L'Hindouisme et la science
Extraits de L'Encyclopédie Planète
"L'Hindouisme et la crise du monde moderne."
Par R. de Becker - Planète, 1966


Index des Origines Indiennes

Le texte qui suit a été choisi pour son intérêt historique et sociologique.
Il date en effet du milieu des années 60, époque à laquelle l'hindouisme a connu un certain regain d'intérêt de la part des occidentaux (en mal de spiritualité ?).
Planète, spécialisé dans le "surnaturel", la "spiritualité" et les sujets sulfureux s'y rapportant, publiait à l'époque une revue mensuelle et des numéros spéciaux dans sa collection "L'Encyclopédie Planète".
Quelques uns des titres de cette collection: Les sociétés secrètes, D'où vient l'humanité, La pensée non humaine, Le cosmos et la vie, Nos pouvoirs inconnus, Trois milliards d'années de vie, Profil du futur, Les médecines différentes, Histoire des magies, L'astrologie devant la science, Le mystère des rêves, Les énigmes de l'archéologie, La France secrète, Bilan du surnaturel etc.
Louis Pauwels était le directeur de la revue, Jacques Bergier faisait partie du comité de rédaction.
Vous trouverez dans le texte qui suit la référence à de nombreuses questions qui ont marqué beaucoup de "chercheurs" de cette époque.

On peut dire que, d'une certaine manière, le "Maharajisme" s'est en partie construit sur ces bases, réponse magique aux aspirations d'une génération.

Voir aussi: L'Hindouisme et l'idée de Dieu (extrait du même ouvrage).


L'hindouisme et la Science (Pages 169 - 200)

L'ensemble impressionnant d'idées et de disciplines que représente l'hindouisme repose-t-il sur des observations de caractère scientifique ou est-il seulement le fruit d'une pensée métaphysique, logique et intuitive, voire de tabous ou de préjugés irrationnels élevés au rang de vérités absolues ? Autrement dit : les conceptions fondamentales de l'hindouisme peuvent elles faire l'objet d'une vérification expérimentale, au sens donne a cette expression par la pensée moderne ?

Dans cette perspective, on songe tout d'abord a la valeur de procédés tels que le yoga, qui se sont répandus avec la rapidité d'une mode en Europe et aux Etats-Unis, à celles de techniques comme les mantras ou les yantras, et à tout ce qui se rapporte a une science des pouvoirs inconnus de l'homme, de ses possibilités latentes et évolutives. Mais d'autres questions peuvent être également soulevées : la conception des cycles ou des rythmes de la vie individuelle, historique ou cosmique, les rapports éventuels entre la conception hindoue de la transmigration des âmes et les idées occidentales de mémoire et d'hérédité, etc.

Nous n'avons pas l'intention d'entreprendre ici des comparaisons auxquelles pourraient seuls se livrer des spécialistes doublement avertis des disciplines occidentales et des disciplines indiennes. Mais il est légitime de mieux voir comment les problèmes se posent, de quelle façon le dialogue peut être amorcé et dans quelle mesure il l'a déjà été.

DEUX CONCEPTIONS DE LA SCIENCE

La difficulté de cette étude résulte de l'équivoque qui, au point de départ, risque de porter sur la notion même de science. Quoique la littérature scientifique de l'Inde ancienne, par exemple, soit la plus vaste du monde, elle a été peu explorée jusqu'à présent et on ignore si, à un certain moment, elle a pu donner lieu à des définitions méthodologiques aussi rigoureuses qu'en Occident.

D'après l'enseignement traditionnel hindouiste, il existerait trente-deux sciences, se distinguant des soixante-quatre arts par le fait quelles peuvent être "entièrement expliquées à l'aide de mots" alors que "même un sourd-muet peut réaliser un art". Les premières de ces sciences se rapportent aux lois cosmiques universelles, aux harmonies astrales ou sonores, ainsi qu'aux correspondances subtiles dont on trouve la description dans les Védas.

Mais les Védas sont aussi considérés comme révélation et, pour les brahmanes, leur signification apparente est sans grande importance au regard de leur signification symbolique: c'est dire que chaque phrase ne signifie pas seulement ce qu'elle paraît suggérer à la lecture, mais est composée de formules spéciales, dites mantras, que seuls les initiés peuvent connaître et en lesquels chaque lettre ou chaque syllabe possède un sens symbolique. Une traduction des Védas est, de ce point de vue, quasi superflue puisqu'elle ne fait que restituer, avec l'imperfection propre à toute traduction, le sens apparent des phrases sans jamais pouvoir suggérer la signification des mantras qui la composent et dont les qualités particulières sont liées à la sonorité propre du sanscrit et à sa sémantique.

C'est un peu comme si l'Occident considérait toujours la Bible comme un ouvrage scientifique et attachait moins d'intérêt au sens apparent de ses récits qu'à la valeur hermétique des lettres hébraïques, ou des groupes de lettres les composant. Cette conception des choses n'a d'ailleurs pas été étrangère à certains courants ésotériques de la tradition juive comme la Kabbale. A notre époque, un philosophe, Raymond Abellio, a même pu présenter la Bible comme un "document chiffré", mais il a dû reconnaître ultérieurement que ses recherches dans cette voie avaient abouti à l'impasse.

Tout ce que l'Inde appelle science dérive d'une façon ou de l'autre de cette connaissance révélée du Véda et, à tous les niveaux, l'on retrouve des traces d'interprétations symboliques et ésotériques. II en est ainsi pour les Samhitâs, les Brâhmanas ou les Upanisads (voir note 170), pour les Védas secondaires, où se trouvent exprimées la science médicale (Ayur-Véda), la science militaire (Dhanur-Véda), la science musicale (Gandharva-Véda) et les sciences magiques (Tantras).

Note 170: Les Samhitâs, les Brâhmanas ou les Upanisads
Samhitâ est le terme désignant une des "collections" des quatre Védas considérés comme une des expressions de la Révélation divine (sruti): le Rig-Véda, le Sâma-Véda, le Ayur-Véda et le Atharva-Véda. Il s'agit d'hymnes sacrés et poétiques dont les Brâhmanas sont des commentaires en prose, généralement attribués à des ermites de la forêt et de caractère également canonique. Leur antiquité est considérable et postérieure à celle des Upanisads.

On comprend qu'une importance capitale ait alors été attachée. à la philologie et à la grammaire qui, justement, doivent expliquer la structure du langage et découvrir les rapports du mot et du symbole, du mot et du rythme, du mot et du geste et, finalement, du mot et des rites.

Il n'est pas surprenant non plus que les divers systèmes philosophiques aient été à leur tour considérés comme des sciences, bien que ce soit à ce point qu'une certaine jonction avec la notion occidentale de science paraisse pouvoir se faire. Parmi ces divers systèmes, en effet, il en est un appelé vaisheshika ou "étude du particulier" qui s'efforce de connaître les lois universelles à partir des données de l'observation telles qu'elles peuvent être fournie par nos organes sensoriels. Mais, chose intéressante, la pensée hindouiste considérerait, selon Alain Daniélou dans son livre les Quatre Sens de la vie, que la science expérimentale est, de par sa nature, athée. Nulle observation des phénomènes ne pourrait, de ce point de vue, nous mener à croire en l'existence certaine ou probable de Dieu. Toute affirmation de Dieu sur le plan scientifique (expérimental) ne pourrait qu'être erronée.

Tout ce que l'Inde appelle science dérive d'une façon ou de l'autre de cette connaissance révélée du Véda et, à tous les niveaux, l'on retrouve des traces d'interprétations symboliques et ésotériques. II en est ainsi pour o les Samhitâs, les Brâhmanas ou les Upanisads, pour les Védas secondaires, où se trouvent exprimées la science médicale (Ayur-Véda), la science militaire (Dhanur-Véda), la science musicale (Gandharva-Véda) et les sciences magiques (Tantras).

On comprend qu'une importance capitale ait alors été attachée. à la philologie et à la grammaire qui, justement, doivent expliquer la structure du langage et découvrir les rapports du mot et du symbole, du mot et du rythme, du mot et du geste et, finalement, du mot et des rites.

Il n'est pas surprenant non plus que les divers systèmes philosophiques aient été à leur tour considérés comme des sciences, bien que ce soit à ce point qu'une certaine jonction avec la notion occidentale de science paraisse pouvoir se faire. Parmi ces divers systèmes, en effet, il en est un appelé vaisheshika ou "étude du particulier" qui s'efforce de connaître les lois universelles à partir des données de l'observation telles qu'elles peuvent être fournie par nos organes sensoriels. Mais, chose intéressante, la pensée hindouiste considérerait, selon Alain Daniélou dans son livre les Quatre Sens de la vie, que lai science expérimentale est, de par sa nature, athée. Nulle observation des phénomènes ne pourrait, de ce point de vue, nous mener à croire en l'existence certaine ou probable de Dieu. Toute affirmation de Dieu sur le plan scientifique (expérimental) ne pourrait qu'être erronée.

Cet athéisme ne gêne pourtant pas les Indiens. Il est pour eux un point de vue parmi d'autres, point de vue sans lequel la vision du monde serait incomplète, mais qui la rendrait partiale à son tour si on la tenait pour exclusive.

Chaque vérité conserve sa force et son acuité sur son plan. La seule chose indispensable est de comprendre qu'aucune vision satisfaisante de la réalité ne peut être obtenue à partir d'une seule méthode d'approche. Une telle conception est assez voisine de celle de la psychologie des profondeurs, pour qui l'attitude scientifique elle-même n'est qu'une attitude particulière, incapable à elle seule de résoudre tous les problèmes. C'est dans la même perspective générale que le yoga doit être envisagé.

DES SIÈCLES DE RECHERCHES

Dans l'Inde classique, cette conception de la science a donné lieu à des résultats théoriques et pratiques remarquables. Certes, il est impossible de vérifier aujourd'hui, notamment pour les raisons d'interprétation symbolique déjà signalées, la portée réelle de la cosmologie indienne. Celle-ci s'est livrée à des spéculations sur la structure atomique et vibratoire de l'univers, mais il serait audacieux de décider si ces spéculations reposaient avant tout sur une intuition poétique ou correspondaient aussi à des observations réelles.

A partir de ces spéculations, on vit, en tout cas, se constituer très tôt une astronomie hindoue ne devant rien à l'astrologie, celle-ci en apparaissant plutôt comme un phénomène dérivé et tardif. La plupart de ces textes sur l'astronomie semblent avoir été postérieurs aux ouvrages babyloniens, mais antérieurs aux écrits grecs. Ils témoignent d'observations remarquables sur le cours des planètes, la prévision des éclipses, le calcul des yugas ou le mouvement des équinoxes. Aryabhata mentionna que la Terre tournait autour de son axe et calcula la durée du jour avec une très faible marge d'erreur. Il indiqua même la longitude de divers continents y compris... l'Amérique. Une météorologie prévisionnelle s'était également constituée, élaborant des lois de production périodique en rapport avec les phénomènes de la pluie et des moussons.

Physiologie et médecine se constituèrent à leur tour, à partir de l'idée fondamentale qu'il existe une correspondance entre la constitution de l'univers et la constitution de l'homme. Si, à l'époque védique, les maladies se trouvent encore traitées de façon magique, l'Ayur-Véda aborde déjà les questions médicales spécifiques: extraction de fœtus morts, chirurgie générale, puériculture, toxicologie, cures de rajeunissement. Les traités se multiplient dans la suite, embrassant de plus en plus de maladies, y compris les maladies mentales et nerveuses. Mais, bien avant la grande période du w siècle, la chirurgie ayurvédique pratique, par exemple, la suture des plaies intestinales, l'opération de la pierre, la greffe du nez, l'embryotomie sur fœtus mort ou l'abaissement de la cataracte.

Non moins étonnante a été la chimie hindoue, dont l'alchimie dériva, comme l'astrologie de l'astronomie. Son point de départ semble avoir été la pharmacopée et la préparation des drogues. Mais, très vite, apparurent des techniques aussi spécifiques que la fabrication de caustiques à base de lessives concentrées, le traitement du fer ou du mercure. A Delhi, des piliers anciens témoignent de la façon dont le fer était traité dans l'antiquité indienne: pratiquement inattaquables à la rouille, ils ne contiennent qu'une proportion dérisoire de soufre et de manganèse et guère plus do phosphore.

A cette métallurgie vint se joindre, au Ve siècle, des mathématiques en avance sur tout ce qui existait d'analogue dans le reste du monde: non seulement l'Inde formula la théorie révolutionnaire du zéro et élabora le système décimal, mais elle inventa la trigonométrie et porta l'algèbre à un degré de développement inconnu des Grecs et des Arabes.

LE REFUS DU DIALOGUE

Les Indiens contribuèrent donc pour une part éminente à la constitution du patrimoine scientifique de l'humanité et leur vision religieuse du monde ne paraît pas avoir été, du moins à leur grande époque, un obstacle à leur curiosité ou à leur capacité scientifiques.

Cependant, cette efflorescence fut sans lendemain. Lorsque l'islam s'empara de l'Inde du Nord au XIIIe siècle, la décadence culturelle se trouvait déjà en route. Des siècles de paix et d'isolement géographique et politique avaient contribué à stéréotypes la pensée indienne dans des formes scolastiques, classificatoires, répétitives qui, de tous temps, furent sa plus grande tentation. L'historien indien K.M. Panikkar rappelle à ce propos les chroniques d'Alberouni mentionnant à quel point les étudiant indiens qui, au VIIe siècle, discutaient librement avec les intellectuels chinois ou autres visitant leur pays, se dérobaient au XIe siècle avec crainte et arrogance à toute confrontation. "Les Hindous, écrivait Alberouni, sont convaincus qu'il n'existe aucun pays comme le leur, aucune nation comme la leur, aucune science comme la leur... S'ils voyageaient et se mêlaient à d'autres nations, ils changeraient vite d'avis car leurs ancêtres n'avaient certes pas l'esprit aussi étroit que celui des générations actuelles." (Histoire de l'Inde, op. cit., p. 164.)

Il faut toujours tenir compte de ce coefficient d'arrogance dans toute discussion avec les Indiens. Le fait essentiel est que la science indienne se trouve une science arrêtée depuis plusieurs siècles. Qu'en ses premiers développements, elle ait dépassé la Grèce, les Arabes et, a fortiori, le Moyen Age occidental, on n'en peut douter; qu'elle conserve des zones inexplorées et puisse nous réserver des surprises, sinon des révélations, on peut le souhaiter. Mais la chose demeure à vérifier.

La contribution de savants indiens contemporains, comme celle de J.C. Bose sur la vie des plantes, de Ramanujam en mathématique ou de C.V. Raman qui reçut le prix Nobel de Physique, s'inscrit davantage dans la ligne scientifique de l'Occident que dans celle d'une rénovation ou d'un élargissement des travaux scientifiques de l'Inde ancienne. Le yoga n'a pas évolué davantage depuis cinq cents ans. Le vaisheshika, seul mode de penser hindouiste à être proche de notre démarche scientifique, pose plus a priori des lois universelles qu'il n'accepte une analyse empirique. C'est une physique scolastique. Les sciences de l'Inde n'auraient-elles donc plus qu'un intérêt historique, voire archéologique ? Comment alors expliquer le succès du yoga dont les connaissances, arrêtées depuis plus de cinq cents ans, s'imposent dans un monde dont les sciences n'ont jamais brillé d'un aussi vif éclat ?

LE SUCCÈS DU YOGA

Ce succès est indiscutable. Mais il ne signifie rien quant à la valeur réelle de la technique en cause.

Il suffit d'observer les amateurs occidentaux du yoga pour se convaincre que beaucoup d'entre eux sont des névrosés pour qui l'adoption de disciplines exotiques, l'abandon entre les mains d'un guru, le mystère de techniques inconnues constituent tout à la fois une évasion hors des réalités de leur milieu ou de leur état et un moyen d'accéder à un sentiment de supériorité les distinguant du commun. Pour la plupart, ce sont des angoissés, des inadaptés qui ne sont parvenus ni à s'accepter dans leur particularité asociale ou antisociale, ni à accepter la règle commune dont ils continuent cependant de rêver.

Beaucoup recherchent dans le yoga un simple répit contre les exigences d'une vie hyperactive. Relaxation, détente, équilibre psychophysique, santé, voilà ce qu'on en attend. Mais on ne se demande jamais si le type d'équilibre poursuivi par les yogas traditionnels n'est pas incompatible avec la vie mondaine dans laquelle on veut demeurer. Or n'est-il pas déjà une rupture par rapport à cette vie, n'est-il pas la simple antichambre d'un état de l'être auquel on se refuserait si on le connaissait ? Plus folle encore est la démarche de ceux qui, par-delà le Hatha-yoga, s'imaginent pouvoir utiliser la symbolique ou l'iconographie indiennes de certains yogas. Ils ne se rendent pas compte qu'elles ne correspondent à rien dans un inconscient occidental dont les couches historiques sont différentes. Le jeu, la pose, la comédie, quand ce n'est pas l'hystérie pure, font alors partie de l'approche. Il est significatif qu'en Occident tant d'acteurs pratiquent une forme ou l'autre de yoga: il devient alors un des aspects plus ou moins conscients de la comédie qu'ils se jouent à eux-mêmes, sans avoir le courage de la porter complètement à la scène, sinon à la vie.

II faut, bien entendu, reconnaître que, parmi les Occidentaux intéressés par le yoga, il existe aussi des personnes courageuses, capables de s'assumer et de trouver avec la société le modus vivendi qui convient. Il s'en trouve parmi elles dont la curiosité pour le yoga est désintéressée, qu'elle soit d'ordre scientifique ou spirituel. Il serait dangereux cependant de ne pas voir que la majorité des amateurs occidentaux de yoga sont des angoissés et des névrosés. Il n'y aurait pas lieu de s'en plaindre plus que de la démarche des malades de l'âme vers le confessionnal ou le cabinet du psychanalyste, si l'on pouvait être assuré que le yoga constitue vraiment le remède dont ils ont besoin.

Mais le yoga peut-il quelque chose pour nous ?

CE QUE CHERCHE L'OCCIDENTAL

L'Occident est extraverti, l'Orient est introverti, le premier masculin, le second féminin, dit-on souvent. Ce sont des simplifications. Il n'y a pas d'ailleurs qu'un Orient. Il y a des Orients; il existe aussi des Occidents. Mais que sont nos saints, nos mystiques, nos poètes, nos moines, nos peintres, nos musiciens, sinon des introvertis ? Et que dire de tant de rois, de guerriers, de mondains qui, en Inde, furent des extravertis ?

Dans ces simplifications demeure pourtant une part de vérité: il est indubitable que la science occidentale s'est plus préoccupée que celle de l'Inde de la maîtrise de la nature extérieure, celle de l'Inde plus que la nôtre de la maîtrise de la nature intérieure.

Quelles que soient la beauté, la profondeur, l'ampleur de la cosmologie védique, il est peu probable qu'elle ait beaucoup à apprendre aux maîtres de la physique atomique ou quantique contemporaine; il est plus vraisemblable que nos sciences de l'homme aient encore à apprendre du yoga, de la physiologie ou de la médecine indiennes, malgré l'arrêt de ces disciplines depuis des siècles.

Les sciences humaines sont en effet pour l'Occident chrétien une nouveauté quasi absolue. Dans mon livre les Machinations de la Nuit, j'ai montré comment, sur un point aussi important que l'étude des rêves, nul travail de quelque intérêt n'avait été entrepris sur notre continent depuis Artémidore d'Éphèse. Toute psychologie profonde fut ignorée de nous jusqu'à Freud et Jung. Ce n'est pas qu'une foule d'observations intéressantes ne se trouvent éparpillées chez nos saints ou nos mystiques tels que Ruysbroek l'Admirable, saint Jean de la Croix ou sainte Thérèse d'Avila, ou en des techniques psychologiques, mineures mais astucieuses, comme les Exercices spirituels de Saint Ignace de Loyola. Mais ces observations et ces techniques ne furent jamais entreprises pour elles-mêmes; elles furent en quelque sorte accidentelles, toujours mêlées à des considérations dogmatiques ou à une iconographie intérieure dont la signification symbolique était rarement percée.

L'Église se méfiait d'ailleurs assez de ses propres saints et de ses propres mystiques pour faire obstacle à toute étude sérieuse de l'expérience originelle, et canaliser celle-ci dans les formes stéréotypées de la théologie officielle. L'Occident fut ainsi privé pendant près de deux mille ans de toute approche sérieuse de phénomènes aussi essentiels que la vie onirique, la vie inconsciente, la vie sexuelle ou la vie paranormale. Là même où on s'y intéressa, la crainte de l'hérésie fit utiliser trop de détours symboliques: il n'est plus un ouvrage d'alchimie, par exemple, qui, pour le lecteur moderne non initié, ne se réduise à une compilation de devinettes et de rébus.

Sur le plan de la médecine et de la physiologie, on en resta pendant des siècles à Hippocrate et à Galien et si, dès la Renaissance, la marche en avant reprit, ce ne fut que dans les voies laissées ouvertes par l'autorité ecclésiastique: à savoir dans celles d'une connaissance physique détachée de la connaissance psychologique, toujours réservée aux théologiens à titre de prétendue science de l'âme.

C'est ainsi qu'on aboutit aux découvertes à la fois magnifiques et monstrueuses de la médecine et de la chirurgie modernes, disciplines mécaniques et parcellaires, trop souvent détachées de la totalité humaine qui leur conférerait un sens, considérant plus les maladies que les malades, et moins habiles dans la prévention que dans les chocs opératoires. Là aussi, il a fallu attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour voir s'esquisser, d'ailleurs sous l'influence de la psychanalyse et de la psychologie des profondeurs, voire du yoga, les premières ébauches d'une médecine psychosomatique.

Quant aux pouvoirs paranormaux de l'homme, jusqu'à ces dernières années ils furent toujours, soit niés a priori, soit rejetés par l'Église dans la catégorie des phénomènes surnaturels et des miracles. On excluait ainsi de pouvoir les considérer comme des possibilités naturelles de la personnalité. La parapsychologie, on le sait, est une des sciences les plus récentes et sa nouveauté est telle que bien des savants se refusent encore à l'admettre. Bref, il n'est pas surprenant qu'avec un pareil retard dans les sciences de l'homme, l'Occident puisse encore être fasciné par un corpus à la fois philosophique et expérimental tel que le yoga qui, bien que n'ayant plus évolué depuis des siècles, avait accumulé il y a plus de mille ans une somme d'observations, de réflexions et d'expériences à laquelle il ne put jamais être opposé quoi que ce soit de pareil sur notre continent.

L'IDÉAL DU YOGA EST-IL SOUHAITABLE ?

Mais ce yoga, qui s'élabora dans des conditions de civilisation radicalement différentes des nôtres, est-il susceptible d'être intégré sans dommage et sans déformation dans notre civilisation ?

II n'existe point un yoga mais une multiplicité de yogas. Le terme yoga signifie joug, relier, et se rapproche du latin religere dont le mot "religion" est dérivé. Mais le yoga n'est pas une religion au sens occidental du terme : on a eu raison de dire qu'on pouvait l'entreprendre tout en étant athée ou agnostique. Cependant, même dans cette hypothèse, il s'agit toujours de relier quelqu'un à quelque chose, et nullement de poursuivre une simple cure d'hygiène, de relaxation ou de santé. La question première est alors celle-ci: à quoi le yoga veut-il me relier ? Et, subsidiairement: ce à quoi prétend me relier le yoga est-il réalité ou illusion ? Et s'il s'agit de réalité, celle-ci doit-elle être nécessairement considérée comme un idéal souhaitable ?

Inexplicablement on ne trouve jamais ces questions dans l'immense littérature consacrée au yoga. Dans Spiritualité hindoue, Jean Herbert, par exemple, croit suffisant de préciser que "la jonction à laquelle vise le yoga est celle de l'homme et de Dieu ou, sous un autre aspect, celle de l'homme apparent, tel que nous le connaissons, avec sa réalité profonde, spirituelle et parfaite que, dans notre état de conscience actuel, nous pressentons à peine". (Op. cit., p. 351.) Pareils propos peuvent laisser supposer qu'il est possible à tout chercheur honnête de s'engager dans une discipline dont le seul but serait de nous faire devenir ce que nous sommes ou d'établir avec le Dieu en qui nous aurions la foi des relations d'une particulière intimité.

Cependant, à l'origine, le yoga n'est pas seulement une technique expérimentale, mais aussi une philosophie. Son but avoué est la moksha, la libération. Il faut donc se demander au préalable ce que peut être cette philosophie du yoga et en quoi consiste la libération qu'il propose.

Comme on a trouvé, au cours des fouilles de Harappa et de Mohendjo-Daro, l'effigie d'un personnage au chignon feutré, à trois yeux et assis "en lotus" ainsi que fut représenté plus tard le dieu Shiva, patron des yogins, des esprits rapides en ont déduit que le yoga n'était pas d'origine. aryenne mais préaryenne. La preuve est mince.

Les seules formulations du yoga parvenues à notre connaissance sont en fait brahmaniques et se trouvent, sous une forme d'abord allusive, dans les Védas, ensuite, de la manière la plus explicite, dans plusieurs Upanisads. De plus, il est étrange de constater que le Hatha-yoga, dont on est plus disposé que pour tout autre à trouver l'origine dans les brumes des époques préaryennes, est aussi, au moins par les ouvrages qui en rendent compte, le plus tardif des yogas (voir note 176).

Note 176: Le plus tardif des yogas
Le Hatha yoga, ou "yoga de force", aurait été créé par un personnage obscur du nom de Goraksa ou Goraksanâtha, qui aurait appartenu au tantrisme shivaïte et vécu vers le VIIIe siècle. L'ouvrage le plus ancien et le plus populaire de cette discipline est le Hathayoga Pradipika ou "Éclaircissement du Hatha yoga", qui date du XIIe siècle, tout en faisant écho à une tradition beaucoup plus ancienne; les deux autres ouvrages fondamentaux: la Gheranda Samhita, ou "Collection de Gheranda", et la Shiva Samhita sont encore plus récents. Tous trois ont été traduits en anglais. Il est encore à noter que de véritables traités de Hatha yoga se trouvent en plusieurs Upanishads tardives, notamment dans la Yogatattva, la Dhyânabindu et la Nadabindu.

Certes, en Inde, chaque ouvrage fait état de textes antérieurs perdus ou d'une tradition orale à laquelle il convient de se référer. Même les Védas dont l'antiquité est la plus vénérable font sans cesse mention d'un enseignement antérieur: "Les sages nous ont appris", "On nous a enseigné que...". Cet "on" permanent prend pour l'Occidental soucieux de découverte une singulière résonance collective et anonyme. Il reste que le Hatha-yoga, quelle que soit son antiquité, se trouve, au moins tel qu'il nous est parvenu, postérieur au yoga de la connaissance et en reprend, avec d'autres moyens, les mêmes objectifs fondamentaux. Il est donc absurde de s'intéresser au Hatha yoga sans se préoccuper de la philosophie qui l'a conditionné et des autres yogas dont il est solidaire.

Parmi ces yogas, celui de Patanjali est fondamental (voir note 177). Il est lié à la philosophie sâmkya. On a vu qu'il existe un yoga de l'Action ou Karma-yoga dont l'exposé à été fait dans la Bhagavât Gîta. Plus tard, en partie sous l'influence de l'islam et en réaction contre lui, surgit un Bhakti-yoga ou yoga de la dévotion. Il existe aussi un Râja-yoga ou yoga royal, des yogas tantriques et bouddhiques, de la main droite et de la main gauche, dont d'abondants exposés ont été faits en Europe et en Amérique. Mais ces disciplines, avec quelques nuances les unes par rapport aux autres, se proposent toutes d'arracher l'homme à la vie ordinaire, de le placer face à l'Absolu et d'en faire ce qu'elles appellent un "libéré-vivant".

Note 177: est fondamental
Les Yogasûtras de Patanjali, identifié parfois au médecin Caraka ou au grammairien du même nom, datent vraisemblablement du Ie ou du IIe siècle. Patanjali définit le yoga comme "l'arrêt" des activités de la pensée, et son but est d'aboutir à l'état de stabilité du samadhi, au-delà duquel seule la libération se trouve. Les Yogasutras étudient successivement la "position d'esprit" (samadhi), but du yoga, la "réalisation" (sadhana), qui y conduit, les pouvoirs merveilleux (vibhuti), qui l'accompagnent et l'isolement (kaivalya), qui le facilite.

Mais de quoi ce yogi veut-il être libéré et en quoi sa libération consiste-t-elle ?

ROMPRE AVEC LA SOUFFRANCE

La philosophie sâmkhya est tellement liée au yoga qu'est née l'expression Sâmkhya yoga ou yoga fondé sur la philosophie, ou encore pratique fondée sur la théorie. Cette philosophie était athée. Elle admettait les cultes populaires à titre de concessions, et les dieux comme des êtres fabriqués par l'esprit de l'homme. Mais son objectif se trouvait essentiellement la Délivrance (mukti, moksha) envisagée comme une libération des liens de la transmigration (samsara) et de la souffrance. Cette délivrance est souvent comparée au sommeil profond et sans rêves, à une sorte d'inconscience à quoi correspond précisément le samadhi ou extase que le yoga doit permettre.

Toute approche du yoga est donc superficielle si l'on n'admet point cet objectif qui conditionne ses techniques: la libération des liens de la transmigration et de la souffrance par l'annihilation des organes qui les créent. Mais combien d'Occidentaux croient à cette transmigration et mesurent en conséquence la portée des techniques qui en veulent libérer ? Voient-ils combien le seul désir d'échapper à la souffrance (hérité du bouddhisme et dont on a vu les premiers "A quoi bon ?" dans les plus tardives Upanishads) s'oppose à une attitude telle que celle de Nietzsche, qui, précisément, aux répétitions de l'Éternel Retour, voulait offrir un "oui" toujours approbateur ?

Cette croyance en la transmigration des âmes détermina fondamentalement l'attitude yoguique. D'après Manou, le meurtrier d'un brahmane entrait dans la matrice d'un chien, d'un porc ou d'un âne, le brahmane alcoolique dans celle d'un ver ou d'un insecte, le voleur de grain dans celle d'un rat, le voleur de miel dans celle d'un moustique, celui de parfum dans celle d'un rat musqué, et j'en passe. "En quelque état d'esprit qu'on accomplisse une action, on en recueille le fruit dans un corps de qualité correspondante." De telles croyances provoquaient naturellement le désir d'échapper à de si funestes destinées. Mais qui pourrait croire qu'en dehors de quelques excentriques ces croyances si proches par ailleurs de celles tout aussi puériles en un enfer et en un paradis peuvent encore trouver quelque écho dans la mentalité contemporaine ?

Ce sont cependant elles qui, avant tout autre motif, ont prétendu justifier les techniques du yoga. Peut-on dire alors que les doctrines du samsara et du karma peuvent être réduites pour des Occidentaux à une simple croyance dans les suites héréditaires de toute action ? Le yoga n'aurait-il plus d'autre but que de nous libérer des conséquences des actes héritées de nos ancêtres, de celles de nos propres actions et d'en affranchir également nos descendants ? Et l'état de samadhi serait-il le moyen le plus efficace pour atteindre cette libération ?

LA POUPÉE DE SEL DANS L'OCÉAN

En quoi peut consister le samadhi et peut-il être un état désirable ? L'hindouisme ne décrit pas un samadhi unique, mais une grande variété de samadhis. Ces samadhis se différencient surtout par leurs méthodes d'accès ou par la profondeur de leur arrachement au flot habituel des perceptions et des pensées. Mais tous possèdent cet arrachement, ce détachement ou cet éloignement comme dénominateur commun.

Le samadhi apporte-t-il vraiment à l'être un enrichissement, l'enracine-t-il davantage en lui-même ? Que l'arrêt du flux mental soit possible, tous ceux qui ont pratiqué, fût-ce occasionnellement, les techniques de concentration et de méditation à la base du yoga de Patanjali peuvent l'attester. Cet arrêt du flux mental est cependant souvent partiel, sinon illusoire. Il substitue, en effet, à la multiplicité des sensations, des pensées et des images, l'obsession d'une pensée unique, ou se: borne à refuser l'accès de ce flux à la conscience, tout en le maintenant dans l'inconscient à l'état de latence.

C'est justement sur cette possibilité de vider ou non l'inconscient que la psychologie du yoga et la psychologie moderne pourraient entrer en discussion, voire en opposition. Car si la psychanalyse peut admettre à la rigueur qu'il existe un état théorique où l'inconscient se serait vidé de ses souvenirs individuels et de ses rêves, on voit moins comment elle pourrait croire qu'il arrive à se vider de ce qui constitue ses schèmes constitutifs, à savoir les archétypes de l'inconscient collectif. Et lors même que la chose parviendrait à être démontrée, y aurait-il intérêt à réduire l'homme à cet état de vacuité originelle ? Ce serait le priver de la multiplicité de ses destins qui, s'ils peuvent être considérés à certains points de vue comme une illusion - Mâya - peuvent l'être aussi tel un plan divin et un jeu admirable de couleurs contrastées.

C.G. Jung, par exemple, croit "qu'il n'existe aucune preuve de la capacité de l'esprit humain à s'élever lui-même en se tirant par les lacets de ses bottes, c'est-à-dire à établir quelque chose de transcendant". Du moins le croit-il, si on entend par transcendant quelque état distinct de l'homme à partir duquel celui-ci pourrait être considéré ou jugé.

En ce sens, l'état provoqué par les formes extrêmes de concentration et de méditation correspondrait à leur point ultime en une conscience de l'être indifférencié ou originel qui, de tout temps, a pu être décrit comme un état de lumière ou de béatitude. Mais la psychanalyse aurait alors tendance à décrire cet état comme régressif et à l'identifier au souvenir infantile de l'état fœtal.

A priori, cela ne constitue pas pour nous une objection décisive. On peut en effet soupçonner que le souvenir de l'état fœtal vécu par l'adulte ne peut être identifié à cet état lui-même et doit avoir assimilé entre-temps, sur les deux parcours du chemin, des expériences dont la valeur peut être supérieure à celle des expériences acquises sur un seul de ces parcours. Pareil point de vue, il est vrai, est tout à fait étranger aux partisans du yoga traditionnel qui ont le plus souvent tendance à considérer le samadhi plutôt qu'un état régressif et inconscient, un état progressif et supraconscient. Certes, il n'a pas manqué d'auteurs, au cours de l'histoire du yoga indien, pour accepter le samadhi (voir note 179) comme un état d'inconscience, analogue à celui de la pierre. Mais dès les Upanishads et, plus encore avec le bouddhisme, l'idée d'une conscience absolue s'impose toujours davantage. Le samadhi permettrait alors une conscience cosmique ou divine qui, en qualité et en quantité, serait supérieure à la conscience ordinaire.

Note 179: Samadhi
Il y a deux sortes de samadhi : le temporaire dont on revient après avoir pris conscience de réalités suprasensorielles, et le samadhi réel dont on revient par une sorte de suicide par le haut, de dissolution de l'être dans la conscience universelle perçue.

Cependant, encore à notre époque, des saints hindouistes comme Râmakrishna ont été jusqu'à comparer le yogi en samadhi à une poupée de sel qui, ayant voulu goûter l'eau de mer dont elle est originaire, y entre, s'y dissout pour toujours et ne peut plus jamais raconter son expérience. A ce point, il estimait d'ailleurs qu'il n'était plus possible de conserver son corps plus de vingt et un jours. De toute façon a-t-on envie de se transformer en poupée de sel ? Quel intérêt y aurait-il à le faire et quel profit l'humanité pourrait-elle en tirer ? Certes, le yogi déclarera que ces questions sont superflues; elles sont provoquées par un attachement à la vie dont demeure absent le juste pressentiment de l'Au-delà. Mais cet Au-delà, au stade où en est l'Occident, n'a de sens que dans la mesure où il permet une conscience plus vaste et plus profonde et non un "abaissement du niveau mental", ou un état plus ou moins comateux. Même la dissolution de l'ego ne peut plus être présentée comme un idéal pour l'homme moderne qui a commencé de faire la distinction entre l'individu et la personne, bref, entre un Moi clos, séparé et égoïste et un Moi ouvert, responsable et oblatif. L'extrême facilité avec laquelle les yogas envisagent la dissolution de l'ego pourrait faire croire qu'en Inde l'ego ne s'est pas constitué ainsi qu'en Occident et que trop de leurs partisans se trouvent plus en deçà de cet ego qu'au-delà. En toute hypothèse, l'Occident veut trouver un sens à l'ego, même et surtout si ce sens ne correspond qu'à une étape intermédiaire.

En raison de l'extrême difficulté qu'il y a à distinguer un samadhi authentique d'un faux samadhi, certains arguent que le seul critère d'authenticité est la transformation du yogi au sortir de son état. Ce critère n'en est guère un, car chacun jugera de la transformation d'après ses préjugés philosophiques et moraux, c'est-à-dire en ramenant l'expérience à son propre niveau. Chez les saints et les mystiques occidentaux, l'on a souvent pu constater aussi qu'au sortir de l'extase ils éprouvaient une sorte de vision colorée et lumineuse du monde, accompagnée d'un sentiment de bienveillance universelle. Les artistes connaissent parfois des états analogues ainsi que les schizophrènes, les drogués et les alcooliques. Malheureusement, les effets de ces états sont généralement très brefs et de peu d'importance quant au cours général de l'Histoire. Il s'agit dès lors de savoir si la quête de la libération et du samadhi est de nature à conférer à l'homme des pouvoirs lui permettant de transcender sa condition ordinaire.

DES POUVOIRS MERVEILLEUX

Ces pouvoirs ont fasciné les Occidentaux. Il existe toute une mythologie occidentale de l'Inde où le fakirisme, le charlatanisme, les yogas forment un ensemble confus et scintillant. En fait, les Yogasûtras de Pâtanjali font bien état de pouvoirs extraordinaires comme conséquence naturelle des disciplines qu'ils préconisent. Parmi ces pouvoirs ou mahâsiddhi, on compte généralement la capacité de se réduire à des dimensions aussi infimes que l'atome (animâ), celle de devenir aussi léger que la laine (laghima), celle de toucher à distance n'importe quel objet, par exemple la lune (mahimâ), une volonté irrésistible (prâkâmya), la possibilité de dominer les éléments (vaçitva), l'accomplissement des désirs (kamavasâyitva), etc.

Il est cependant admis le plus souvent que ces pouvoirs peuvent constituer un obstacle plus grand à la libération que les attachements ordinaires de la vie: qui s'y arrête risque plus de devenir magicien que yogi. Mais, quel que soit l'usage proposé de ces pouvoirs, nul ne conteste qu'ils accompagnent le processus normal vers la libération et en constituent la vérification. Si extravagants que puissent paraître ces pouvoirs dans les perspectives occidentales, ils correspondent bien, au moins sur le plan de la croyance, à la logique naturelle du système. Le yoga prétend ramener l'homme à cet arrière-plan cosmique et transcendant où il parvient à s'identifier au Brahman. On doit donc admettre pour lui la possibilité d'exécuter certaines des actions de ce Brahman. Par le retour à l'état indifférencié de l'Etre, par l'identification à l'Être absolu, il doit se produire un saut hors des catégories espace-temps causalité. Mais si, au point de vue de la théorie yoguique, une telle possibilité doit être admise, les faits l'ont-ils jamais vérifiée ?

Cette vérification est d'autant plus difficile qu'au dire des Indiens, les plus grands yogis se dérobent au contact humain et préfèrent ne pas faire état des pouvoirs qu'ils détiennent. Il ne manque pas de témoignages, cependant, qui en font part, soit pour les confirmer, soit pour les infirmer.

Mme Alexandra David-Neel assura avoir vu au Thibet des fantômes créés par la concentration mentale, fantôme de cheval trottant et hennissant, fantôme de cavalier capable de parler sur la route à des voyageurs, fantôme de maison abritant des personnages réels. Elle prétendit même être parvenue personnellement, après quelques mois de pratique, à créer un fantôme de moine qui la suivait partout, qu'autrui pouvait voir et qui, ayant fini par acquérir son autonomie, lui devint hostile et lui causa les pires difficultés.

En tout cas, les récits indiens n'ont cessé de faire état de yogis capables soit d'atteindre l'immortalité ou des âges prodigieusement avancés, soit de se dédoubler, de pénétrer dans le corps d'autrui, voire de ranimer des cadavres ou de se placer eux-mêmes dans des états cataleptiques proches de la mort. Nombreux également sont les phénomènes de télépathie, de vision à distance, de prophétie que l'on a dit accompagner généralement le yoga. M. Alain Daniélou m'a assuré avoir pu constater lui-même beaucoup de ces phénomènes.

DANS LE CORPS D'AUTRUI

Il existerait encore dans les cavernes de l'Himalaya des sages ne quittant jamais leur retraite et âgés de plusieurs centaines d'années. Dans son livre l'Inde secrète, Paul Brunton cite le cas d'un certain Yerumbu Swami, encore vivant à l'époque de son enquête et dont les disciples assuraient qu'il avait plus de quatre cents ans. D'après eux, il racontait volontiers des histoires s'étant déroulées sous les empereurs mongols ou à l'époque de l'installation de la Compagnie des Indes à Madras. Il assurait se rappeler la première bataille de Panipat, où les armées de Baber défirent en 1526 les armées du roi d'Agra. Il se serait aussi rappelé la bataille de Plassey qui, en 1757, ouvrit l'Inde à la domination anglaise.

Brunton cite encore le cas d'un yogi de plus de mille ans dont les paupières, affaissées par l'âge, lui retombaient sur les yeux, ainsi que d'un Thibétain de douze cents ans qui aurait été son maître.

Mais tous les récits de ce genre sont de seconde main et lors même qu'ils seraient de première, on aurait quelque embarras à en retrouver les preuves dans un état civil inexistant.

Brunton assure cependant avoir assisté de visu à la réanimation par un yogi d'un oiseau mort. C'est d'ailleurs une tradition indienne établie: un esprit vivant peut pénétrer dans un cadavre qui, de ce fait, se réanime. On trouve de tels épisodes non seulement dans la littérature yoguique habituelle, mais jusque dans le Mahabharata. Il est possible que cette tradition se trouve en rapport avec des pratiques hypnotiques. La possibilité de pénétrer dans le corps d'autrui, en effet, ne se réfère pas seulement à des cadavres, mais à des êtres vivants qui, en raison de cette pénétration, se trouvent livrés à la volonté de qui les pénètre.

Les apparitions ou disparitions de yogins sont aussi considérées aux Indes comme fréquentes. Voici l'explication que Patanjali tente d'en fournir: d'après lui, le corps ne devient perceptible à l'œil qu'en raison de ce qu'il possède une forme et une couleur; mais, dans la mesure où, par la pratique du samyama, à savoir la concentration et la méditation ultimes sur les notions de forme et de couleur, on entre en leur possession par identification, on empêche également la lumière engendrée dans l'œil d'autrui de venir en contact avec le corps qui entend disparaître à sa perception. Il va sans dire qu'aucune expérimentation scientifique n'a été entreprise pour vérifier de telles hypothèses, celles-ci ne pouvant toutefois être rejetées a priori.

QU'EN PENSE LA SCIENCE ?

Les seules vérifications tentées dans ces domaines sont celles relatives à l'ensevelissement plus ou moins long de yogins vivants. Un des cas les plus célèbres est mentionné dans les archives de Calcutta: en 1837, un fakir fut enterré à Lahore en présence de Ranjeet Singh, dernier roi des Sikhs, de sir Claude Wade, du Dr Honigberger et de plusieurs témoins. Quoique des soldats sikhs aient monté la garde auprès de la tombe jour et nuit, le fakir fut déterré quarante-huit jours après et retrouvé vivant. Un certain Sâdhu Haridas serait aussi resté enseveli durant quarante jours, ses cheveux s'étant même arrêtés de pousser pendant ce temps.

Il n'y a là rien de miraculeux. Le yogi placé dans des fosses de ce genre ne cesse pas de respirer tout à fait. Koestler a relaté les expériences faites à Lonavla où la fosse utilisée avait suffisamment paru hermétique pour que n'importe quel humain y mourut étouffé en quelques minutes: on avait néanmoins sous-estimé la porosité de la terre autour de la fosse et l'oxygène frais y pénétrait à l'insu de tous.

D'autres expériences ont été entreprises à l'Institut de Santé mentale de Bengalore, grâce à des instruments laissés dans la fosse et permettant de mesurer les activités électriques du cerveau et du cœur, les mouvements respiratoires de la poitrine dans leurs rapports avec la température, l'humidité et la composition chimique de l'air. Le seul résultat appréciable fut qu'on put constater le ralentissement réel de la respiration, indiquant un abaissement du métabolisme basal et une mise au ralenti de l'organisme. Si le taux d'échange de l'oxygène avait diminué, les relevés électriques de l'activité cérébrale étaient demeurés les mêmes qu'à l'état normal, quoique le yogi ait prétendu être entré en samadhi. II est vrai qu'au cours des trois expériences entreprises la durée de l'ensevelissement n'avait jamais dépassé neuf heures.

On se trouve dans ce domaine face à des états où se produit non une suspension, mais une restriction appréciable de la respiration, le yogi justifiant parfois la réserve d'air dont il continue de bénéficier par la nécessité de pouvoir se tirer d'affaire en cas d'accident ou de réveil inopiné du samadhi. Toutes réserves faites, une fois de plus, sur la nature de celui-ci, on se trouve donc en présence de catalepsies volontaires, analogues, au moins apparemment, à celle des chauves-souris, des hérissons ou des ours de l'Himalaya qui, durant l'hiver, plongent dans un sommeil au cours duquel leur respiration est pratiquement suspendue. Ces catalepsies pourraient éventuellement augmenter la longévité.

C'est d'ailleurs un argument fréquent dans les milieux yoguiques : un éléphant vit plus longtemps qu'un singe, car il respire plus lentement. En Occident, on a cru découvrir aux psychotiques et aux névrotiques une respiration plus rapide qu'aux personnes normales: chacun sait qu'en colère le souffle s'accélère alors qu'il se ralentit en état de relaxation.

Cependant, le génie et les facultés créatrices étant souvent aussi plus liées à la névrose qu'à la norme, on en revient à s'interroger sur la qualité de ces états de respiration ralentie, de catalepsie volontaire, de samadhi avoué. S'agit-il d'un état plus ou moins proche de cette congélation qu'Américains et Soviétiques promettent aujourd'hui comme recette d'immortalité ? Et s'en réveille-t-on ainsi que la punaise de Maïakowski ?

RIEN NE VAUT LE TÉLÉPHONE

Patanjali mentionne encore, parmi les pouvoirs yoguiques, la possibilité de connaître l'instant de sa mort (ce qui fut également accordé à plusieurs saints chrétiens), les choses subtiles, les états mentaux d'autrui, ses propres existences antérieures, etc. Il est certain qu'à l'heure où l'on peut se promener sans effort en hélicoptère, en avion ou en fusée, l'antique faculté de s'élever en l'air ne paraît plus très actuelle. De même, la possibilité de faire disparaître la faim et la soif peut passer au second plan au regard de l'aide internationale aux pays sous-développés. C'est un Indien qui finissait par avouer: "Eh oui! je parviens, grâce au yoga, à communiquer mes pensées à mille kilomètres d'ici! Mais c'est tellement plus simple de prendre le téléphone !"

Il y a encore la lévitation. Là aussi, pourquoi ne pas prendre un ascenseur ou un fauteuil à air comprimé, ricaneront les malins. Mais enfin, Sri Aurobindo assure avoir réussi l'opération. Koestler la chercha en Inde sans en trouver que des témoignages de seconde main, remontant le plus souvent à l'enfance de ceux qui les attestaient. Notre légende dorée regorge de récits qui la relatent. Quant à notre psychiatrie, elle fait état de "visions en hauteur", dans lesquelles l'esprit croit contempler son corps de haut ou élever celui-ci. Ces visions ne correspondent à aucun phénomène physique perceptible à un observateur, à moins que celui-ci ne se trouve dans un état hallucinatoire parallèle. A ce moment, on en revient à se demander en quoi l'hallucination consiste et quel rapport objectif peut exister entre une perception physique et une image mentale.

En yoga, les phénomènes dits objectifs, au sens occidental du mot, ne manquent cependant pas: Sri Aurobindo avalait une quantité d'opium qui aurait suffi à faire planer tout Pondichéry. D'autres Indiens ont englouti avec délices et sans inconvénient de l'acide nitrique concentré ou du cyanure de potassium. D'autres encore ont produit des étincelles en se frottant les bras (chacun peut le faire avec ses cheveux) ou se sont rendus invisibles aux plaques photographiques...

UNE PHYSIOLOGIE FANTASTIQUE

Mais toujours reviendra, lancinante, cette question: à quoi peut-il bien servir d'absorber de telles quantités d'opium, d'acide nitrique ou de cyanure de potassium ? Y a-t-il là quoi que ce soit qui aille au-delà de nos monstres de foire ou de ces yogins admirables que sont les grands artistes méconnus du cirque ? Certes, on fera toujours valoir qu'il ne s'agit là que d'expériences vérificatives d'un processus dont le but les dépasse. Mais, à ce point, j'avoue que mon admiration, sinon ma tendresse, irait davantage à ces yogins - séducteurs à la François d'Assise qu'on dit capables de charmer lions, tigres ou reptiles de la jungle ainsi que le fut le loup de Subiaco par un d'jour d'hiver.

Une physiologie soutient, dans le yoga, le système entier. Tous les manuels mentionnent, en effet, des veines ou nâdis, et des chakras (voir note 184) ou centres, énergétiques, au travers desquels, du bas de la colonne vertébrale au sommet du crâne, une énergie subtile plus ou moins assimilée à l'énergie sexuelle et appelée aussi kundâlini s'élèverait tout au long du processus yoguique. La plupart des auteurs occidentaux ont cru pouvoir assimiler ces nâdis et ces chakras aux artères et aux plexus nerveux de la physiologie moderne. Cette assimilation n'est cependant fondée sur aucune preuve et, jusqu'à nouvel ordre, on serait plutôt porté à la considérer comme une physiologie fantastique, à moins qu'on ne soit tenté, ainsi que les Indiens, de croire à l'existence d'un "corps subtil" qui doublerait le corps physique.

Note 184: des nâdis et des chakras
Le mot nâdi signifie "canal", "veine", "artère" mais aussi "nerf" D'après les yogins, il existerait 72 nâdis fondamentaux, au travers desquels circulerait l'énergie vitale, sous forme de "souffles". En yoga, il est fait état surtout des nâdis idâ, pingalâ et susumnâ, débouchant respectivement dans la narine gauche, la narine droite et la suture frontale. Si l'idâ et la pingalâ portent les deux souffles autant que l'énergie subtile du corps, c'est au travers de susumnâ, canal médian, que monte la kundâlini ou énergie cosmique présente en chaque homme. Sur le parcours de la susumnâ, les exercices yoguiques font remonter la kundalini au travers des chakras, dont le terme signifie "cercle", "disque" ou "centre". II existerait ainsi six chakras, le premier étant situé dans le plexus sacré (svâdhisthâna chakra), le second dans le plexus épigastrique (manipura chakra), le troisième dans la région du cœur (anâhta chakra), le quatrième dans le plexus laryngien et pharyngien (vicuddha chakra), le cinquième entre les sourcils (âjnâ chakra) et le dernier au sommet du crâne (sahasrâra chakra ou brâhmarandhra) où s'achève l'union finale de Shiva et de sa shakti.

Pour les physiologistes et les psychologues occidentaux, il n'existe ni corps "subtil" ni corps "astral". Il n'existe que le corps dont nos sens peuvent rendre compte, fût-ce avec des instruments aussi perfectionnés que le microscope électronique. Certes, aucune expérience scientifique n'a été tentée pour observer, grâce à ce microscope, les transformations qu'une certaine pratique du yoga pourrait opérer dans les centres nerveux, dans les cordons du système parasympathique, dans la moelle épinière elle-même, voire dans les cellules de nos tissus. Qu'il y ait là un champ d'observation et d'expérimentation pour les chercheurs, on n'en peut douter.

Mais il n'est point nécessaire de les attendre pour penser que les "centres" ou "veines" du corps yoguique sont moins les plexus nerveux et les veines du corps physique que les symboles corporels créés par la concentration et la méditation en vue de la transformation de ce corps. Je crois que cette vue se trouve en accord avec celle, par exemple, de Mircea Eliade, mais j'avoue y avoir été amené par les expériences auxquelles m'entraîna jadis la lecture d'Aurobindo. Celui-ci déclare souvent, par exemple : "Concentrez-vous sur le cœur, ou au sommet de la tête, etc." Or, chaque fois qu'on se livre assez longtemps à une concentration de ce genre, on voit apparaître dans l'espace intérieur une représentation lumineuse de l'organe évoqué (ou un sentiment lumineux de cet organe) que, bien entendu, un microscope serait bien en peine d'apercevoir. Cependant, on peut admettre qu'une concentration de l'esprit sur un organe entraîne une transformation, au moins fonctionnelle, de cet organe. Toutefois, il n'est pas nécessaire d'imaginer que ces organes existent toujours tels que, par exemple, la physiologie du yoga les décrit. Ils sont l'image que l'esprit s'en fait en vue de la transformation qu'il entend leur imposer. La vision yoguique d'un organe n'est pas une vision de l'organe physique. Au moins ne l'est-elle pas toujours: c'est aussi la vision symbolique que s'en fait l'esprit projetant sur la réalité physique ses ambitions transformatives ainsi que l'ensemble des idées inconscientes qui lui sont attachées.

Est-ce à dire que cette physiologie soit entièrement illusoire ? Non. Elle correspond à l'idée d'un corps transformé ou en voie de transformation par l'esprit. Pour emprunter une terminologie mystique, on peut dire qu'il s'agit d'un "corps transfiguré" ou d'un "corps de gloire". Même du point de vue scientifique, ces expressions seraient plus adéquates que celles de corps subtil ou de corps astral. Nous avons en effet des preuves certaines de la transformation du corps physique par la concentration et la méditation, tandis que nous n'en avons aucune de l'existence d'un corps prétendu subtil ou astral, qui serait distinct du corps physique.

LE SON INTÉRIEUR

Si on cherche à comprendre l'essence de la démarche yoguique, il est plus intéressant de s'occuper d'un yoga apparemment simple, préconisé par cette Maitry Upanishad où l'on a vu poindre cet "A quoi bon ?" qui se trouve à l'origine du pessimisme indien. Précisément, la Maitry Upanishad offre en réponse à cet "A quoi bon ?" un yoga dont on parle peu en Occident, sans doute parce qu'il n'est pas spectaculaire, mais qui paraît essentiel à la compréhension de tous les yogas.

Ce yoga est celui du son. "Quand on se bouche les oreilles à l'aide des pouces, on entend le son de l'espace qui est à l'intérieur du cœur", dit le texte. Il décrit ensuite les diverses formes prises par l'apparence de ce son, dont le dépassement mène au Brahman non manifesté, considéré comme le son suprême.

Il y a une vingtaine d'années, j'avais été intrigué par une étude de Rainer Maria Rilke consacrée au Bruit originel. Chose curieuse, le poète proposait une véritable démarche scientifique à laquelle il n'a jamais été donné suite, je crois. Il suggérait de transposer sur un disque de gramophone la ligne de suture coronale du cerveau. Les sons obtenus au moyen de l'aiguille émaneraient ainsi directement de la matière - osseuse ou cérébrale - et constitueraient un "bruissement primitif". Je cite cette proposition de Rilke, moins pour la comparer au yoga du son que pour montrer comment un homme profondément intériorisé comme l'était ce poète put arriver au seuil d'une démarche proche de celle des premiers yogins. Démarche consistant à voir et à entendre non plus ce qui se trouve hors du corps, dans le monde extérieur, mais ce qui se trouve dans le corps même, dans le monde intérieur.

C'est le regard "au-dedans de soi, les yeux révulsés" dont parle la Katha Upanishad, c'est l'ouïe au-dedans de soi dont il est maintenant question. Or, il se trouve qu'intrigué par les propos de Rilke et par la découverte de ce yoga du son, je me livrai pendant près d'un mois à cette observation du son intérieur, les premières et plus brèves expériences n'ayant pas été inférieures à cinq minutes, les dernières et les plus longues n'ayant pas dépassé vingt minutes. J'espère publier un jour le résultat de ces observations qui furent poursuivies quotidiennement, mais je puis dès à présent en dire l'étonnante réalité. Dès qu'ont été identifiés les bruits dus à la pression des doigts sur les oreilles ainsi que les battements du sang dans les artères, dès qu'une immobilité suffisante a été acquise, on obtient une perception grandiose d'espace intérieur, de distance intérieure et de lumière fort proche de celle provoquée par la contemplation de l'espace sidéral. Dans cet espace retentissent des bruits d'intensité et de qualité inégales: grondements sourds analogues à ceux d'un tonnerre lointain, légers sifflements de nature quasi musicale, sonneries de clochettes, rumeur indistincte pareille à celle qu'on croit entendre la nuit en montagne ou au désert, linéaments sonores de nature quasi mélodique, chœurs lointains. Ces impressions surgissent dans la conscience moins à la manière d'un chaos que d'un cosmos, d'une force sonore en mouvement vers une manifestation d'elle-même encore inconnue.

Au bout d'un certain temps, la conscience ainsi obtenue de l'espace intérieur a tendance à provoquer une représentation visuelle des cavités internes qui, dans le corps, constituent le vide autour duquel il ne paraît plus que fragile enveloppe. L'idée surgit alors spontanément que ce vide pourrait jouer pour l'être le rôle du moyeu pour la roue. Il s'identifierait à cette force négative et immobile autour de laquelle tout s'organise. Des représentations organiques paraissant effleurer dans l'espace intérieur ainsi découvert, on en vient à se demander si nos sens, orientés vers l'intérieur, n'arriveraient pas à saisir l'univers interne, sa réalité physiologique et à en proposer une représentation directe à la conscience. La nature des perceptions sonores ou colorées obtenues dans l'espace intérieur, la façon dont celui-ci semble organisé suggèrent aussi spontanément à l'esprit une correspondance, sinon une identité, entre le cosmos corporel et le cosmos universel: le premier paraît contenir les mêmes espaces infinis et posséder la même structure que le second; celui-ci, à son tour, peut être considéré tel un Anthropos géant. Les différences entre l'un et l'autre, la qualification d'infiniment petit dans un cas et d'infiniment grand dans l'autre ne dépendraient plus alors que de la position de l'observateur.

IL FAUT CHOISIR

Je ne me suis étendu sur cette expérience personnelle que pour montrer comment s'élaborent spontanément, à partir d'observations dirigées non plus vers l'extérieur mais vers l'intérieur, un grand nombre d'idées proches de la conception du monde des yogins. Mais lorsqu'on s'engage dans cette voie, fût-ce de façon extrêmement modeste, on peut deviner qu'une exploration du monde intérieur se trouve aussi illimitée que celle du monde extérieur. On ne pourrait sans doute se consacrer aux deux à la fois.

Si, à l'époque, j'ai interrompu ces expériences, ce n'était pas en raison de leur manque d'intérêt. Mais je fus effrayé par le temps et les moyens qu'il y faudrait engager et qui exigeraient la vie entière. Dès l'instant où l'on entrevoit non plus intellectuellement, mais par un début d'expérience, l'immensité du champ interne à explorer, on ne peut douter qu'il doive s'y trouver un seuil d'où l'on ne revient plus et à partir duquel on est définitivement perdu pour le monde. Pour le yogi, ce seuil est justement celui de la libération: "Voilà l'ouverture de la porte, par cette porte on passera de l'autre côté des ténèbres [...]; quand on a ouvert la porte solaire, aussitôt après, c'est la libération." Ainsi ferait-on la découverte de "l'oiseau d'or", du cygne inégalable qui réside dans le cœur et le soleil.

C'est à partir d'expériences de ce genre qu'on peut, à mon avis, juger certaines pratiques du Hatha-yoga qui, prises en elles-mêmes, semblent absurdes ou répugnantes. Toutes ces pratiques ne s'expliquent que par une démarche diamétralement opposée à celle de nos recherches théoriques ou de nos disciplines corporelles, hygiéniques ou sportives. Ce sont toutes des techniques de rétraction et c'est dans les perspectives générales qui viennent d'être indiquées qu'il faut situer des procédés comme celui de l'aspiration d'eau par le rectum, voire de lait, de miel ou de mercure par le canal de l'urètre. Ces renversements du péristaltisme sont capables de provoquer des effets de succion dans les tractus digestifs et urinaires.

Le prânâyama, dont l'objectif est le contrôle et le ralentissement de la respiration, et la technique du vajroli, grâce à laquelle on retient ou reprend les sécrétions sexuelles pendant l'orgasme, appartiennent à cette démarche générale de retrait vers l'intérieur ou de conquête du cosmos interne. On peut, certes, en conclure avec Koestler "que le mystique indien apprend à cligner de l'anus afin de parvenir à l'union avec Brahma", mais il est sans doute plus sérieux et plus honnête de placer ces techniques physiologiques déconcertantes dans la perspective d'ensemble qui leur confère un sens.

C'est ce que montre le yoga du son. C'est aussi ce à quoi l'on peut aboutir en méditant ce texte qui, avec une force étonnante, dit toute l'opposition des démarches indiennes et occidentales: "On ne doit pas chercher à connaître la voix, c'est celui qui parle qu'on doit savoir. On ne doit pas chercher à connaître l'odeur, c'est celui qui sent qu'on doit savoir. On ne doit pas chercher à connaître la forme, c'est celui qui voit qu'on doit savoir. On ne doit pas chercher à connaître le son, c'est celui qui entend qu'on doit savoir. On ne doit pas chercher à connaître le goût des aliments, c'est celui qui connaît le goût des aliments qu'on doit savoir. On ne doit pas chercher à connaître l'action, c'est celui qui agit qu'on doit savoir. On ne doit pas chercher à connaître plaisir et souffrance, c'est celui qui connaît plaisir et souffrance qu'on doit savoir. On ne doit pas chercher à connaître les démarches, c'est celui qui marche qu'on doit savoir. On ne doit pas chercher à connaître l'esprit, c'est celui qui pense qu'on doit savoir." (Kausitaki Upanishad, III, 8.)

LA THÉORIE DES MANTRAS

Le yoga du son aide aussi, mieux que tout autre, à comprendre une des pratiques fondamentales des yogins : les mantras. Ces mantras sont des formules sonores et verbales utilisées pour obtenir des effets physiques et mentaux déterminés. D'après les Indiens; l'observation du son intérieur doit permettre de prendre conscience des vibrations profondes dont la vie de chaque être, et même de chaque objet, est constituée. Car l'univers entier est fait de vibrations, dont certaines sont perceptibles à nos sens extérieurs mais dont la plupart ne le sont pas.

On pourrait cependant, par la connaissance du type de vibration propre à chaque être ou à chaque objet, les influencer dans un sens de désintégration ou de reconstitution. Il serait même possible d'arriver à entendre le Son originel ou Verbe primordial qui aurait été émis lors du premier soulèvement du chaos primitif et qui formerait en quelque sorte le nom du Créateur. On sait que, pour les Hindous, ce Son primordial est AUM. L'idée fondamentale serait donc, selon Hans Jacobs (Sagesse orientale et psychothérapie occidentale, p. 103), qu'à partir d'une certaine densité et d'une certaine vibration, le son crée la lumière, et à un autre niveau, l'électricité ou le magnétisme. Le son vibre dans la sève qui monte dans l'arbre, comme dans les électrons de l'atome tournant autour du noyau. A un autre niveau encore, il deviendrait pensée.

L'importance accordée au nom dans la plupart des civilisations trouve son origine dans une semblable croyance en la valeur créatrice ou destructrice du son. C'est de cette croyance que dérive sans doute la théorie johannique de la création par le Verbe. Mais tandis qu'en Occident la portée pratique de cette théorie a été perdue de vue, elle a été étudiée en Inde pour elle-même et a donné lieu à toutes sortes d'entreprises plus ou moins magiques et plus ou moins vérifiables.

Cependant il serait aberrant de penser que la pratique des mantras soit purement magique et qu'il n'en existe pas des résidus se prêtant à des vérifications expérimentales. Il serait déjà surprenant que toutes les religions du monde aient utilisé pour la prière des formes de répétition verbales telles que le chapelet ou la psalmodie si ces exercices sonores n'avaient pas par eux-mêmes des effets psychophysiologiques précis. Il est à la portée de chacun de constater à quel point des tons graves ou des tons aigus produisent sur l'organisme des conséquences fort différentes.

Dans mon livre Réflexions sur la prière, ses causes et ses effets psychophysiologiques (1952), j'ai exposé les expériences de répétition verbale auxquelles je me suis livré plusieurs heures par jour durant des mois. Ces expériences aboutirent, après une tendance initiale à l'endormissement, à des phénomènes aussi mesurables que l'élévation de la température ou l'apparition du réflexe pilomoteur, sans compter les impressions subjectives de lumière, souvent éclatante, de force et de santé, ainsi qu'une fréquence accrue de perceptions extrasensorielles. Pareilles tentatives peuvent être répétées par qui l'entend et soumises à des vérifications scientifiques aisées, l'obstacle le plus sérieux étant le temps fort long qu'elles exigent. Au reste, nul n'ignore que la science occidentale a déjà découvert une thérapie "ultrasonique" pour guérir les foyers septiques. En U. R.S.S. on aurait même constaté la possibilité d'augmenter les globules rouges dans le sang grâce à la répétition verbale de certains mots inducteurs. Des médecins vont aussi jusqu'à imaginer que la maladie de certains tissus, par exemple le cancer, est due à des vibrations défectueuses et pourrait être guérie par d'autres vibrations analogues à celles des mantras.

DE TIMIDES ESSAIS

La science occidentale n'a donc pas fini de vérifier les affirmations des yogins et d'entreprendre des recherches parallèles dans le sens de cette "cosmisation" de l'homme qui, selon Mircea Eliade, correspondrait à un des sens les plus profonds des disciplines yoguiques.

Serait-ce que le yoga pourrait dès à présent être homologué par la science occidentale, que leur rencontre et leur accord seraient d'ores et déjà accomplis, que les réserves, critiques et interrogations formulées au début de ce chapitre soient dès maintenant devenues sans objet ? Il n'en est rien et la vraie confrontation est à peine commencée.

Certes, des indices encourageants peuvent être observés. Un Institut du yoga existe aussi bien à Moscou qu'à New York. Un écrivain scientifique, Efremov, a été jusqu'à réclamer une collaboration entre chercheurs scientifiques et yogins en vue d'explorer le cosmos intérieur, au même titre qu'on explore les espaces extraterrestres. Car, bien sûr, l'homme va sur la Lune, mais il ne peut y apporter que sa propre ignorance de lui-même.

Des enregistrements de l'activité électrique du cerveau ont aussi pu être entrepris sur des yogins en méditation et sur des Européens s'efforçant à des disciplines parallèles. On a pu vérifier la réalité du ralentissement de la respiration, de la circulation et du cœur. Il semblerait même qu'au moins certains samadhis puissent correspondre, d'après le tracé électrique obtenu, à une hypervigilance au-dessus de la moyenne.

Mais ces dernières observations ne sont-elles pas fallacieuses, dans la mesure où elles ne font qu'établir une correspondance supposée entre l'état électrique du cerveau et une apparence physique extérieure d'immobilité et de détente musculaire ? Nous savons aussi que certains samadhis donnent lieu à des états de catalepsie avec rigidité musculaire et, en toute hypothèse, nulle observation du tracé électrique ne dira jamais le contenu psychologique et spirituel du samadhi.

Sur le plan de la parapsychologie, des confrontations ont commencé. Cependant, le plus important pour notre sujet me paraît toujours les observations de Jung, le père de la psychologie analytique. Il est difficile, en effet, à l'Occident, d'entreprendre quelque dialogue avec les tenants du yoga sur les seuls plans de la physiologie ou de la parapsychologie, voire de la physique quantique, sans tenir également compte de cette seule démarche de la science occidentale vers l'homme intérieur, qui s'appelle la psychologie des profondeurs.

Freud ne semble guère avoir connu le yoga, tout en ayant admis la possibilité théorique de l'arrêt du flux mental qui lui en avait été signalé comme une des techniques fondamentales. Jung, en revanche, a étudié les doctrines indiennes, chinoises et thibétaines. Il a signalé ce que ses méthodes doivent au Kundâlini-yoga, au yoga tantrique du lamaïsme et au yoga taoïste chinois. Il a salué en eux "une méthode parfaite et appropriée pour fondre le corps et l'esprit en une unité qui ne peut être mise en doute".

Cependant, s'il va jusqu'à inviter les Occidentaux à étudier les yogas, il leur déconseille formellement de les appliquer. (Approches de l'Inde, in Cahiers du Sud, 1949, pp. 324-328.) Cette méfiance doit être attribuée à trois raisons: la première est, selon Jung, l'impossibilité de la métaphysique à laquelle la psychologie acculerait; la deuxième, à la différence entre l'inconscient indien et l'inconscient européen; la troisième, à l'idée que se fait Jung des difficultés existentielles propres à l'Européen.

LES OBJECTIONS DE JUNG

Que signifie la première objection ? En tant que psychologue, Jung se refuse à voir dans l'esprit une entité métaphysique et n'admet qu'une science de simples phénomènes. Certes, il ne nie pas a priori que notre esprit puisse être une manifestation perceptible de l'Esprit universel. Il nie seulement qu'on puisse savoir s'il en est ou non ainsi. D'après lui, la psychologie considère donc que l'esprit ne peut être établi ou affirmé en dehors de lui-même. Il s'agit là d'un adieu douloureux à un monde miraculeux. "La théorie de la connaissance n'est que le dernier pas hors de l'enfance de l'humanité, hors d'un monde où les figures créées par l'esprit peuplent un ciel et un enfer métaphysiques." Jung n'en est pas matérialiste pour autant. Le matérialisme est métaphysique autant que le spiritualisme. La matière est une hypothèse, autant que Dieu ou l'énergie. Tous trois sont des symboles du même principe fondamental d'existence. Le choix de l'un de ces symboles et l'exposé philosophique correspondant se font d'après la personnalité, le temps et le milieu où elle vit; ils ne sont pas le résultat d'une opération purement logique et impersonnelle. Il n'y a donc d'autre connaissance immédiate que celle de l'existence psychique. Elle seule est immédiatement vérifiable. On pourrait croire que de tels points de vue sont plus proches de la philosophie des yogins que Jung paraît le croire. Mais le yoga est malgré tout lié souvent à une métaphysique. Il affirme une transcendance à laquelle Jung considère qu'il est impossible de conférer plus qu'une signification empirique et, en quelque sorte, fonctionnelle.

Plus importante est son objection relative à la différence de l'inconscient indien et de l'inconscient occidental. Qu'est-ce à dire ? Pour la psychologie des profondeurs, l'inconscient est constitué non seulement par des souvenirs perdus de la vie individuelle mais, indépendamment des schèmes formatifs de l'espèce généralement appelés archétypes, par des souvenirs perdus de la race, de l'ethnie, de la civilisation auxquelles on appartient. Il s'y trouve donc une couche historique ou ethnique déterminant la particularité des diverses "psyché". La psyché chinoise n'est pas identique à la psyché américaine, la psyché juive à la psyché bantoue, la psyché indienne à la psyché européenne. Si, en définitive, ce sont des structures universelles qui déterminent la variété des mythes ou des symboles historiques, ces structures ne peuvent émerger qu'au travers des formes mythologiques et symboliques que l'Histoire leur a conférées. Ces formes ont une opacité et une efficacité plus ou moins grandes. Elles n'en constituent pas moins une "couche" ou une "strate" psychique qu'on ne peut escamoter et au-dessus de laquelle il est dangereux de "sauter".

En Occident, cette couche est judéo-chrétienne en première approche, gréco-latine, gauloise, scandinave, germanique au-delà. De sorte que si les images de Yahwé, de Zeus, de Jésus, d'Héraklès, d'Odin ou de Baldur, voire d'Osiris, peuvent mener l'Occidental au mode originel de comportement dont elles furent la symbolisation historique (ainsi qu'en atteste leur apparition occasionnelle dans les rêves occidentaux), celles d'Ishvara, de Shiva, de la shakti, utilisées dans certains yogas, ne peuvent lui être d'aucun secours. Non seulement Jung croit qu'un yoga pratiqué par l'Occident viole les valeurs chrétiennes qui constituent son terreau, mais il ne peut être qu'une imitation sans portée. "S'il vous est possible de vous asseoir vous-même sur une peau de gazelle sous un arbre Bo, ou dans la cellule d'une gompa pour le reste de votre vie sans jamais être troublé par la politique ou la chute de vos valeurs financières, alors je considérerai favorablement votre cas. Mais le yoga à Mayfair ou dans la Cinquième Avenue ou en tout autre endroit pourvu du téléphone est une fiction spirituelle." (Préface au Livre thibétain de la Grande Libération, Paris 1960, p. 41.)

Jung pense que, nous autres Occidentaux, "nous ne sommes pas constitués pour utiliser correctement ces méthodes" et que si quelque chose d'analogue au yoga doit un jour s'élaborer en Europe et en Amérique, ce sera sur des antécédents historiques différents de ceux de l'Inde. Dans le cas inverse, nous satisferions simplement notre tendance occidentale à acquérir, à "prendre", afin d'introduire ce que nous ne comprenons pas dans nos âmes stériles. Il se méfie des ponts que l'on prétend jeter sur des abîmes béant. Il craint que le brusque passage d'un Occidental profondément ignorant de sa nature intérieure au niveau psychologique évolué du yoga, ne fasse de lui un Oriental de comédie, semblable à ces Européens ratés dont nous présentent l'image tant d'Orientaux qui ont voulu sauter d'un coup de leur Moyen Age économique et social au modernisme que nous leur avons importé.

La troisième objection de Jung est encore plus importante. Certes, dit-il, le yoga se propose d'unifier en l'homme la nature et l'esprit, et l'Occidental a particulièrement besoin d'une technique permettant cette unification. Mais les méthodes yoguiques s'efforcent de renforcer le contrôle de l'esprit sur la nature et les prétentions de la conscience. De même, dans le bouddhisme, tout doit finir par se résoudre "en conscience". Or, s'il n'y a point d'inconvénients à ce que l'Oriental s'engage dans cette voie, la nature n'ayant jamais été dissociée chez lui de l'esprit, il n'en est pas de même pour l'Occidental. Jung considère que ce dernier, s'il a obtenu une connaissance et une maîtrise incomparables de la nature extérieure, est demeuré sourd et aveugle à l'égard de la nature en lui. "Ce qui manque à l'homme occidental, dit-il, c'est une reconnaissance consciente de sa subordination à la nature extérieure et intérieure. Ce qu'il devrait apprendre, c'est de ne pas faire exactement ce dont il a envie et, s'il n'apprend pas cela, sa propre nature le détruira. Il ne connaît pas sa propre âme, entrée maintenant en rébellion contre lui jusqu'à l'anéantissement."

Des méthodes telles que le yoga ne pourraient donc, selon Jung, qu'augmenter cette crispation du conscient déjà si excessive chez l'Occidental. Si celui-ci ne peut accueillir sa nature intime et sa fantaisie intérieure (s'exprimant par l'inconscient et non par le conscient), s'il ne peut briser l'étroitesse de sa vision de l'homme et du monde, il s'engage dans des aventures où sa propre nature le trahira. Il court à sa destruction autant qu'à celle de la civilisation. Voilà le sens de l'avertissement dramatique de Jung à propos du yoga.

ILLUSION OU MENSONGE ?

Je ne suis pas sûr que toutes les critiques de Jung portent d'égale façon sur tous les yogas, dont la variété est grande. Il n'est pas certain, par exemple, qu'elles s'appliquent aux yogas de tendance érotique qui visent une sacralisation de la vie instinctive. Mais ils concernent à n'en pas douter les yogas ascétiques qui, précisément, sont ceux que l'on répand le plus en Occident.

Les buts que se proposent la psychologie analytique et les yogas demeurent fondamentalement différents, dans la mesure même où la première cherche à utiliser les images et les fantaisies surgies de l'inconscient comme des germes en vue de l'action, tandis que les yogas s'efforcent de "brûler" ces germes et de délivrer ainsi de toute destinée nouvelle. Il y aurait malentendu, par exemple, à croire que l'on puisse identifier le Soi de la psychologie des profondeurs et le Soi de la philosophie brahmanique ou des yogas.

Si, pour Jung, le processus d'individuation est le chemin où s'affrontent, s'expliquent et tentent de s'emboîter le conscient et l'inconscient, le Soi devient le point où la jonction s'accomplit et qui soude l'individu en un tout indestructible. "Le Soi, écrit-il, est notre totalité psychique, faite de la conscience et de l'océan infini de l'âme sur lequel elle flotte. Mon âme et ma conscience, voilà ce qu'est mon Soi, dans lequel je suis inclus comme une île dans les lots, comme une étoile dans le ciel." Il ne s'agit donc nullement du Soi védique, impliquant identité de l'Atman et du Brahman, de l'individuel et de l'universel. La perspective demeure dualiste, relationnelle, jusque sur le plan psychologique où elle entend se maintenir.

C'est dire que Jung nie la possibilité de cette conscience universelle dont font état les revenants du samadhi. Pareille conscience est pour lui une contradictio in adjecto, car toute conscience suppose un objet. Il admet que le samadhi puisse élargir la conscience et lui permettre des perceptions inhabituelles, extrasensorielles ou non. Mais il affirme aussi qu'il la rend plus diffuse et moins claire. (La guérison psychologique, p. 271.) S'il invite le Moi à prendre conscience de ses conditionnements et de son intrication universelle, il se refuse à tout ce qui pourrait le dissoudre dans une "surconscience" qu'il conteste et identifie à un état crépusculaire. Sans nier que le yoga soit capable, dans une certaine mesure, de contrôler jusqu'aux opérations inconscientes, de sorte que rien ne puisse se produire dans la psyché qui ne soit dirigé par une conscience suprême, il estime que cela n'est possible qu'à la condition de devenir identique à l'inconscient. Le samadhi n'est plus, dès lors, qu'un état de rêve dépourvu de signification, ce qui, par ailleurs, correspond à bien des descriptions qu'en offrent des textes indiens. Jung défend jusqu'au sein du Soi la valeur de l'ego et de la conscience qui lui appartient, conscience que l'Inde a tendance à considérer comme un état d'avidyâ ou d'ignorance. Il va dès lors jusqu'à proclamer la "valeur divine de l'égoïsme" dans lequel il dépeint la voie royale vers ce silence peuplé qu'exige, pour se produire, toute expérience religieuse originelle.

Jung met encore en garde contre l'indifférence morale à laquelle mène le yoga supérieur. Ce que nous avons appris de la Bhagavât Gîta ou des yogas tantriques et érotiques indique à n'en point douter que les yogas mènent, en effet, à une telle indifférence. II est impossible de s'identifier à ce qui est la cause du Bien ou du Mal sans se situer par-delà le Bien et le Mal. Reste à savoir dans quelle mesure la morale ou plutôt les morales correspondent à quelque utilité pour qui veut atteindre la suprême libération, si elles ne constituent pas, ainsi que Abellio a pu le soutenir, la pire des illusions et le pire des mensonges.

SRI AUROBINDO ET LE YOGA INTÉGRAL

Il eût été étonnant que toutes ces critiques, ces interrogations n'aient fini par trouver quelque écho auprès des yogins eux-mêmes. C'est le cas de Sri Aurobindo. Dans son ouvrage la Synthèse des yogas, Aurobindo propose une définition du yoga assez différente de celles auxquelles nous sommes accoutumés. Tandis que ces définitions s'inscrivaient en quelque sorte dans une représentation spatiale du type "II faut relier ceci à cela", celle d'Aurobindo se place sur une ligne évolutive, où le mouvement devient capital. Il commence par dire que toute vie est un yoga, ce terme signifiant pour lui l'effort entre pris spontanément par la nature pour atteindre sa perfection, réaliser ses potentialités, s'unir avec son essence divine. Mais si toute vie est un yoga, à quoi peuvent correspondre les disciplines ainsi dénommées ? Aurobindo fait sienne l'affirmation de Vivekananda, pour qui tout yoga doit être compris comme un moyen pour l'homme de condenser le cours entier de son évolution dans les quelques années ou les quelques mois d'une vie corporelle unique. Encore une fois, on retrouve là l'idée de la transmigration des âmes, dont il s'agirait moins de fuir la réalité que d'accélérer les processus.

Aurobindo estime dès lors que les méthodes du yoga sont à celles de la nature ce que le maniement scientifique de la vapeur, de l'électricité ou de l'atome sont, par exemple, au libre jeu de ces forces. Tous les yogas sont pour lui des procédés psychologiques fondés sur une loi de la nature et susceptibles d'en faire résulter des pouvoirs nouveaux et latents que les modes habituels d'activité ne révèlent que rarement.

Aurobindo prend à son compte la critique occidentale selon laquelle l'évasion hors de la vie est généralement considérée non seulement comme une condition nécessaire du yoga, mais comme son objet principal. "Nous voyons dans l'Inde, dit-il, en quelle incompatibilité totale sont tenues la vie dans le monde et la croissante perfection spirituelle." Certes, il admet, au moins théoriquement, que les yogas offrent la possibilité d'une harmonisation victorieuse de l'attrait extérieur et des exigences intérieures. Mais les exemples, dit-il, en sont fort rares et, en fait, "lorsqu'un homme, tournant ses regards et ses énergies vers les profondeurs prend le chemin du yoga, il est considéré par tous comme inévitablement perdu pour les grands courants de l'existence collective et pour l'effort séculaire de l'humanité".

Cet aveu est précieux: il rejoint nos interrogations autant que les avertissements de Jung. Cependant, Aurobindo ne rejette nullement cette idée fondamentale de l'Inde pour laquelle il existe une vie plus haute que celle de la vie mentale. Pour lui, l'intelligence n'est pas la conquête ultime de l'évolution, sa fin dernière. Il ne voit en elle, comme dans le corps physique, que de simples instruments pour aller plus loin. Ce "plus loin" est l'existence en soi de la Vérité pure et lumineuse par elle-même, ce qu'il appellera "le surmental" et, enfin, le "supra-mental", rejoignant par là les vues traditionnelles: Sat-Chit-Ananda, la suprême réalité se définissant comme Existence pure, Connaissance pure et Jouissance pure. Mais cette suprême réalité n'est pas seulement une fin de l'évolution, elle en est l'immanence qui se libère. Une telle libération resterait cependant imparfaite et ne serait que fuite hors de la substance si elle n'était suivie d'un retour vers celle-ci, pour en transformer les activités tout en les exaltant. L'immanence n'aurait guère de raison d'être si, en effet, elle n'opérait pareille transfiguration. L'objet du yoga est cette transfiguration.

AUROBINDO FAIT DES RÉSERVES

Aurobindo voit la pensée à l'œuvre jusque dans la matière inanimée. Il admet que l'Europe, en ayant imprimé à la matière une signification évolutive, a remporté sur elle une des plus grandes victoires qui se puissent concevoir. Inversement, les sociétés spiritualisées de l'Orient correspondent à un triomphe de l'esprit qui, cependant, est demeuré largement stérile dans la mesure où tant d'âmes de qualité ont appauvri la vie sociale en s'éloignant d'elle ou l'ont troublée par un progrès brusque et momentané. "Depuis plus d'un millénaire, dit-il, la vie spirituelle et la vie matérielle de l'Inde ont coexisté sans souci de la pensée progressive." Tandis que sous la robe du sannyâsin l'individu obtenait le droit à une liberté quasi absolue, la société, elle, recevait le droit à l'inertie et à l'immobilité du conservatisme intégral.

Les écoles de yoga n'allèrent pas, selon lui, au-delà du compromis avec la société et ne rompirent jamais le pacte qui les liait à elle: pourvu que l'âme individuelle pût se libérer, l'organisation sociale ne fut jamais mise en cause. De sorte que le jour vint, dit Aurobindo, "où la divine Providence dut placer de force le pays des yogins et des sannyasins en contact avec l'élément auquel il était le plus étranger, celui de la pensée progressive, afin que, par l'effet rigoureux et obligatoire de ce contact, il puisse recouvrer ce qui lui manquait". La libération individuelle implique dès lors une libération de l'humanité et le yoga, se généralisant, permet la victoire finale de la nature sur ses propres mystères et ses propres retards. "Alors, s'écrie-t-il, s'ouvriront les temps légendaires, l'Age d'Or et l'Age de Sagesse, âges de Vérité manifestée en tous ses symboles où, le Grand Oeuvre accompli, la Nature se reposera, heureuse et illuminée, trouvant son apogée dans l'homme."

Ne discutons pas ce futurisme lyrique, mais revenons aux raisons pour lesquelles Aurobindo juge les yogas traditionnels inaptes à y mener. S'il s'agit du Hathayoga qu'il place "au bas de l'échelle", il reconnaît que les résultats sont de ceux qui, frappant le regard, en imposent facilement à la mentalité du vulgaire. Mais "quelle valeur, demande-t-il, peut avoir cette acquisition de biens purement physiques: jeunesse prolongée, possibilités accrues de vitalité, de santé, de longévité, s'ils sont recherchés pour eux-mêmes, conservés avec avarice, à l'écart de la vie commune et non pas jetés pour le bien de tous dans le grand courant des activités mondiales" ? Et d'ajouter: "Le hatha yogi obtient des résultats appréciables, mais à un prix exorbitant pour une utilité presque nulle".

Quant au Râja-yoga, dont l'antique objectif était le contrôle de la conscience tant sur les états et les activités de l'être intérieur que sur ceux de l'être extérieur, Aurobindo lui reproche une confiance excessive en des états de transe anormaux qui éloignent de la vie physique, seul fondement solide de toute conquête mentale ou spirituelle.

Le samadhi n'est pas épargné dans cette critique. Celui-ci ne permet pas, au dire d'Aurobindo, de transporter jusqu'au sein des travaux de la vie normale, la plénitude d'expérience obtenue dans les arrière-plans de la vie et de la conscience. L'adepte du Bhakti-yoga, lui aussi, s'absorbe d'une autre façon dans la pure transcendance supra-cosmique ". Et le Karma-yoga, qui, certes, est capable de faire participer l'individu au grand labeur universel d'une façon détachée de tout égoïsme, aboutit cependant souvent à une abdication de l'existence phénoménale.

Même les Tantras ne trouvent pas grâce à ses yeux. S'il reconnaît que, par eux, l'individu ne fuit plus la réalité de la Nature manifestée mais lui fait face et tente de la conquérir, il déplore que ce yoga ait laissé son principe s'absorber et se perdre dans son mécanisme: il est devenu un assemblage de formes et de formules occultes, puissantes encore pour une pratique correcte, mais déchues de leur haute et pure destination originelle.

UN IDÉAL DE BOY-SCOUT ?

Aurobindo a prétendu rejeter des yogas traditionnels ce qui s'y trouvait, à son avis, contraire à une saisie progressiste de la vie et du monde, tout en s'emparant de leurs éléments techniques compatibles avec les buts terrestres qu'il se propose désormais. Cette démarche a donné lieu à un yoga intégral qui répond dans une large mesure à certaines des préoccupations occidentales, mais qui, à ce titre même, est l'objet d'une vive réprobation dans les milieux de l'orthodoxie. Cette tentative de "synthèse" n'aboutit-elle cependant pas à neutraliser les effets les plus puissants des yogas traditionnels et à les ramener à un syncrétisme assez fade, dont les emprunts au moralisme anglo-saxon et à l'évolutionnisme de notre pensée laissent rêveur ?

Dans l'ashram de Sri Aurobindo, à Pondichéry, vivent plus de quinze cents disciples, d'une manière qui a troublé bien des visiteurs; elle s'apparente, au moins extérieurement, au style de vie qu'on a été accoutumé de voir dans les Jamborees scouts, les casernes de Komsomols ou les camps de jeunesse hitlérienne.

Il reste que le yoga intégral d'Aurobindo demeure le seul écho de quelque importance qu'aient eu en Inde les interrogations occidentales. Si considérable que soit cet écho, si décisive que puisse être à certains égards l'œuvre du sage de Pondichéry (peut-être plus d'ailleurs sur le plan de la pensée que sur celui du yoga), je ne crois pas qu'elle ait entamé le véritable dialogue de l'Inde et de l'Occident.

Sur le plan psychologique, par exemple, Aurobindo a jugé Freud et la psychanalyse avec une condescendance hautaine qui s'apparente davantage aux condamnations ex cathedra de quelque syllabus qu'à une discussion fondée sur des connaissances réelles. Dans sa correspondance avec ses disciples ou dans ses œuvres doctrinales, on n'a jamais l'impression qu'il soupçonne même ce que peut signifier, par exemple, l'analyse des rêves au sens occidental de cette expression. Mais, précisément, Aurobindo croit, autant que les autres Indiens, à un corps subtil ou à un corps astral, ainsi qu'à une supra-conscience contestés formellement par la psychologie des profondeurs. Sans doute, un simple problème de vocabulaire peut se trouver à l'origine de bien des malentendus. A ma connaissance, une première confrontation des données de la psychologie aurobindienne et de celles de la psychologie jungienne a été entreprise par le Dr Indra Sen dans France-Asie, mais l'entreprise est demeurée à l'état d'ébauche.

Malgré les critiques, les yogas présentent, à n'en point douter, la plus haute expression de la science indienne. Mais cette science a été élaborée selon une méthodologie étrangère à la pensée occidentale et toujours liée à des considérations métaphysiques qu'elle ne peut homologuer. Cette méthodologie a été largement expérimentale et ses résultats peuvent souvent faire l'objet de vérifications. En ce sens, le yoga est plus pour l'Occident un objet de science qu'une science en elle-même, et les premières vérifications obtenues par des savants authentiques ne peuvent encore être considérées qu'à la façon d'approches extérieures et superficielles. L'essence du yoga, en effet, n'est pas scientifique, au sens occidental. Elle est spirituelle. Le yoga est une connaissance pratique orientée vers l'homme intérieur, tandis que notre science est une connaissance pratique orientée vers l'extérieur. Accéder au yoga est donc impossible par la voie de la connaissance extérieure. Cet accès n'est possible que par l'expérience interne.

A ce point, bien des objections jungiennes à l'égard de la pratique du yoga par les Occidentaux paraissent valables. Ce qui n'exclut nullement, ainsi qu'il a été dit, une étude utile et fructueuse des yogas, ni même qu'en des sortes de collèges ou de monastères d'un type nouveau une libre élite entreprenne de se consacrer aux explorations intérieures. Mais je partage l'opinion du maître de Zürich, pour qui l'Orient nous aura vraiment appris quelque chose lorsque nous aurons compris que notre propre psyché contient assez de richesses pour ne pas devoir être influencée par l'extérieur. Il nous est possible d'évoluer avec ou sans grâce divine et notre esprit introverti contient son propre pouvoir d'autolibération.

Une fois cette base acquise, le dialogue pourra vraiment devenir fécond. Le samadhi est-il un état de supra-conscience ou un état crépusculaire de conscience diffuse et élargie ? Existe-t-il plusieurs états de conscience (voir note 200) ? Le samadi atteint, est-on perdu pour le monde ou est-il possible d'y revenir libre et en possession d'un acquis qu'on ne possédait point auparavant ? La voie ascétique ou la voie érotique est-elle la meilleure pour l'Occident ? L'ego est-il perdu ou transfiguré dans ces expériences ? Le JE quotidien a-t-il quelque rapport avec un JE transcendantal que le samadhi révélerait ? Ce retrait vers l'homme intérieur et la possession qu'on en acquiert sont-ils un tremplin pour un processus accéléré de l'évolution ? La "cosmisation" de l'individu qui s'y opère lui confère-t-elle des pouvoirs inconnus, les facilite-t-elle ou élargit-elle des perceptions extrasensorielles demeurées rares dans la vie habituelle ?

Telles sont les questions auxquelles il serait présomptueux de vouloir aujourd'hui répondre, mais dont il faut être reconnaissant aux yogins de nous les poser.

Note 200: plusieurs états de conscience
La tradition hindouiste admet quatre états de conscience: la conscience de veille, la conscience du sommeil avec rêves, la conscience du sommeil sans rêves et la conscience cataleptique. Paradoxalement, Patanjali assigne comme but au yoga "la suppression des états de conscience". Pour beaucoup d'écoles, ceux-ci sont en nombre illimité. Ils se référeraient tous cependant à trois types d'expériences distincts: celui des erreurs et des illusions (rêves, hallucinations, perceptions erronées, etc.), celui des perceptions habituelles dites normales, celui des perceptions extra-sensorielles déclenchées par la pratique du yoga. La considération de la multiplicité des états de conscience est peu familière à la psychologie occidentale. Jung considère toutefois que la récupération par la conscience des contenus inconscients dévoilés par le rêve ou par d'autres moyens aboutit à un état de conscience supérieur à l'état de veille habituel. Un psychologue américain, Daly King, a prétendu, dans son livre The States of Human Consciousness (New York, 1963), pouvoir apporter la preuve scientifique de l'existence d'au moins quatre états de conscience: l'état de sommeil, l'état de veille, l'état d'éveil et l'état de conscience objective ou cosmique.

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