les révélations dont j'avais entendu parler - et que j'avais réfutées - depuis si longtemps. J'en ai suivi la trace jusqu'à leur source, et je les ai vérifiées. Puis je me suis désolidarisé de Maharaji, rapidement et ouvertement.

Tout aussi rapidement, deux vieux amis de 30 ans se sont manifestés sur Internet - l'un prétendant que j'étais "au bord de la dépression nerveuse", l'autre disant que j'étais "schizophrène" et "drogué".

En partant, j'ai vraiment fait l'expérience de ce que j'imagine être le sevrage de l'héroïne: pendant des mois, mon système nerveux a durement peiné pour rattraper mon intellect. C'était comme si j'avais ouvert la porte d'une grotte remplie de chauve-souris; elles se sont envolées, en criant, dans la lumière du jour.

Les "chauve-souris" sont mes sentiments que j'ai si longtemps réprimés, mes facultés d'analyse non utilisées - et mes jugements sur la perfidie que j'ai vue autour de Maharaji, si secrète, si inadmissible, que je me les étais même cachés.

Et après la fin de ces quelques mois de turbulences, le sentiment dominant fut un vrai soulagement.

Lorsque je leur ai appris la nouvelle, mes amis non premies m'ont tous dit: "Dieu merci !"

Les maîtres, ils le savaient bien, sont pour les chiens.


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