- L'Aliénation Sectaire -
N° Spécial Mai 2001 de Combat
Sommaire


II - Enquête
Au cœur d'Elan Vital,
secte du gourou Maharaji



Il était une fois la secte Elan Vital
Le jour où j'ai vu Maharaji au Palais des Congrès
La reconversion hasardeuse du gourou Maharaji
Une pseudo-philosophie mal déguisée en projet d'émancipation individuelle
Les fameuses techniques de la Connaissance
Management & Performance: une SARL pleine d'élan
Chronique de la fortune de Maharaji

Reproduction avec l'autorisation du magazine Combat

Au cœur d'Elan Vital,
secte du gourou Maharaji

Répertoriée par le rapport de la Commission nationale sur les sectes de l'Assemblée nationale de 1995, Elan Vital est en réalité particulièrement mal connue des pouvoirs publics et des associations anti-sectes elles-mêmes. Les pages qui suivent doivent beaucoup à un concours de circonstances: la rencontre entre notre rédaction et des adeptes d'origines variées (dont quelques-uns communiquent entre eux sur le site Internet ex-premies.org), la collecte de documents inédits, l'infiltration de réunions d'adeptes auxquelles aucun journaliste n'avait jusqu'ici réussi à participer. Mieux, nous avons réuni des informations jamais publiées, de sources différentes.

Elan Vital, association Loi 1901, ne menace pas directement l'ordre public, en France. Cependant, nous révélons dans cette deuxième partie un mouvement dont l'emprise sur les adeptes est particulièrement puissante. Sa force: il n'est pas fondé sur un dispositif de contrainte physique mais tout entier sur l'alimentation constante d'une auto-illusion des adeptes en faveur d'un culte total du gourou Maharaji.

La secte continue d'avoir une activité régulière en France: cependant, elle ne parvient pas à réussir sa transformation d'une ancienne Mission de la Lumière Divine issue des années 70 à un mouvement moderne d'enseignement de techniques de méditation éventées. Elle regroupe encore des centaines d'individus, souvent

issus de catégories socialement favorisées. Par ailleurs, certains de ses animateurs se trouvent être aussi des dirigeants d'entreprises de formation.

Enfin, Elan Vital, qui prône la méditation pour accéder à la "Connaissance" de soi, abrite en son sein des adeptes douteux - quant à leur moralité mais aussi quant à leur appétit d'argent - dont nous avons rencontré certaines victimes. Si elles n'ont pas recours à la justice pour obtenir réparation - d'autant plus que la réparation n'est pas toujours possible, loin de là -, nous ne pouvions le passer sous silence dans cette introduction.

Sources
La conception et la réalisation de ce numéro doivent beaucoup aux témoignages d'anciens adeptes d'Élan Vital (ou de la Mission de la Lumière Divine) et à certains "premies" qui ont accepté un échange. Certains d'entre eux témoignent dans la troisième partie de ce numéro. Qu'ils soient ici remerciés pour leur contribution décisive et leur confiance. L'anonymat de certains d'entre eux. pour des raisons de sécurité, entre autres, est et sera totalement garanti.
Ce numéro a aussi bénéficié des conseils de Thierry Meyssan, président du Réseau Voltaire. Parmi les sources documentaires. il faut citer le site Internet des ex-Premies, les mouvements et associations de lutte contre les sectes.


Il était une fois la secte Elan Vital

Entièrement vouée au culte du gourou Maharaji, Elan Vital développe des techniques de manipulation sophistiquées.
Gilles Alfonsi

Déclarée le 23 janvier 1990, Elan Vital est une association Loi 1901. Initialement, il s'agissait de "faire connaître un enseignement ayant trait à la connaissance de soi". Selon ses statuts modifiés en décembre 1995, elle a désormais pour objet de "promouvoir l'enseignement de Monsieur Prem Pal Rawat concernant la compréhension et l'accomplissement du potentiel humain, à travers la connaissance de soi". L'objet ainsi défini est confus mais la réalité - témoignages et documents à l'appui - est limpide : Elan Vital est la continuation de l'ancienne Mission de la Lumière Divine (Divine Light Mission, DLM, MLD en France), mouvement tout entier dédié au culte du gourou américain d'origine indienne surnommé Maharaji. Elan Vital ne dit pas autre chose sur son site Internet : "(...) le premier nom de l'association en France, Mission de la Lumière Divine, était la traduction littérale du nom du mouvement créé en Inde, en 1960, à l'initiative des disciples du père de Maharaji", Shri Hans Ji Maharaj.


Les sièges sociaux d'Elan Vital changent souvent, mais les administrateurs français sont des fidèles, la plupart issus de la MLD. P. Dubois, comptable, trésorier, accueille le siège social (39 rue du Mont-Cenis à Paris). L. Monnier, menuisier, est le président ; D. Fortuno, responsable de l'administration du personnel, est depuis l'origine la secrétaire de l'association. P. Gervais de Lafond, directrice commerciale, J-M Toustard, agent commercial, A-M Glime, responsable commerciale, et D. Basiliou, conseiller commercial, sont les autres membres du Conseil d'administration.

Cependant les démissions se succèdent, pour des motifs bien différents, au cours des dernières années. Trois démissions en 1999 : C. Oufrani, informaticien, C. Arheix, consultant, et M. Levitte, consultant en Management et ancien président du mouvement (voir encadré ci-contre). Les deux derniers, il est vrai, ont beaucoup à faire, avec leurs occupations professionnelles, au sein de leur boîte de formation Management & Performance (voir page 28). Auparavant, J.M. Kahn (voir notre entretien page 32) et M. Hurel, directeur financier, avaient démissionné en 1997.

L'association fait les choses en règle. Les déclarations en préfecture sont dûment effectuées, la marque Elan Vital a même été déposée à l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) par Maître D. Couturier le 10 octobre 1990. Les fichiers font l'objet d'une déclaration à la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés. P. Boquié, qui héberge les moyens centraux et périphériques pour le traitement informatique des données à Elancourt (78), n'a pas de soucis à se faire : il peut tranquillement saisir les données suivantes, sur chaque adhérent ou sympathisant : profession, diplômes, compétences et savoir faire professionnel, expériences et fonctions occupées au sein de l'association, mais aussi les noms et prénoms des personnes inscrites au fichier habitant à la même adresse et, plus surprenant, la "date à laquelle l'intéressé a reçu les techniques de la Connaissance". Dans la déclaration officielle, cette dernière information fait l'objet d'un renvoi : "La Connaissance est le nom donné par Prem Pal Rawat, plus connu sous le nom de Maharaji, au moyen pratique d'aller en soi, qu'il offre à toutes les personnes intéressées. Ce moyen permet à chacun de découvrir son identité intérieure".

Seul hic, alors que l'association souhaitait conserver toutes ces données "jusqu'à ce que l'intéressé demande sa radiation du fichier", le 10 décembre 1999, la CNIL lui rappelle "que la Commission estime que, s'agissant de la durée de conservation des informations relatives aux sympathisants d'une association, que les coordonnées de ces derniers ne doivent pas être conservées si la personne n'a plus pris contact avec le groupement pendant une période pouvant aller jusqu'à trois ans".

Activités
L'action du mouvement consiste exclusivement à promouvoir, sous des formes diverses, le message du gourou. Et Maharaji parle beaucoup : par cassettes audio et vidéos et lors d'événements organisés de manière spontanée (sic !) par les disciples. Enfin, des livres de photos, avec quelques phrases poétiques (assez rudimentaires) sont publiés.

Dans les jolies brochures d'Elan Vital destinées aux sympathisants, on explique que "l'emprunt des vidéos est gratuit" et l'on demande simplement "une contribution pour couvrir l'ensemble des frais postaux" (50 francs tout de même). Mais quand il s'agit de "recevoir la Connaissance", il est recommandé de se préparer, en suivant les "enseignements entièrement gratuits de Maharaji" : pour cela, il faut se procurer les mille et une cassettes dont une brochure (voir page 21) fortuitement glissée dans vos courriers vous indique les tarifs. On peut compter sur Visions International, F. Podguszer ou sur la médiathèque située à Marseille pour obtenir tout le nécessaire. Visions International, qui est, selon le site d'Elan Vital, une branche d'Elan Vital Etats-Unis, a pour but "d'assurer la production et la distribution de matériels pour la diffusion de l'enseignement de Maharaji".

Il est aussi écrit : "La poursuite ou non de l'enseignement n'est aucunement liée à une quelconque adhésion à l'association", mais on engage fermement à se doter de l'outillage nécessaire pour accéder, chez soi, aux retransmissions satellites. Cependant, les projections vidéos et les retransmissions par satellites continuent, dans de beaux hôtels de Neuilly, de Paris ou de Pantin par exemple. La charte de l'association Elan Vital fait référence à la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et insiste sur la base de gratuité de l'accès aux conférences même si "pour certains événements particuliers, l'association peut suggérer une participation aux frais d'organisation".

Tout cela serait peut être amusant si des milliers de citoyens français n'avaient été, des années durant, embringués dans un dispositif enfermant, vouant leur vie au gourou, hier dans des ashrams ("abris"), aujourd'hui dans des sortes de réunions tuperwares autour de cassettes vidéos.

Dans un chapitre intitulé "la loyauté dans le contrat", le rapport 2000 de la Mission interministérielle de Lutte contre les sectes considère le processus par lequel une organisation de type sectaire étend son emprise sur un individu ou sur un groupe. Il identifie trois étapes : la première est celle d'attirance et de séduction ; la deuxième est celle d'accoutumance et d'intégration ; la troisième est celle de dépendance et de coercition. Dans le cas d'Elan Vital, ce modèle fonctionne tout à fait : ici, pas de violence ni de scandale, mais une aliénation douce, qui tient compte, apparemment, de la volonté de la personne mais qui, dans les faits, crée "un lien de dépendance psychologique, matérielle et financière, avec une réduction de la liberté d'appréciation et de décision, en opposition aux principes d'autonomie de la volonté et de loyauté des clauses contenues dans les contrats établies".

Elan Vital est répertoriée par la Commission parlementaire sur les sectes, parmi les mouvements d'importance moyenne (entre 100 et 500 adeptes). En réalité, l'organisation compte en France très probablement entre 1000 et 2000 adeptes, et le nombre de ses sympathisants, bien moindre que durant les années 70, doit osciller entre 2000 et 3000. Elan Vital est donc, au regard d'autres sectes, un mouvement de moindre importance. Il n'en est pas moins un bon exemple d'organisation aliénante.


Le jour où j'ai vu Maharaji au Palais des Congrès

Une conférence du gourou Maharaji, c'est un show où rien est laissé au hasard. Lors de sa dernière tournée, il a une fois de plus laissé un souvenir «impérissable». Pour son porte-feuille ?
Inspecteur Voitou

Palais des Congrès, porte Maillot (Paris). Dans le Grand Amphitéâtre, l'assistance tarde à se disperser. Seuls quelques adeptes d'Elan Vital sont sortis rapidement : pour apercevoir la voiture du gourou Maharaji ? Pour s'isoler après un moment captivant ? Pour ne pas être vus ? Trois mille personnes environ se lèvent peu à peu après trois heures d'un événement très attendu depuis trois ans : une halte de Maharaji à Paris, dans le cadre d'une de ces tournées internationales qu'il "affectionne" (sic), un moment de pratique de la "Connaissance" en présence de celui qui, seul, peut vous permettre de réaliser la paix intérieure.


L'association Elan Vital, aidée de la Fondation Elan Vital, structure internationale de la secte, sait mettre les petits plats dans les grands. L'événement est planifié depuis des mois. Il a été annoncé aux premies ("amoureux") par lettre. Depuis, les responsables régionaux et locaux sont tous tendus vers cet objectif : réussir l'événement, car Maharaji n'intervient que devant des salles pleines. Le rendez-vous est réservé aux premies, c'est-à-dire aux adeptes ayant reçu la Connaissance : quatre techniques de méditation (voir page 26) qui font qu'un simple aspirant devient un pratiquant, dépositaire d'une expérience secrète. Elan Vital tente d'éviter la venue de personnes innopportunes, grâce à des formulaires de réservation.

Dimanche 24 septembre, veille du grand jour : les premies sont venus confirmer leur inscription, et prouver leur affiliation. Ils se sont vus proposer la "Smart Card", système informatique dont l'objectif est de pouvoir participer aux projections vidéos sans avoir chaque fois, à montrer pattes-blanches.

Lundi 25 septembre : les panneaux d'affichage du Palais des Congrès indiquent simplement "Elan Vital : Grand amphithéâtre". Dès l'ouverture, les premies peuvent accéder aux tables où l'on vend des souvenirs et, surtout, des cassettes vidéos. Retrouvailles entre adeptes : on ne s'était pas vus depuis longtemps. Des hôtesses vous conseillent, dans la langue qui vous convient. Les casques de traduction sont disponibles. Les contrôles sont discrets mais les hommes à oreillettes sont partout. Même pour remplir la salle, tout est planifié : un plan d'installation est distribué.

La salle est bouclée, la séance sera comme chaque fois, émouvante et bien rodée. Diaporama, intermèdes musicaux, et intervention de Maharaji, dont certains participants font discrètement remarquer que la traduction du discours "n'est pas terrible". Par dessus la tête d'un premie, on lit sur un joli papier glacé la description d'Amarro, terre promise des premies en Australie : "L'environnement naturel (...) offre un cadre paisible où la communication avec lui peut prendre une forme spontanée. Des efforts considérables ont permis la mise en place de l'infrastructure à partir de laquelle le développement des installations de conférence et d'hébergement sur le site a pu s'effectuer. (...) Pour aider à la préparation des événement à venir et pour participer au développement du site d'Amarro, je souhaite effectuer le versement suivant..."

Les participants sont, pour plus du tiers d'entre eux, étrangers, souvent venus d'Angleterre, d'Italie et, plus rarement, des pays scandinaves. La génération des 40 - 55 ans est de loin la plus nombreuse. Les jeunes sont assez peu nombreux, les retraités encore moins. Le milieu social est ici nettement supérieur à la moyenne. Le costume trois pièces (décontracté) pour les hommes et la robe brochée pour les femmes sont la règle. Cadres, ingénieurs, dirigeants de PME, commerçants, artistes - on croise un acteur bien connu, tout de noir vêtu -, constituent une bonne part des participants.

Progressivement, la salle finit donc par se vider. Le staff d'Elan Vital est soulagé. Dehors, c'est la ruée sur la propagande soigneusement disposée sur les tables. Ici, procurez vous le pack de trois cassettes - identiques - de Maharaji, là quelques cassettes audios, quelques photos du Maître en pleine ascension spirituelle et, si vous avez les moyens, le bel album photo de Maharaji, édité à Hong Kong (en vente au prix de 250 francs). L'argent coule à flot dans les caisses des gentils organisateurs. Une facture vous est remise sur demande (voir plus bas).

Certains premies vont plutôt vers les tables qui présentent le dispositif mis en oeuvre par la société Visions International Europe pour la retransmission satellite de l'enseignement de Maharaji. Les possibilités sont extraordinaires et l'équipement confortable, vous expliquent les démonstrateurs du "spécialiste de la retransmission par satellite en Europe" : "Il suffit d'une parabole, d'un récepteur digital avec une carte de décodage Viaccess et d'un téléviseur." Et une brochure précise : "Actuellement, des conférences sont retransmises par satellite une fois par semaine et sont reçues dans plus de 70 pays dans le monde entier. En Europe, les émissions sont reçues dans 800 domiciles privés (soit environ 3000 spectateurs) et près de 2900 personnes réparties dans 90 villes assistent aux retransmissions organisées localement par Elan Vital ou d'autres organisations européennes à but similaire". D'autres encore discutent discrètement : "T'es toujours là quand il faut".

L'assemblée semble avoir été indifférente à la brève information parue dans Libération, deux jours plus tôt, qui annonçait : "La France, pays de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, est aussi une terre d'asile... pour le gourou indien Maharaji, dont l'association française Elan Vital figure parmi les 200 groupes sectaires du rapport parlementaire de 1995. (...) le marchand de New Age arrivera en France en milliardaire, dans son jet privé, pour une journée-conférence le 25 septembre. (...) la conférence devrait, entre autres, comporter des réponses sur «la beauté qu'éprouve le gourou à vivre pleinement sa vie». Vu ses conditions de déplacement, on peut imaginer que l'Elan Vital induit des transports aussi spirituels que matériels..." Et l'existence du site des ex-premies est encore assez largement ignorée des participants.

Le Grand amphithéâtre est désert. Les caméramans d'Elan Vital ont rembalé leurs matériels depuis longtemps. On s'éparpille dans les cafés, le métro, on se retrouvera chez l'un chez l'autre pour finir la soirée... inoubliable ?

Palais des Congrès, Porte Maillot

Rien n'est laissé au hasard : aux entrées du Grand amphithéâtre, quelques oreillettes guettent l'intrus. Des comptoirs «carte d'accès» permettent à ceux qui ne possèdent pas la «Smart Card», sésame ouvre-toi d'Elan Vital, de se procurer un badge d'accès.


Des tables - information européenne, besoins spéciaux, satellite, participation...- permettent de se procurer les derniers supports vidéos, audios et papiers de la multinationale.

Combien ça coûte ? Combien ça rapporte ?

La location du Grand Amphithéâtre du Palais des Congrès s'effectue par journée ou demi-journée. La base 2000 pour une demi-journée est, en configuration 1813 places, de 61 200 francs hors taxe en après-midi et de 87 200 francs hors taxe en soirée et, en configuration 3723 places, de 84 460 francs hors taxe en après-midi, 115 500 francs hors taxe en soirée. Ces prix incluent l'aménagement de la salle, l'éclairage ambiant, la sonorisation, le nettoyage et la climatisation. Pour l'événement d'Elan Vital, la seconde configuration avait été choisie. Il faut ajouter à la location de la salle les prestations sur commande (projections d'images, la signalisation etc.). A raison d'une moyenne de 350 francs de participation par adepte, l'événement a rapporté autour de 800 000 francs. Une jolie plus-value...

Ci-dessus: Lors des événements, Elan Vital remet des factures, sur demande. Inspecteur Voitou a donc demandé la sienne. La TVA a été oubliée ... A droite : Brochure de commande de cassettes audio et vidéo et de CD de musique. Les copyrights sont tantôt ceux d'Elan Vital, tantôt ceux de Visions International.


La reconversion hasardeuse du gourou Maharaji

Sympathique réseau au service d'un professeur de méditation ou organisation tentaculaire au service de l'enrichissement d'un despote, l'ancienne Mission de la Lumière Divine tente une reconversion hasardeuse. Au péril de la foi ?
Pascal Damoinet

En 1973, dans Actualités Divines, le journal de l'ex-Mission de la Lumière Divine, devenue Elan Vital en 1983, on glorifiait "le Maître parfait" pour "Lui montrer notre reconnaissance sans borne pour le trésor infini qu'Il nous a donné si généreusement et pour Sa Grâce qu'Il ne cesse de répandre sur nous tous Ses disciples". Le gourou n'était alors personne d'autre que l'incarnation vivante (du fils) de Dieu : "Pensons que dans une vingtaine de jours, le monde entier va fêter l'anniversaire de Jésus Christ - le Maître parfait d'il y a 2000 ans - dans une profusion de viandes, d'alcool et de fumée et qu'à cette occasion la plus grande opération commerciale annuelle doit avoir lieu. Réalisons que le Maître Parfait de notre époque est là... vivant... qu'Il va avoir 16 ans, et que nous sommes Ses disciples."

La Une de "Connaissance"',
l'une des publications de l'ancienne
Mission de la Lumière Divine.

L'enjeu financier était abordé sans complexe : "Mahatma Ji dit souvent qu'aux Indes, les gens, qu'ils soient ou non disciples - ne viennent jamais devant Guru Maharaj Ji ou un de Ses Mahatmas les mains vides. Nous devons toujours nous souvenir de cela et surtout, à l'occasion de l'anniversaire du Maître Parfait. Il nous faut faire le maximum pour pouvoir lui offrir de merveilleux cadeaux. (...) les disciples sont donc tous invités à constituer la cagnotte qui doit permettre cela".

Schisme familial
En 1974, la mère de Maharaji, Mata Ji, désavoue le mariage de son fils avec une hôtesse de l'air américaine, Marolyn Johnson, à laquelle il a donné le titre de "Durga Ji" (nom d'une déesse indienne). Le frère aîné de Maharaji, Bal Bhagwan Ji, est chargé par sa mère de prendre en main la destinée de la Mission de la Lumière Divine. Il devient, après une période d'implication dans la vie politique indienne, "Satpal Maharaj", nouveau gourou délivrant la Connaissance. A cette période, Maharaji perd provisoirement de nombreux disciples en Inde.



Développement
Le mouvement eut le vent en poupe dans les années 70, à l'époque des Beatniks, des voyages en Inde, de la libération sexuelle et des lendemains qui chantent. Maharaji rassemblaient les foules, de meetings en festivals. A l'époque, le discours était creux ou drôle. Il faisait écrire au Figaro, le 18 juillet 1978 : "Car la source qui les unit, disent-ils, c'est cet Indien joufflu et presque imberbe, grand amateur de voitures de sport et d'avions à réaction, qu'un spirituel échotier qualifiait récemment de «moitié boudin, moitié Bouddha». Guru Maharaj Ji - seigneur de l'Univers, roi de la Paix, révélateur de la Lumière, incarnation divine, tels sont les titres que lui donnent ses dévots - devenu maître parfait à l'âge de 8 ans, sans avoir jamais lu la Bhagavad Gita, et dont les prédications étonnent par leur platitude".

Reconversion de Maharaji et de son appareil
Maharaji, ancien maître parfait, incarnation de Dieu sur terre, promettant d'instaurer sans délais la Paix universelle et le Bonheur pour tous, s'est changé en professeur de méditation, soucieux de partager la Connaissance.

L'époque a changé, nécessitant des adaptations successives qui ont désorientés les plus fidèles sans permettre le renouvellement des masses d'aspirants et de premies. Elan Vital n'a plus les apparences vieillotes mais séduisantes d'une philosophie lointaine, ni d'une mystique. Autrefois, son gourou revêtait les habits festifs de l'Inde croyante : il ressemble désormais à n'importe quel cadre de banque.


Maharaji a toujours de l'éloquence, une capacité peu commune à parler de tout, pour ne rien dire en vous convainquant que son jeu touche votre être. Mais c'est un clown dont le show semble avoir déjà été vu et entendu mille fois.

Reste cependant qu'Elan Vital réussit encore à réunir plusieurs centaines d'adeptes pour ses soirées vidéos. Chaque semaine, les projections pour aspirants ou pour premies réunissent quelques dizaines de personnes, à l'hôtel Campanile de Pantin ou à l'hôtel Bedford près de la Madeleine par exemple. Il y a donc toujours quelques nouvelles recrues, aimablement enca-drées par les rescapés des années 70 et 80. Un cercle un peu plus éloigné du noyau central sera toujours fidèle, lui aussi : quelques individus dont aucune association soucieuse des personnes ne voudraient mais qui sont de longue date des bienfaiteurs et des financeurs de l'association.

Et pourtant, pour Elan Vital, les Droits de l'Homme sont devenus une référence. Une charte indique même que l'association fait du respect de la personne humaine une valeur fondamen-tale, et que son action est conduite conformément aux principes de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Est-ce pour conjurer le mauvais sort qui fait s'interroger ainsi, à la lecture des brochures du mouvement : mais qu'est-ce donc que cette secte-là ?

Des ramifications provinciales de la secte continuent d'exister. Et une organisation européenne capable de planifier des événements, comme la venue de Maharaji le 25 septembre dernier à Paris, au Palais des Congrès, dispose d'une logistique et de moyens importants. Cependant, pour remplir les salles, les coordinateurs du mouvement ratisse des disciples de toute l'Europe.

Elan Vital, c'est aussi une affaire familiale. Ci-contre, Daya, une des filles de Maharaji, chante au service de son père.

L'espoir
Bien que l'organisation joue profil bas, ses opposants, réunis notamment autour du site Internet des ex-premies, deviennent incontournables. De nouvelles recettes sont mises en place : la retransmission par satellite d'émissions hebdomadaires, sous réserve d'acquisition onéreuse du matériel indispensable et d'un abonnement. Là, l'opération est maligne : elle lève partiellement le problème de la discrétion, elle renforce encore l'apparente liberté du premie ; elle s'appuie sur des technologies que chacun, dans notre société, se doit désormais d'utiliser. Aussi trouve-t-on dans les réunions récentes organisées par Elan Vital, quelques jeunes brebis, de catégories sociales supérieures le plus souvent.


Une pseudo-philosophie mal déguisée en projet d'émancipation individuelle

Le sentier spirituel proposé par Maharaji, à travers une réthorique pseudo-philosophique, s'apparente à un bricolage discursif teinté d'histoires drôles. Surtout, il annihile l'ambitieuse recherche d'une paix intérieure, la quête du bonheur dont il se veut le dépositaire des clefs.
Gilles Alfonsi

La "pensée Maharaji" correspond-elle à une version originale de l'Hindouisme ? Est-elle un dérivé lointain du Bouddhisme, une synthèse des grands courants religieux ? Ou, à l'inverse, constitue-t-elle un matérialisme spirituel, empreint d'une vision égocentrique de la spiritualité, et qui, en définitive, trahirait la recherche de bien être de ceux qu'elle séduit ?

Le discours du gourou est tout entier tourné autour de l'idée de la révélation par lui, d'une Connaissance secrète réservée à l'élite des "premies" (les "amoureux"). Beaucoup savent que derrière la Connaissance se cachent en fait quatre techniques de méditation banales, pratiquées depuis des siècles dans d'autres traditions spirituelles. Ainsi, après avoir été annoncées et magnifiées, les techniques sont enseignées, autrefois par les représentants du gourou, les Mahatmas, désormais par Maharaji lui-même au cours de séance de méditation collective, ou par DVD interposé.

Les préconisations de Maharaji quant à la pratique des quatre techniques qu'il promeut renvoient à des exercices de concentration, de gymnastique mentale comme il en existe des dizaines dans les religions d'origine orientale. Chögyam Trungpa, un des maîtres iconoclastes du bouddhisme tibétain parle ainsi de ce type de pratiques : "A la fois en Inde et au Tibet s'est développé un soi-disant système de méditation que l'on pourrait appeler concentration. Cette pratique de la méditation consiste à focaliser l'esprit sur un point particulier, de telle sorte que l'on devienne capable de mieux contrôler l'esprit, de se concentrer. J'appelle ce type de pratique «gymnatisque mentale» parce qu'elle n'essaye pas d'aborder dans sa totalité n'importe quelle situation de la vie. Elle se fonde entièrement sur ceci et cela, le sujet et l'objet, plutôt que de transcender la vision dualiste de la vie. Ces pratiques concourent largement à renforcer l'ego, même si ce n'est pas leur but conscient." Et, concrètement, il affirme : "Une telle pratique peut s'avérer dangereuse. La pratique est trop lourde, et peut facilement devenir dogmatique, en ce sens que ceux qui s'y engagent pensent en terme de discipline imposée. Cela produit une attitude mentale compétitive, ce qui est une approche plutôt dogmatique et autoritaire. (...) Nous sommes fascinés, aveuglés et submergés par le but idéalisé".

En second lieu, la place donnée aux pratiques de méditation dépasse largement la fonction qui leur est généralement dédiée dans les systèmes de croyances traditionnels. Elle omet l'avenir promis habituellement aux techniques de méditation : pour Chögyam Trungpa, "La technique est comme un jouet d'enfant. Lorsque l'enfant grandit, il abandonne son jouet." Ainsi, "La technique est nécessaire pour commencer, mais il est aussi nécessaire qu'à un certain moment elle tombe au loin. En d'autres termes, il nous faut apprendre à désapprendre."

Alors que le sentier de la spiritualité est, pour Trungpa, l'apprentissage du laisser être, chez Maharaji, toute une série de gadgets matériels focalisent l'attention et scandent le temps de l'adepte. L'on vient pour recevoir la Connaissance, pour écouter la parole du maître, c'est-à-dire pour être nourri.


Le schisme avec l'Hindhouisme est patent : pour Maharaji, un élève, un dévot ou un disciple DOIVENT DEVENIR des réceptacles. Ici est le sens qu'il donne lui-même à son action : soumettre ses ouailles à sa personne. Il y a là une importante différence avec l'approche de la relation maître - élève chez les bouddhistes, par exemple : être un réceptacle, dans la pensée bouddhiste tibétaine, c'est s'ouvrir pleinement à soi et s'ouvrir au monde, c'est-à-dire être prêt à recevoir les enseignements (et non une bonne parole). Trungpa parle d'abandon et explique : "On n'a pas à se répartir entre apprentis-savants et ignorants. L'acte fondamental de l'abandon n'implique pas que l'on révère une puissance extérieure. On donne plutôt prise à l'inspiration, de telle sorte que l'on devient un réceptacle vide dans lequel peut être versée la connaissance". Ici, il est question d'une relation amicale entre le disciple et son maître spirituel et la connaissance ne prend pas de majuscule. Le maître est l'accompagnateur et le témoin du cheminement spirituel de son élève. Là où Maharaji lance un discours devant des centaines ou des milliers d'adeptes, la relation considérée par Trungpa doit être directe et singulière, parce qu'elle est échange.

En troisième lieu, cette relation ne devrait pas être infantilisante :"Nous essayons de nous attacher aux différentes situations pour garantir notre sécurité. Peut être considérons-nous quelqu'un comme notre bébé, ou bien, d'un autre côté, aimerions-nous être considérés comme des enfants en bas âge, et sauter sur les genoux de quelqu'un. Ces genoux peuvent appartenir à un individu, une organisation, une communauté, un maître, quelque figure parentale. Les relations de soi-disant "amour" entrent généralement dans l'un de ces deux moules : ou bien quelqu'un nous nourrit, ou bien nous nourissons les autres. Ce sont des modes erronés, distordus, d'amour et de compassion." Trungpa oppose à ce type de relation l'idée d'être simplement "ce que vous êtes" et met en garde contre ce qu'il nomme l'amour-prosélyte qu'il oppose à l'ouverture fondamentale de la compassion : "s'ouvrir sans rien exiger".

Enfin, là où on conçoit que l'accompagnement sur le chemin spirituel ait une fin, Elan Vital indique à toute personne intéressée que les "techniques de la Connaissance ne sont pas suffisantes en elles-mêmes car elles ne représentent qu'une partie de la richesse de l'enseignement de Maharaji. Sans une compréhension profonde de ce qu'apporte le maître qui les enseigne et une aspiration à découvrir la réalité intérieure à laquelle elles mènent, elles se révèlent inutiles".

Dans ces conditions, quelles fonctions assurent le discours Maharaji ? Une fonction sécurisante, une fonction de nourriture égocentrique, avec un fort sentiment de participation à l'avènement d'un miracle, tout ce que les penseurs bouddhistes incitent à éviter, au travers précisément, de la méditation.

Au lieu d'être, tout simplement - sic ! - on devient spectateur d'un bavardage, où l'humour assoit le pouvoir du gourou en même temps qu'il distrait de l'essentiel - une quête spirituelle ou simplement une volonté de paix. Les habitués viennent chercher là un discours déjà cent fois entendu, lors des projections vidéos par exemple : là où dans les traditions bouddhistes, on parle de la conceptualisation comme d'un étiquettage qui solidifie notre monde alors qu'il s'agit, au contraire, de se dégager de toutes contraintes normalisatrices, Maharaji vient toujours avec les mêmes mots et les mêmes anecdotes.

Le sentier spirituel devrait être, d'abord, solitaire et individuel, mais Elan Vital organise des événements collectifs et il n'existe aucune parole autonome des disciples. Ces moments ne servent donc qu'à asseoir la légitimité du gourou. C'est une piètre ambition spirituelle, encore, par rapport à d'autres traditions, où le maître n'est pas quelqu'un qui guide, qui marche devant soi, ni un élément extérieur sur lequel on s'appuie, mais un accompagnateur. Ainsi, là où tout le discours d'Elan Vital est à la gloire du gourou, un authentique parcours spirituel pourrait consister précisément à dépasser la fascination et l'attente envers le Maître. C'est avoir un esprit "simple et naïf" que de considérer que le gourou est de son côté, que lui est sage et qu'il fait des choses pour soi. Cela mène tout droit à une vénération, un fanatisme, qui n'a rien à voir avec la disposition à être dont le moment de prosternation est en principe l'expression dans bien des mouvements religieux.


Les fameuses techniques de la Connaissance

La mise en scène de l'enseignement des quatre techniques qui forment la Connaissance relève du registre de l'auto-illusion.
Pascal Damoinet

Pour Maharaji, les quatre techniques ici décrites forment la Connaissance, expérience extraordinaire de méditation qui permet d'accéder au Bonheur. Il s'agit en fait de pratiques de méditation très anciennes tirées des Ecritures hindoues : la Lumière, la Musique, le Saint-Nom et le Nectar. Chaque adepte est appelé à consacrer une heure à ces pratiques le matin et une heure le soir.

Dans la première technique, il s'agit de se concentrer sur le "troisième oeil", situé au milieu du front et d'attendre de voir apparaître sa "lumière intérieure", d'inspiration divine. La seconde technique, qui vient du courant de l'Hindouisme Radhasoami, consiste à se concentrer pour entendre les "chants célestes". Les deux premières techniques étaient aidées par un Baragane, support en bois destiné à éviter la fatigue des bras.

La troisième technique est une concentration sur le souffle. L'adepte se tient droit, il ne force pas sa respiration et porte toute son attention sur celle-ci, pour être "conscient de son existence à chaque instant". La technique s'appelle aussi le Verbe, et c'est, dans la littérature Yoguique, un classique (qui prend le nom de Kewali Kumbhak).

La quatrième technique consiste à faire remonter le bout de sa langue vers son palais jusqu'à atteindre la cavité derrière la glotte. Certains adeptes, notamment en Inde, se faisaient couper le frein de la langue afin de la pratiquer effectivement. Cependant, la plupart se contentaient de remonter la langue le long de leur palais.

La pratique régulière de ces techniques serait une source de paix intérieure, une façon d'exercer sa gratitude envers son maître et de révéler son potentiel d'amour envers lui. Il est conseillé aux adeptes de pratiquer le Saint-Nom et le Nectar le plus souvent possible, sans attendre le matin ou le soir. Certains adeptes racontent d'ailleurs s'être surpris à pratiquer les techniques sans y avoir pensé, comme certains fumeurs se surprennent une cigarette à la main, sans avoir voulu fumer.

Révélation
L'enseignement "prochain" de la Connaissance par le gourou Maharaji est annoncé aux aspirants comme un cadeau précieux, qui implique préalablement deux engagements : le premier est de lui "donner une chance", c'est-à-dire de la pratiquer ; le second est de ne pas la révéler. La Connaissance est magnifiée : la recevoir est un privilège qu'aucun adepte n'est en mesure de mériter et qui est directement lié à la rencontre avec le "prophète" Maharaji.

Pour être parmi les heureux élus, il fallait être bon dévot. Jusqu'au milieu des années 80, les instructeurs (dénommés Mahatma en Inde) avaient le pouvoir de révéler la Connaissance au nom du Maître. A l'issue d'un Satsang - cérémonie dédiée au Maître -, l'instructeur demandait quels adeptes souhaitaient recevoir la Connaissance. A ceux qui étaient acceptés, il indiquait un rendez-vous au cours duquel, devant une photo de Maharaji, l'Instructeur montrait les quatre techniques qui faisaient de chacun un premie (un amoureux). Les adeptes racontent cette expérience comme un moment de joie intense, de fierté d'avoir été choisi.

A partir du début des années 90, Maharaji interdit aux instructeurs de révéler la Connaissance et en devient le seul propagateur. Les instructeurs, dont certains prenaient sans doute trop de libertés, sont cantonnés à réaliser une présélection des futurs premies.

Darshan
A l'occasion d'événements particuliers, les disciples défilent un par un aux pieds de Maharaji pour les baiser et pour faire une offrande (financière). Cette pratique, aujourd'hui rarissime en Europe mais qui continue en Inde, revêtait une importance particulière : elle était le seul contact physique d'un disciple avec lui.

D'autres cérémonies particulières sont aussi organisées, comme Holi, fête traditionnelle hindoue, qui consiste à ce que Maharaji arrose la foule des premies habillés en blanc avec un canon à eau colorée. L'anniversaire de son père et le sien sont enfin deux autres occasions de discourir.


Première des quatre techniques reprises des traditions hindouistes par Maharaji, la Lumière consiste, partant des bords extérieurs de chacun de ses yeux, à rapprocher progressivement son pouce et son index jusqu'au creux des yeux, puis à poser son majeur au milieu du front.


La deuxième technique reprise par Maharaji consiste à placer ses deux pouces contre ses oreilles et progressivement à aposer l'ensemble de ses doigts sur son crâne. Il s'agit de se mettre à l'écoute de soi.

Commentaire : heureux soit celui qui médite...

Il convient ici de préciser que personne n'a à juger quiconque qui utilise des techniques d'apaisement, de repos ou de méditation : chacun est libre de ses mouvements et, d'ailleurs, chacun est libre de croire en ce qu'il veut.
Dans la secte Elan Vital comme dans d'autres mouvements sectaires, la magnification de ces techniques et l'ensemble des méthodes «d'enseignement» promues par les gourous ont en fait pour finalité d'asseoir leur pouvoir totalitaire.
Ce qui est en cause, donc, ce n'est pas la croyance de chacun et ses pratiques, c'est l'instrumentalisation de la foi, le contrôle sur les êtres, toutes formes d'aliénation que les mouvements sectaires utilisent, mais que l'on retrouve dans bien des séminaires dits de motivation et des stages de management... Là encore, comme sur bien d'autres pages de ce numéro de COMBAT, il est question de mettre à jour des aliénations véhiculées non seulement dans des groupes marginaux mais par les idéologies dominantes.


Management & Performance : une SARL pleine d'élan

Management & Performance, entreprise spécialisée dans la formation des adultes et la formation continue, est dirigée par d'importants responsables d'Elan Vital. Elle revendique des clients prestigieux.
Gilles Alfonsi

Au 202 de la rue de la Croix-Nivert dans le 15ème arrondissement de Paris, le siège de Management & Performance ne paye pas de mine. Et pourtant, la SARL affichait, lors de son assemblée générale du 15 mai 2000 une très bonne santé...

Site Internet
Sur son site Internet, Management & Performance se présente comme bien d'autres entreprises de formation, avec cependant une rhétorique assez pauvre. On y présente un fameux "système de Performance Success Insights", outil de gestion des ressources humaines qui permet de "transformer les facteurs humains en facteurs de succès pour le bénéfice de l'individu, de l'équipe, de l'entreprise avec des résultats opérationnels". L'offre de formation est "conçue pour valoriser la richesse et la complémentarité des différences, optimiser les relations et les systèmes". Il s'agit par exemple, au sein d'une équipe, de "favoriser l'adéquation entre le projet personnel et le projet d'entreprise".

La méthode a, selon le site, une double inspiration : elle allierait les travaux de Carl Jung sur les types psychologiques et la théorie des traits de William Marston. Elle relève en fait de la "psychologie" comportementale : "L'analyse de la perception de soi et du regard des autres engendre naturellement une amélioration de la communication et des comportements (...) Par la justesse de leur analyse, ils constituent de solides outils de management de soi-même, d'autrui et des situations". Un outil informatique est destiné à "générer un diagnostic". La "Roue Success Insights" permet d' "identifier 60 types de comportements distincts", afin de "comprendre la dynamique d'une personne en relation avec son environnement". Les applications de la méthode sont possibles dans de nombreux domaines : management (des personnes et des équipes), ventes et relations commerciales, aide au recrutement, gestion des potentiels, communication et relations interpersonnelles, efficacité personnelle...

Langage des couleurs
Un test est proposé à l'internaute. Inspiré de la "méthode Success Insights", il permet de découvrir les "principes du langage des couleurs". Choisissez vos deux couleurs préférées - appelées "couleur dominante" et "couleur associée" - et l'on dressera à la minute votre profil, qui ressemble fort à un horoscope. Ayant indiqué "Vert - Bleu", par exemple : "Loyal et discipliné, vous vous montrez très efficace pour planifier et faites preuve de constance. Le changement ? Oui, à condition que le bien-fondé ait été prouvé. Réfléchi et critique, souvent réservé, vous accordez de l'importance à l'avis des autres. Conseil : vous donnerez le meilleur de vous-mêmes dans une équipe bien structurée, avec un peu de compétition interne et un leader respecté".

Autre profil (Rouge et Bleu) : "Exigeant, résolu, individualiste, vous êtes du genre autocrate. Vous êtes toujours prêt à vous battre. (...) Du coup, on peut vous voir comme insensible, voire égoïste. Créatif, alliant l'imagination et le goût de la nouveauté, abordant les problèmes avec logique, vous souffrez cependant d'être imprévisible et un peu brouillé avec le long terme. Vous savez déléguer. Conseil : vous serez à l'aise dans une puissante organisation, prête à engager ce qu'il faut pour obtenir des résultats". Les autres profils tendent tous à faire du futur client un manager dynamique, plein d'esprit d'entreprise, mais "guère porté sur l'administration, ni sur la gestion du temps" et "voulant fuir les organisations trop procédurières".

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés à Paris le 11 mars 1992, Management & Performance est détenue par quatre propriétaires, à parts égales : Marc Lévitte, Claude Arheix, Alain Dolbeau et Patrick Fabart. Les deux premiers ont été, pendant des années, parmi les principaux responsables de la Mission de la Lumière Divine. Marc Lévitte fut ensuite président d'Elan Vital. Remplacé par Luc Monnier en avril 1998, il démissionna du Conseil d'administration en avril 1999. C. Arheix, "responsable des activités de la région parisienne" jusqu'en avril 1998, fut lui aussi membre du Conseil d'administration d'Elan Vital jusqu'en avril 1999. Plus discrets quant à leurs responsabilités officielles, les deux hommes n'en demeurent pas moins très actifs au sein de la secte. Selon J-M Kahn (voir page 32), Claude Arheix est encore chargé de la propagande en France, et Marc Lévitte est devenu l'un des bras droit du Gourou Maharaji.

La marque Insights®, précédemment évoquée, a été déposée à l'Institut National de la Propriété Industrielle le 11 mars 1993 par Marc Lévitte, et la "roue Insights®" l'a été par Patrice Fabart au nom de l'entreprise le 8 avril 1997.

Selon ses statuts, mis à jour le 7 mars 1997, la société a pour objet, "tant en France qu'à l'étranger" l'achat, la vente, le négoce de tous produits, services, biens mobiliers et immobiliers, les activités et conseils de formation, de conseils aux entreprises. Mieux, Management & Performance entend réaliser toutes opérations industrielles, commerciales, financières, mobilières ou immobilières pouvant se rattacher à l'un des objets ici énoncés.

Le bilan de l'année 1999 montre que l'entreprise est en plein développement : après une progression de plus de 50% de son chiffre d'affaire en 1998, 1999 a été une année faste : 95% d'augmentation ! Cette bonne santé a d'ailleurs des conséquences sur la politique du personnel : "Ces excellents résultats nous ont permis d'embaucher un nouveau salarié à compter du 1er septembre 1999 comme Consultant Junior (en contrat à durée indéterminé assorti d'un plan de formation) et Marc Lévitte, associé, à compter du 10 janvier 2000, comme Consultant Sénior". Et, sur l'investissement, le rapport de gestion de la gérance indique : "Au cours de cette année 1999, nous avons également procédé à la modernisation de notre matériel informatique (...) Nous avons également pris en contrat de leasing, un véhicule automobile".

Au total, l'équipe, composée de cinq consultants, avec l'introduction de l'un des consultants nouveaux comme associé, se fixe comme objectif de passer d'un chiffre d'affaire de 5 millions de francs en 2000 à 8 millions de francs en 2001.

Rayonnement
Selon le site Internet de Management & performance, la méthode de l'entreprise est déjà utilisée par des milliers d'entreprises - rien de moins - et des millions de personnes dans le monde (voir ci-dessous). Il conviendrait de demander à chacune des entreprises citées dans quelle mesure elles font appel à Management & performance : on ne peut en effet exclure qu'à des fins publicitaires, le site Internet mentionne un nombre exorbitant d'entreprises faisant appel à la "méthode Insights" sans que cela signifie qu'elles soient clientes de l'entreprise.

Par ailleurs, il convient de faire la part entre ce qui pourrait relever d'un simple débat sur la qualité des activités de formation d'une entreprise - les clients n'ont-ils pas la responsabilité d'examiner avec soin l'offre de formation qu'ils décident de saisir ? - et une stratégie d'implantation d'une secte dans le monde économique, par le biais de la formation. La Mission Interministérielle de Lutte contre les Sectes ne pointe-t-elle pas le champ de la formation professionnelle comme un gisement privilégié d'influence et de ressources des organisations à caractère sectaire ?

Le site Internet de Management & Performance

Fondements
"Le système de Performance Success Insights s'appuie sur un outil de gestion des ressources humaines qui permet de transformer les facteurs humains en facteurs de succès pour le bénéfice de l'individu, de l'équipe, de l'entreprise avec des résultats opérationnels." La méthode "allie les travaux de Carl Jung sur les types psychologiques et la théorie des traits de William Marston. (...) Grâce à la méthode, il devient possible d'évaluer clairement ses atouts et ses faiblesses, d'élaborer des stratégies de réussite, de percevoir autrui avec acuité, d'adopter des attitudes qui répondent aux exigences de l'environnement en développant son adaptabilité et sa flexibilité".

Le Profil Success Insights
"Les réponses à un questionnaire à choix multiples, concis, génèrent un diagnostic sur informatique : le Profil Success Insights du sujet rédigé en différentes versions : encadrement, collaborateur responsable, vente, cohésion d'équipe, service client." Le langage des couleurs "constitue un encrage solide et durable tout en favorisant une appropriation ludique et conviviale".


La Roue Success Insights
"La roue identifie 60 types de comportements distincts sur une échelle de profondeur qui nuance chacun d'entre eux, optimisant ainsi l'adéquation entre ceux-ci et la personne, l'équipe ou la fonction. (...)
Les réponses au questionnaire qui sont analysées par le logiciel permettent de distinguer un double positionnement de la personne ou de chacun des membres de l'équipe : le style naturel de base du sujet, quel que soit son environnement ; le "style adapté" du sujet représentant le comportement que celui-ci manifeste en réponse à son environnement".

Les entreprises qui "utilisent déjà la méthode Success Insights" (source : site Internet de Management & Performance) : Adecco - Arizona Chemical - Aston - Audllog - Azian - BASF France - Bouygues - British Airways - Canon - CFDP - Continent - Du Pont De Nemours - Kodak - EDF-GDF - Esso - Ethicon - Expanscience - France Loisirs - France Telecom - General Accident - Gestetner - Glaxo Wellcome - GTM - Hewlett Packard - Hoechst Roussel - Honda - Hôtels Marriott - IBM - Johnson & Johnson - Lundbeck - Metro - Motorola - Negocia - Pechiney - Phardex - Philips - Ralph Lauren - Rhône-Poulenc - Rorer - Sanofi - Searle Monsanto - Shell - Siemens - Smithkline Beecham - SV & GM - Teradyne France - VAG France - Valeo - VDO - Winterthur Assurances - Xerox - Yves Saint Laurent... Ce sont là autant de services de formation qui gagneraient à étudier avec soins les prestations de Management & Performance. Cependant, le secteur de la formation est plein de ce type de discours sur le management pour améliorer l'efficacité des salariés. Pour le moins, ce n'est pas seulement des dérapages qui peuvent ici être mis en exergue mais une véritable idéologie économique et politique issue des années 80.

Un frère encombrant ?

L'ancien président de la secte Elan Vital, Marc Lévitte, consultant en management, est le frère de Jean-David Lévitte, ambassadeur permanent de la France auprès des Nations Unies. Tous deux sont nés à Moissac (Tarn et Garonne). Brillant diplomate, Jean-David Lévitte fut de 1995 à mars 2000, conseiller diplomatique et «Scherpa» du président de la République, Jacques Chirac. Il intervient régulièrement au Conseil de sécurité des Nations-Unies, au nom de l'Union européenne. Il est par ailleurs, entre autres, membre du Conseil d'administration de la Mission Laïque Française.


Chronique de la fortune de Maharaji

L'infortune de Maharaji

Inspecteur Voitou

Maharaji, qui "ne demande rien en échange de la Connaisance", possède, directement ou par l'intermédiaire de ses fidèles associés (notamment la firme Seva Corporation) :

Une luxueuse résidence à Malibu, en Californie. La propriété comprend un héliport. Valeur estimée : entre 20 et 25 millions de dollars ;

Un Gulfstream V, avion qui appartenait auparavant au Roi Hussein de Jordanie. Valeur estimée : 40 millions de dollars. Celui-ci a remplacé un Gulstream IV à l'automne 2000, d'une valeur estimée entre 20 et 25 millions de dollars. C'est avec cette avion que Maharaji circule d'un pays à l'autre pour "propager la Connaissance" ;

Un centre de conférences à Amaroo (Australie), lieu de pélerinage des adeptes où ils peuvent embrasser les pieds du Gourou. Le domaine s'étend sur 526 hectares et comprend, selon les brochures du mouvement : un amphitéâtre, un "centre de connaissance"(!), des installations de camping (pour les premies de base ?), un auditorium - "en construction" - destiné à accueillir 5000 personnes. Le coût d'un séjour à Amaroo est considérable, mais certains disciples n'hésitent pas à y consacrer toutes leurs économies ;

Un planeur Burkhart BGrob G 103 Twin II ;

Un avion Stemm S10-VT, dont le prix neuf actuel se situe autour de 175 000 dollars ;

Un hélicoptère Bell 206 L ;

Un Yacht, le Serenity, d'une longueur de 32 mètres. Valeur estimée : 7 millions de dollars ;

Une résidence Swiss Cottage dans le Surrey (Royaume-Uni).

Cette liste n'inclut pas les parts possédées directement ou indirectement par le gourou dans de nombreuses sociétés, en particulier aux Etats-Unis. Par ailleurs, la secte possède deux grands ashrams, l'un, particulièrement luxueux, en Inde à Méroli (à proximité de la capitale Dehli), l'autre au Népal à Katmandou.

Enfin, la fortune de Maharaji repose sur les nombreux dons collectés à son intention à travers le monde. Ne déclarait-il pas, en 1977 : "Si j'étais un premie et si j'avais un emploi, la seule raison pour laquelle je travaillerais serait pour pouvoir faire des économies afin de pouvoir aller aux festivals. Je pense qu'on peut tout résumer de cette façon" ?

Source : Site internet des ex-premie
http://www.ex-premie.org


A gauche : Brochure d'Elan Vital sur la "Terre Sainte" de la secte, Amaroo (Australie).
Ci-dessus et à droite, brochure publicitaire de Visions International Europe, spécialiste de la retransmission par satellite dont la vocation est de permettre de "rester en contact" avec le message de Maharaji.

Sommaire
Editorial
I - Enjeux. Pour un débat public sur l'aliénation sectaire
II - Enquête. Au coeur d'Elan Vital
III - Témoignages. Libres paroles d'ex-amoureux
Tribune Libre.

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