Jean-Marie
Abgrall (Psychiatre, expert près la
Cour d'Appel et les tribunaux)
"Dans les années 1980, le 'déprogramming' et
son corollaire, le kidnapping, ont défrayé la
chronique.
S'il est vrai que dans certains cas les familles n'ont eu
d'autre recours que de faire appel à des organismes
spécialisés pour récupérer leurs
enfants, il reste qu'il s'agit de cas limites et qu'ils
n'ont pas valeur d'exemples. Paradoxe: pour les proches de
l'adepte la conduite à tenir oscille sans cesse entre
le respect du libre choix et la non-assistance à
personne à danger. Le cas idéal, mais aussi le
plus rare, est celui de l'adepte qui prend conscience
spontanément (ou sous l'influence de son entourage)
du caractère aberrant des doctrines inculquées
et de leur impact sur sa vie sociale et sur son
équilibre mental.
Dans certains cas extrêmes, il arrive que la
dégradation physique ou mentale d'un individu soit
telle qu'il est impossible de ne pas la remarquer.
L'obligation d'assistance et le recours à l'arsenal
juridique et médical tombent alors sous le sens. Mais
hélas, la famille assiste généralement
quasi impuissante à une dégradation
progressive. Incapable de réagir, elle se borne
à respecter un libre arbitre déjà
largement taillé en pièces. De la même
façon, elle répugne à recourir à
la force lorsque toute tentative d'aide est
repoussée. Comme s'il fallait attendre le pire pour
se décider a agir ! En tout état de cause, il
est indispensable de ne pas rompre le lien avec l'adepte:
relâcher la vigilance reviendrait à passer
à côté des rares instants où une
intervention serait propice.
A toute pathologie physique, mentale ou sociale
correspond un cadre juridique précis permettant
d'assister un sujet. La non-assistance à personne en
danger n'est pas une vaine expression, surtout en cas de
délit ou de crime (coups et blessures, violences,
privation de soins, viol, attentat à la pudeur, etc.)
On l'ignore trop souvent, La désinsertion sociale a
le plus souvent pour corollaire des dettes: on pourra
à cet égard engager tout à la fois des
procédures civiles de curatelle et de tutelle, mais
aussi produire des signalements à l'autorité
administrative sanitaire (DDASS) dans le cadre de la
politique de soins psychiatriques sectorisés. Si ces
procédures n'atteignent pas toujours leur but, elles
présentent l'avantage de déclencher un
état des lieux, une expertise, des enquêtes.
Autre avantage: elles sèment le désordre dans
la secte et dévalorisent l'adepte aux yeux de ses
maîtres, ce qui entraîne par contrecoup une
baisse de l'étau, voire un rejet, si le sujet, de
surcroît, noffre pas une valeur marchande
proportionnelle aux désagréments que sa
présence peut créer au sein de la secte.
Les soins coercitifs doivent être
évités autant que faire se peut, mais il ne
faut pas négliger les mesures d'hospitalisation
d'office (HO) ou effectuées à la demande de
tiers (HDT), telles qu'elles sont définies dans la
loi de 1990. Les sectes auront beau jeu d'opposer
liberté religieuse et répression
policière, ce qu'elles font souvent: le risque est
sans commune mesure avec l'enjeu que représente la
santé mentale ou physique dune personne.
Toutefois, il demeure préférable d'obtenir
le consentement de l'intéressé en s'appuyant
sur la famille.
Il importe de:
- conduire le sujet à prendre conscience
de la perte de son statut social et de son
individualité (éviter toute analyse
subjective en termes de faute, culpabilité,
erreur, etc., en faveur d'un état des lieux
objectif);
- dresser un bilan de la situation et proposer une
alternative crédible et réalisable
immédiatement;
- déculpabiliser l'adepte en rendant possible
le retour en arrière;
- ne pas arracher le consentement par une
manuvre critiquable a posteriori, et susceptible
d'un nouveau rejet; préférer une remise en
question progressive par un processus d'adhésion
réelle;
- ne pas tenir de double langage et ne pas faire une
pseudo-concession qui sera présentée par la
secte comme une preuve de mauvaise foi;
- ne pas changer d'opinion ou d'attitude, en donnant
l'impression qu'il existe un doute quant à la
ligne d'action;
- interroger systématiquement l'adepte sur la
signification des divers éléments visibles
de la secte, afin de conduire à une analyse, voire
à une critique;
- ne pas enfourcher les thèmes
déjà combattus par la secte, sous peine de
déclencher des phénomènes
d'opposition construits car appris;
- débattre des solutions proposées par
la secte, en les réfutant par des arguments
concrets et inattaquables; ne jamais batailler sur le
seul terrain idéologique. La conviction de
l'adepte doit être obtenue par la preuve et non par
un contre-endoctrinement;
- entretenir et raviver toutes les tendances à
l'individualisme du sujet. Flatter son ego;
- fonder la contre-argumentation sur l'intellect et la
preuve, et non sur l'affect: en particulier, ne pas agir
sous lemprise de la colère, de la peur, de
la contrainte ou de la culpabilisation;
- utiliser les expériences d'autrui, mais ne
pas penser qu'il existe une recette infaillible: chaque
adepte est unique et le convaincre est une entreprise
très personnelle;
- fournir des preuves de bonne foi, sans essayer de
tricher. Mieux vaut refuser une proposition que de
feindre de l'accepter. On peut duper un adepte pendant un
court instant, mais difficilement une secte
entière;
- ne jamais donner à l'adepte le sentiment
qu'il existe au sein de la famille des divergences de
vues sur son adhésion à la secte, ou sur
tout autre sujet susceptible de jeter la suspicion sur
lunité familiale;
- combattre le love-bombing sectaire par un
love-bombing familial, hors du terrain de
l'interprétation sectaire;
- ne pas mêler affect et intellect: la
conviction doit être combattue par l'intellect, le
sentiment d'appartenance par le love-bombing;
- ne jamais oublier que, pour la secte, on est un
ennemi dès lors que l'on n'est pas un adepte, et
que l'on est décrit comme tel."
(La Mécanique des Sectes - Documents Payot
1996)
Centre
Roger Ikor (CCMM - Centre de documentation,
d'éducation et d'action Contre les Manipulations
Mentales - Association agréée par le
Ministère de la Jeunesse et des Sports et par le
Ministère de l'Education Nationale)
"Que faire pour un proche entraîné dans un
groupe manipulateur ?
Ceux qui ont connu cette question savent que la question est
très difficile.
Ladhésion à un tel mouvement a toutes
les caractéristiques des autres situations de
dépendance ou daddiction, telles que la drogue
ou l'alcool. 0n y trouve un déni de la
dépendance, une mise à distance du milieu
familial, une inaccessibilité au raisonnement, un
déni des dommages existants ou à
prévoir, une revendication de la liberté
individuelle même si cette attitude consiste à
détruire.
De plus, l'adepte confirmé a été
entièrement conditionné à
lallégeance à ses maîtres et
à limperméabilité au monde
extérieur.
Enfin il a trouvé dans le mouvement, au moins au
début, une réponse apparente à ses
aspirations, comparable à la lune de
miel, quon connaît en matière de
toxicomanie.
Il faut savoir que les reproches, les argumentations et
les menaces éventuelles ne feront que renforcer la
conviction et accentuer la rupture. Il paraît
très important de garder un contact chaleureux et de
multiplier les repères et les liens avec l'univers
familial, professionnel, affectif, amical et autres.
C'est seulement ainsi que le moment venu l'adepte pourra
renouer au prix minimum avec le monde dont il s'était
coupé. Cest dire que les actions
musclées ne paient pas et que, par souci
éthique autant que par souci
defficacité, certaines méthodes parfois
pratiquées à létranger
(enlèvement, reprogrammation, etc.) doivent
être proscrites."
(Les Sectes, Etat dUrgence - Albin Michel 1995)
Jean
Vernette (Délégué de
l'Episcopat pour les questions touchant les Sectes et
Nouveaux Phénomènes religieux.)
Découvrir le ressort caché.
Que trouve-t-il dans ce groupe qu'il ne trouvait pas dans
son Eglise, ses relations, son milieu ? Parfois il ne
cherchait rien. On est bel et bien venu le solliciter
indiscrètement, à la sortie des cours ou dans
la rue. Mais laccrochage naurait pas en lieu si
le terrain navait été prêt, s'il
ny avait quelque attente ou désir latents :
recherche d'une vie fraternelle, besoin d'une conception
structurée et assurée de la
vérité de la société, aspiration
à un idéal exigeant plus proche de l'Age d'or
du Christianisme. Il est essentiel de bien identifier cette
motivation pour établir par la suite une
véritable relation d'aide.
A la racine on découvrira souvent une peur
cachée doublée d'une insécurité.
Et l'adhésion à un groupe religieux
totalitaire représente comme une réponse
à cette panique par rapport à la vie et
à l'avenir. Tel néophyte a trouvé chez
les Témoins un cadre solide où l'on pense pour
lui. L'assurance dêtre inscrit au nombre des
élus. Une communauté ordonnée où
lon s'appelle frère et
sur. Où il n'y a qu'à
obéir aux surveillants. Où tout
est cadré par les directives
régulièrement dispensées par
lassociation théocratique qui est censée
répondre à tous les problèmes de
conscience et dexistence. Le groupe fournira alors par
sa structuration collective musclée et ses assertions
sans réplique un sentiment dynamisant de puissance
audacieuse. Ce sentiment est souvent renforcé par
laffirmation réitérée :
Nous sommes les plus forts. Nous gouvernerons un jour
le monde entier. Parce que nous sommes la Religion pour le
Nouvel Age qui vient. Discours identique et
interchangeable chez les Scientologues, les disciples de la
Soka Gakkai, les Raëliens.
Les groupes de développement du potentiel humain
séduisent aussi perce qu'ils saffirment en
mesure de développer nos pouvoirs
cachés, de faire grandir lharmonie
intérieure, d'assurer la domination de l'entourage,
dapporter une solution à tous les
problèmes personnels et collectifs. La MT propose les
techniques permettant d'atteindre les profondeurs stables et
libérantes de la Conscience cosmique, et met en place
dans la foulée un Gouvernement mondial de l'Age
d'Illumination.
Il est indispensable de comprendre ces motivations pour
amorcer le dialogue en vérité. Car on ne peut
aider à redresser un choix qu'en rejoignant par
l'intérieur ses ressorts profonds. Ce qui suppose,
quand tout a été dit, de s'intéresser
réellement à cet engagement. Analogiquement
cest l'attitude que sont amenés à
prendre des parents découvrant que leur enfant se
drogue. Non parce que lon approuve le groupe, son
enseignement et ses méthodes. Mais parce que
lon respecte la décision de celui que l'on a
essayé justement d'éduquer à la
liberté, ou de celle avec qui on a noué
alliance pour le meilleur et pour le pire .
Si par contre les relations ou les proches tendent les
relations au point que lon n'est plus perçu que
comme le censeur et linquisiteur, lessentiel
risque d'être perdu: ce lien même ténu
qui, s'il demeure, permet encore une certaine communication
et donc la proposition en temps opportun de quelque
élément de discernement. Ce lien qui permet
daccueillir à sa sortie celui qui bien souvent
se retrouve seul, désemparé, tel le
Témoin dont la totalité du réseau des
relations s'est peu à peu restreint aux seuls membres
de la Congrégation, lesquels maintenant fuient tout
rapport avec lui. Excommunié,
pestiféré, il se retrouve seul aux prises avec
cette peur qui l'avait conduit à rejoindre le refuge
de la secte, que l'on a entretenue par des menaces
réitérées - ceux qui nous
quittent vont à leur perdition ! Satan les
enchaîne et les rend fous ! - et qu'il
récupère à la sortie, augmentée
d'un sentiment d'échec et de la honte de
sêtre laissé abuser."
(Les Sectes - Presses Universitaires de France - Que Sais-Je
? 1990)
Max
Bouderlique (Docteur en électronique et
docteur en philosophie. Collabore depuis des années
avec des associations de lutte contre les sectes pratiquant
les manipulations mentales. Auteur, aux éditions
Chronique Sociale, de 'Sectes, les manipulations mentales',
et 'Comprendre l'action des Sectes')
"Aucun argumentaire fondé sur la plus convaincante
logique et sur les preuves les plus indiscutables ne saurait
à lui seul suffire à décider un adepte
à quitter le havre de sécurité
psychique qu'est pour lui la secte: il est nécessaire
qu'il puisse apercevoir clairement les problèmes
affectifs qui l'y ont mené et qu'il puisse être
convaincu qu'il existe pour lui une meilleure solution.
Les parents, la famille, ou les amis d'un adepte ne
doivent pas oublier que celui-ci:
1/ na pu être capté que parce
qu'il était déjà dans une situation
de difficulté psychique qui a pu être
exploitée,
2) quil a été victime de
manuvres manipulatrices à peu près
imparables pour quelqu'un non averti et dans
l'état de déséquilibre où il
se trouvait. II était d'avance prêt à
accepter n'importe quelle promesse de renaissance
à lespoir.
En ce qui concerne le premier point, l'état de
difficultés psychiques pouvait être lié
à des problèmes familiaux (ou parfois de
couple).
La conscience par les familles de cette
possibilité est importante car elle met en
évidence que dans ce cas un adepte naura aucun
désir de quitter sa secte pour retourner dans un
milieu qui par certains côtés peut lui
être insupportable.
De même tout ce que pourra dire cette famille se
trouve par là même davance
disqualifié.
Cependant, si ceci peut être une cause, et s'il est
souhaitable d'en prendre conscience, il faut bien se garder
daccepter pour autant de s'en sentir coupable.
Chacun de nous est en partie aussi conditionné par
ses propres antécédents qu'il n'a pas choisis,
ses propres lacunes, ses propres aveuglements, disons aussi
ses propres illusions.
L'acceptation de l'idée d'une certaine possible
responsabilité causale est certainement plus utile
que le confinement dans les remords ou regrets
stériles . La culpabilisation familiale fermerait
toute opportunité de remédier à ce qui
dans la situation d'origine a pu être
pathogène.
De même, en se laissant aller sur ce terrain de la
culpabilité, on pourrait être amené
inconsciemment à des attitudes de condamnation et de
rejet de l'adepte, pour "gommer" en quelque sorte sa propre
'faute' en la rejetant sur lui.
Un nécessaire premier examen doit s'efforcer de
détecter loyalement ce qui a pu se passer dans la
famille du fait des caractères, des habitudes, des
routines, pour faire apparaître clairement les
difficultés graves trop longtemps masquées et
aider à les résoudre.
II s'agit là d'une démarche de
thérapie familiale qui peut être un bon
préalable, mais qui ne peut être menée
à bien que sous la conduite d'un thérapeute
spécialisé.
Cest quelquefois seulement en voyant le changement
de climat familial que l'adepte pourra être accessible
au sentiment qu'il peut disposer d'un entourage sur lequel
il peut vraiment compter.
C'est alors qu'il pourra sentir que l'on a d'avance
également confiance en lui, en ses aptitudes
personnelles à se construire et à se faire
reconnaître dans un mode dexistence qui
corresponde plus authentiquement à ses
qualités propres.
Le maintien contre vents et marées de l'affection
sans condition (mais aussi sans aucune concession, ni
approbation de la secte) de la part de la famille comme des
amis est des plus important. L'adepte, à tout moment,
doit être certain qu'il peut compter, s'il veut
quitter la secte, sur une aide déjà acquise et
sans reproches.
Il faut aussi penser que plus l'adepte est resté
longtemps dans la secte, plus il a perdu le contact avec le
monde et plus ils se sent vulnérable pour y effectuer
un éventuel retour.
La chaleur de l'entourage affectif ne doit cependant pas
devenir envahissante, car l'adepte qui envisage (même
s'il ne se l'avoue pas encore) la possibilité de
quitter sa secte ne peut être au fond de lui
même que motivé que par le poids du manque de
liberté qui pèse sur lui. Il est alors
d'autant plus sensible à fuir toute autre forme
dautorité.
Le secret de la formule judicieuse réside dans une
mise à disposition qui ne s'impose en aucune
façon et qui laisse au sujet à chaque instant
la liberté de choisir lui-même les distances
qu'il souhaite.
Dans son attitude, la famille proche doit d'entrée
marquer sans aucune ambiguïté:
1) Un refus total de toute collusion avec la
secte, ses pratiques, ses idées.
Il convient d'affirmer fortement sa désapprobation
des théories de la secte et le refus de même en
discuter : 'tes certitudes sont les tiennes, jai les
miennes, nos relations ne sont possibles que si toi aussi tu
respectes mon libre choix'.
Il y a lieu de refuser toute forme d'aide
matérielle, même Indirecte, sous quelque forme
et sous quelque prétexte que ces soit, a fortiori des
aides financières: ladepte serait convaincu
qu'il réussit ainsi à vous manipuler.
2/ Lamour familial qui reste et restera
toujours intact et sans condition, de sorte que l'adepte
sache qu'il sera toujours bien reçu sil se
présente en tant que parent (et non en tant
qu'adepte).
Il sagit de bien préciser que si l'on
considère l'adhésion à la secte comme
une erreur, cela ne sera jamais imputé comme une
faute. Tout retour éventuel pourra donc se faire sans
reproches.
II y a encore un point à éclaircir en ce
qui concerne les attitudes de la famille.
Celle-ci, lorsqu'elle réalise ce qu'est la secte a
généralement - et c'est compréhensible
- des réactions très violentes.
La secte a détourné leur parent, la
'embobiné' par des manuvres déloyales,
etc...
Ce n'est certes pas faux, mais hélas personne ne
peut jamais s'en prendre au seul vrai responsable: le
gourou.
Les familles, faute de mieux, ont donc tendance à
faire porter leur haine active sur les seuls 'responsables'
directs qu'ils peuvent joindre.
Or, ceux-ci sont eux-mêmes des victimes qui ne
diffèrent en rien du nouvel adepte.
Ceci va très loin puisqu'il a pu être
établi que même au niveau de responsable
national, des adeptes sont suffisamment intoxiqués
pour croire vraiment à leur 'mission' !
Ces attaques contre des gens dont le parent-adepte est
persuadé, avec raison, qu'ils croient à ce
qu'ils disent et font, sont très mal
supportées, et ont un effet négatif.
L'action directe et isolée de ta famille sur
l'adepte, pour autant qu'il soit déjà vraiment
entré dans la secte a généralement des
résultats à peu près nuls, ou
même négatifs. Son ignorance et ses maladresses
achèvent de la déconsidérer.
II est plus intéressant d'avoir recours à
des spécialistes ou à des associations
spécialisées."
(Sectes, Les manipulations mentales - Chronique Sociale
1990)
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