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Reproduction
avec l'autorisation du magazine Combat |
Ce
n'est pas la moindre particularité d'Elan Vital que
d'avoir secrété son propre pôle
négatif, par un site Internet ouvert à tous
les déçus de la secte. Le site des "Ex-premies" n'est pas né, on peut le supposer, du souhait de Maharaji - il y est d'ailleurs notifié diverses tentatives de sa part pour l'empêcher d'exister - et ceci ne cadre guère avec les intentions impérialistes qu'on lui suppose. L'initiative en revient à un ancien adepte, qui a occupé des fonctions relativement importantes dans la filiale française; il y explique son propre parcours, et comment le train de vie scandaleux du gourou l'a convaincu d'en rejeter l'influence. Au-delà de ce rejet politiquement correct, le site propose une abondante documentation sur les origines historiques et idéologiques du mouvement, son mode de fonctionnement, ses techniques de recrutement. Il héberge un forum où chacun peut s'exprimer - principalement des adeptes déçus, mais aussi, à l'occasion, des adeptes scandalisés. En cela, il offre un matériel sans commune mesure avec le site de la secte elle-même - lequel se limite à peu près à fournir toutes les adresses utiles pour en savoir plus - pour tenter de saisir les enjeux réels d'un mouvement comme celui-ci. La question qu'il permet d'approcher n'est pas tant celle des indécences du gourou, qui y sont largement commentées et critiquées, que celle des motivations qui peuvent y conduire. On aime à croire, obstinément, que le futur adepte est un débile mental - pardon : un "être fragile et sans défense" - qui se laisserait abuser par un discours trompeur, sans user de discernement. La documentation fournie permet de montrer le contraire, de façon assez convaincante, et révèle du même coup certains fondements inaperçus du succès des gourous dans les valeurs idéologiques qui sont les nôtres. Faut-il être débile pour aimer ? Le débat est ouvert, et on pressent d'emblée combien il est dangereux pour le respect des libertés individuelles, en ces temps qui idolâtrent un rationalisme béat. La description détaillée d'une initiation à Elan Vital (le passage d' "aspirant" à "premie") laisse en tout cas peu de doute sur ses ressorts psychiques : on y favorise une lente énamoration de Maharaji, messager de la "Connaissance", où la part de séduction n'est guère plus subtile, ni plus opérante, que dans n'importe quelle aventure sentimentale... ou n'importe quel enseignement. Cette suggestion dont on se scandalise tant n'est jamais que la mobilisation par un individu de ses propres capacités de transfert, comme Freud l'a montré depuis longtemps déjà. C'est en lui, plus que par elle, que se décide l'effet d'aliénation. En cela, l'adhésion à la "Connaissance" est de la même nature que l'adhésion à toute croyance - y compris psychanalytique. Les "ex-premies" ne sont pas dupes de ce que ce prix d'amour à payer, qui les a orientés là, aurait pu aussi bien les orienter ailleurs, au hasard d'autres rencontres : "Nous ne sommes pas coupables que de notre naïveté. Il faut profiter de notre temps, vivre la vie sans peur, sans rancune, sans culpabilité. Je refuse cette doctrine qui commence par me dire ce que je dois sentir, penser, et qui je dois aimer." Et ils savent aussi qu'ils sont pour beaucoup dans leur choix : "On dirait qu'on demande une belle histoire, comme les enfants, pour ne pas avoir de mauvais rêve. Trompez-nous, trompez-nous s'il vous plait, nous sommes prêts à croire n'importe quoi!" Bref, les "premies" sont comme les électeurs. Il s'agirait alors de comprendre pourquoi il sont devenus "ex", pourquoi ils ont rompu avec ce conte de fées, en pariant que le ressort de leur rupture n'est pas moins intérieur que celui de leur adhésion. C'est ici que le site devient moins explicite, et qu'il faut l'interroger entre les lignes. On y avance en effet deux arguments majeurs, qui n'expliquent rien car ils ne peuvent naître qu'après la rupture, par une rationalisation ultérieure. Tout d'abord, Maharaji serait un escroc, qui ne vise qu'à absorber un maximum de fonds pour s'assurer un train de vie fastueux. Or, le "premie" peut aussi bien se réjouir du luxe où se montre son gourou, signe de sa félicité et de la vérité même de son message. Les fastes catholiques, même dénoncés par la Réforme, n'ont jamais dissuadé bon nombre de chrétiens. Par ailleurs, l'adhésion à la secte perturberait gravement les liens affectifs avec l'environnement social. Or, toute passion amoureuse perturbe gravement ces liens, on pourrait presque dire que c'est à ça qu'elle sert d'abord, et ce serait refuser l'amour que refuser cet inconfort, qui relance les dés de la construction subjective, et peut mener au meilleur, au moins autant qu'au pire : qui n'a vécu la rupture salvatrice du "premier amour" comme l'avènement véritable d'un passage à l'âge adulte ? Plus que la condamnation du Maître, qui est le lot de tout amour déçu, ou que le dépit d'avoir cru détenir une vérité réduite en cendres, un motif essentiel sous-jacent à la rupture doit plutôt être situé dans l'humanité même du gourou, qui échouera toujours, tôt ou tard, à alimenter l'illusion d'être un dieu vivant, offrant prise, du même coup, au doute et aux rancunes. Mais ceci n'est en rien spécifique aux "premies". C'est plutôt le symptôme d'une époque affolée d'avoir vidé son propre Ciel, qui ne veut plus savoir combien l'idole rassure, et s'empresse de combler le trou, que ce soit par Staline ou Bill Gates, Sartre ou Patrick Bruel. La puissance des idoles ne vient pas tant de leur génie propre que de la difficulté formidable à admettre que rien ne sert de "voir" pour "croire" - c'est-à-dire à admettre qu'il y a de l'inconscient. Difficulté insurmontable, sans doute, en dernière analyse, parce que l'homme ne pourra jamais se passer tout à fait de miroir. La psychanalyse n'a ici que l'intérêt de proposer une lecture matérialiste à cette "débilité" humaine qui fonde toute spiritualité. De ce point de vue, les sectes ne sont qu'une des nombreuses réponses à un mensonge fondateur de notre culture moderne : toute "raison" est naturellement l'esclave des passions qui la gouvernent, et le véritable effort moral n'est pas d'être toujours plus cohérent, mais d'être toujours moins dupe de sa propre cohérence. L'un est, quoi qu'on dise, beaucoup plus facile que l'autre, mais également ouvert à toutes les impasses. On se complaît bien davantage à distinguer "rationnellement" le bien du mal qu'à interroger ce qui, en soi, rend ce soi-disant "mal" si nécessaire pour vivre. S'en tenir au dieu vivant, s'en tenir à la conviction que la cohérence suprême est là, incarnée devant moi, et qu'il n'y a qu'à l'imiter - bref, s'en tenir à ce qu'on a toujours fait depuis l'enfance - c'est se préparer inévitablement au dépit amoureux qui déchire un jour le voile, et laisse entrevoir que cette perfection incarnée n'était que la projection unifiée de mon insupportable incohérence. Le symptôme de cette erreur, l'indice le plus sûr du mensonge, c'est ce mirage d'excellence qui fonde toute secte - mais aussi notre ordre social. Dès lors que la "progression" dans la Connaissance est supposée objectivable, sanctionnée par un changement de statut - "aspirant", puis "premie", puis "initiateur" ou "instructeur" etc... - mon effort ne porte plus sur l'affrontement à ma propre incohérence, mais sur ma propre adéquation à une norme extérieure, dont le gardien devient l'objet de toutes les aliénations, et simultanément de toutes les jalousies. L'émulation, soi-disant saine, que cultive la concurrence, n'est pas la cause de cette erreur. Ce qui égare, c'est d'en chercher la mesure hors de soi, dans le miroir trompeur d'un autre idéalisé. Dans ce retour incessant sur soi qui rythme discrètement toute existence humaine, au prix d'un détour incessant par l'autre, l'erreur est d'inverser le temps fort. Marx a saisi l'impasse du capitalisme dans l'inévitable alternance entre argent et marchandise, où l'illusion est de lire une logique marchandise-argent-marchandise comme une logique argent-marchandise-argent. Respectivement, une logique moi-l'autre-moi comme une logique l'autre-moi-l'autre - tellement plus affine, pourtant, à la soi-disant excellence sociale. L'"ex-premie" n'est donc nullement, par nature, un débile qui se serait trompé. C'est un sujet humain qui s'est risqué à vivre, c'est-à-dire à aimer. Ce n'est pas parce que son amour est mort qu'il se serait trompé d'amour, car l'amour ne sert pas à durer, mais à réveiller la raison. De cette aventure, il retire sans doute le meilleur s'il a tiré de la Connaissance un peu plus de force pour assumer en lui-même ses innombrables "imperfections". On note d'ailleurs avec intérêt que sur le site, Maharaji est dénoncé, mais la Connaissance conserve des partisans : "Après avoir brisé la jarre qui nous retenait prisonniers [l'aliénation au gourou], nous avons fini par partir avec l'objet brillant [qu'elle contenait : la Connaissance]." Mais il ressort brisé, égaré et déçu, s'il croit seulement qu'il s'est trompé de gourou, ou pire, qu'il n'a pas été "gradé" par lui à sa juste valeur. Le véritable dindon de cette farce - qui prend à dire vrai tant de visages très respectés dans notre société moderne - ce n'est pas "l'ex-premie" en tant que tel, c'est l'ex-"primé" qui ne cherchera demain qu'à briller de nouveau dans le regard d'un autre. Un psy, par exemple ?
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Ancien amoureux de Maharaji, désormais insoumis Ancien premie (disciple) de la Mission de la Lumière Divine puis de Elan Vital, François Denis raconte sa trajectoire singulière dans la secte, de son adolescence à sa rupture récente. Entretien avec François Denis Comment êtes-vous devenu un adepte de la Mission de la Lumière Divine ? J'avais 15 ans, en 1980. J'étais dans une situation très précaire, sans famille, placé dans un foyer de la DDASS. J'ai été approché par un disciple dans un bar. Il m'a parlé du message de Maharaji et de son expérience. Je devais me rendre à Bordeaux et il m'a proposé de m'accompagner. Au cours du voyage, on m'a incité à aller à un satsang, une sorte de cérémonie où les adeptes parlent de leur expérience. J'étais curieux, je m'intéressais aux questions religieuses... j'ai donc accepté. Le satsang se déroulait chez un particulier, une femme professeur d'anglais, fidèle traductrice de Maharaji lors des évènement. J'ai attendu, seul, dans une pièce où il y avait une grande photo de Maharaji et des fleurs. J'ai été impressionné. Une vingtaine de personnes sont arrivées. Cinq ou six ont parlé de leur foi et de leur amour de Maharaji. J'ai aussitôt été accroc. J'ai trouvé un cadre agréable, paisible, des gens gentils. Le soir même, je demandais à recevoir la Connaissance, moyen de la paix intérieure et d'accéder au Bonheur. Comme j'étais mineur et qu'il aurait fallu une autorisation parentale, on m'a expliqué qu'il me fallait attendre. On m'a donné des adresses, des contacts de premies, par exemple à Toulouse. Quel a été votre itinéraire ? Pendant plusieurs années, j'ai passé la plus grande partie de mon temps dans des ashrams. C'était des communautés d'adeptes, avec voeux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance. Trois activités structuraient la vie quotidienne : les satsangs, moyens de diffuser la Connaissance ; le "service", travail bénévole pour le Gourou (ou pour la communauté) ; la méditation, pratique des quatre techniques enseignées par Maharaji et ses représentants, nommés mahatmas (l'équivalent indien d'un instructeur ici). A côté de leur investissement dans le mouvement, les premies devaient aller gagner leur vie, l'argent étant mis en commun et géré par le responsable de l'ashram. Je ne dormais pas à l'ashram mais, le plus souvent, chez des disciples. L'un d'eux m'a pris sous son autorité. Il m'a fait rencontrer de nombreux premies. Mon entourage était alors uniquement composé d'adeptes. Mais n'étiez vous pas pris en charge par la DDASS ? Placé en chambre en ville, j'étais libre de mes mouvements. Ni la DDASS ni mon éducateur ne semblent jamais s'être inquiétés, sauf à une période où des soupçons de pédophilie avaient émus le milieu de l'enfance en danger. J'ai parlé de la secte et de la Connaissance à mon éducateur. Je lui ai même fait rencontrer des disciples. Il me désapprouvait car lui était d'une autre secte, d'inspiration bouddhiste : la Soka Gakaï... En fait, je crois que, tant qu'il n'y pas d'histoire, tant qu'on ne se retrouve pas régulièrement au commissariat, la DDASS s'en moque. J'étais un bon élément, j'allais même parfois dîner chez mon éducateur. Je faisais des stages, comme par exemple dans une librairie du Sud-Ouest. Ce libraire, qui était un proche des premies, appréciait particulièrement les jeunes désargentés, qu'ils soient liés à la secte ou non. Quel a été votre parcours après votre initiation à la Connaissance ? A 20 ans, j'ai reçu la Connaissance d'un instructeur hollandais, Ruddy Smull, chez un particulier, Philippe Dubois, rue Agard à Paris. Je n'ai jamais fait partie du sérail d'Elan Vital mais j'ai vécu une vie de dévot, toute entière tournée vers Maharaji. Je connaissais des instructeurs, par l'intermédiaire de celui qui m'avait pris sous son autorité : commerçant dans le prêt à porter haut de gamme, il les habillait gratuitement. Je pratiquais quotidiennement les fameuses techniques de méditation, et je m'attachais à faire connaître la Connaissance. J'étais très bon pour livrer la bonne parole. Je parlais du Maître, de ce qu'il proposait. J'allais à tous les évènements auxquels participait Maharaji, dans toute l'Europe. C'est à cette époque que j'ai rencontré ma compagne de l'époque. J'étais alors dans une grande misère : quand je l'ai connu, je n'avais pas mangé depuis quinze jours. Elle est devenue disciple et premie au bout de trois mois passés ensemble. Nous allions ensemble voir le Maître. Que pouvez-vous dire de ces voyages dans toute l'Europe ? J'ai voyagé dans les plus belles salles de congrès ou de spectacles du continent : aux Folies Bergères et au Palais des congrès de la porte Maillot à Paris, au Casino du Touquet, au Planétarium à Bruxelles, en Suisse, en Espagne, plusieurs fois à Wemblay... Chaque fois, j'avais de gros problèmes d'argent et je devais emprunter, me débrouiller. Tous mes revenus passaient dans ces voyages. Je me souviens d'un festival organisé à Bruxelles où la participation se montait à 100 dollars, en présence de 25 000 personnes. L'anniversaire du Gourou était très prisé. Le climat des festivals, qui pouvaient durer trois jours, était euphorique : spectacles, projections vidéos du gourou et discours de Maharaji se succédaient. Durant toute ces années, avez-vous douté ? Je n'ai jamais approché Maharaji et pourtant j'ai tout donné, en particulier mon argent, car il était, pour moi, le Seigneur. On ne se pose pas la question de savoir pourquoi il n'est pas reconnu par tous. On vit les choses comme une opportunité incroyable, une chance miraculeuse. On se sent très privilégié. On se sent différent des autres, supérieur. On a l'impression de partager un trésor. J'ai acheté de nombreuses cassettes vidéo et des dizaines de photos, dont mon appartement était couvert. Je vouais un véritable culte à Maharaji. Les explications qui sont données sur la richesse du Maître étaient simples et convaincantes : si Maharaji est le Maître parfait, il n'allait pas vivre dans une cabane en bois ! Au contraire, il fallait lui offrir les plus beaux présents et donner de l'argent pour permettre la diffusion du message et pour ses tournées internationales. Je ne me suis jamais soucié des affaires financières d'Elan Vital : on nous donnait des numéros de compte en Suisse pour faire des dons. Il fallait payer l'avion de Maharaji, refaire le toit de sa villa à Malibu... et bien d'autre choses encore ! Pouvez-vous décrire ceux qui, comme vous, ont adhéré à Elan Vital ? Quelles sont les évolutions du "recrutement" de la secte ? Les disciples sont bien souvent issus des classes moyennes et supérieures. Il y a beaucoup de professions libérales, des avocats, des médecins, des enseignants, des ingénieurs travaillant dans le domaine de l'aérospatiale par exemple. Il y avait aussi des personnes égarées, comme moi. Localement, la bourgeoisie locale comptait aussi, avec quelques élus et des soixante-huitards attardés, comme on dit, et parfois des toxicomanes qui s'en étaient sortis grâce à la Connaissance. A cette époque, vous décidez de partir en Inde... En 1991, je décide de partir six mois en Inde et au Népal, pour faire de la photo. J'étais passionné par ce pays : faire le globe-trotter en Asie était mon rêve d'adolescent. Très vite, je suis allé à l'ashram de Méroli (à côté de Delhi, la capitale de l'Inde). J'ai été accueilli par un Mahatma, ancien juge à la retraite. J'ai rencontré une femme premie d'ashram, qui travaillait au secrétariat. Un de ses rôles était d'ouvrir le courrier adressé à Maharaji. Elle m'a parlé de choses troublantes, de listes noires d'adeptes interdits à l'ashram, des conflits internes à la secte après le schisme de Maharaji et de sa mère. C'est à cette période que j'ai appris, par une autre source - un Mahatama vivant à Delhi -, l'existence de trafics : certains étaient petits, comme les mariages célébrés par Sampuranand dans l'ashram ; d'autres sont plus graves, comme les trafics de femmes venues du Népal, auxquelles on avait fait miroiter une vie fabuleuse au service du Gourou et qui se retrouvaient exploitées, utilisée dans le sud de l'Inde. On m'a aussi parlé de terrains acheté un peu partout en Asie, en particulier en Inde, par le responsable de l'ashram. Les armes des responsables sont notamment la menace de mise au ban de la communauté voire l'exclusion de l'ashram. A l'inverse, l'obéissance était synonyme de privilèges (chambre confortable, proximité par rapport à la résidence du maître...). Je suis rentré à Paris ébranlé. J'ai eu face à moi des magouilles, de sombres histoires d'argent, de buziness. J'ai arrêté de solliciter mon entourage et je me suis peu à peu éloigné, tout en continuant à venir aux évènements avec Maharaji. Avez-vous discuté de tout ceci avec d'autres premies ? Oui, je rencontrais des disciples et je leur disais ce que j'avais entendu. A chaque fois qu'il y a des rumeurs, on considère que Maharaji lui-même n'est pas impliqué et que c'est son entourage qui est douteux. C'est un peu comme les affaires de la ville de Paris ! Cependant, tous sont modérément surpris : "tout cela est humain !". Beaucoup ont gardé un souvenir douloureux de la fermeture des ashrams en France autour de 1983, sans qu'on ne soit soucié de l'avenir de nombreux premies qui se sont retrouvés dans une grande misère. L'occidentalisation de la secte a laissé des traces profondes. Peu à peu, je suis sorti de l'illusion. Je n'ai plus participé au racolage financier. Je me suis aussi investi ailleurs. Cependant, je considère n'avoir définitivement rompu avec Elan Vital qu'au début de l'année 2000. Je ne crois plus au discours de Maharaji. Je considère que j'ai vécu dans l'auto-illusion, que j'ai rêvé ma vie, qu'il n'y a pas d'Expérience... Il n'y a pas d'amour de Maharaji pour les disciples, mais beaucoup de mépris, une dictature et en définitive un système totalitaire, le berger et ses moutons. Je ne me situe ni dans l'aigreur ni dans l'amertume, bien que j'ai été manipulé. Je ne considère même pas avoir à regretter. Je n'en veux à personne mais j'ai envie de vivre dans la vérité. Quel regard portez-vous sur le site Internet des ex-premies ? J'ai découvert la prose des anciens premies après avoir moi-même rompu avec la secte. J'ai lu de nombreux documents, des témoignages sur des affaires de viols et de pédophilie. On me raconte comment des instructeurs occidentaux, que j'ai connu, ont abusé de leurs positions pour commettre des abus sexuels et des viols. Franchement, je n'ai pas été étonné. Dans Elan Vital, peu de gens, même sincères, avaient une éthique. J'ai rencontré à Elan Vital de véritables crapules, des escrocs et des trafiquants de drogues. A force de considérer que seul compte le message du Gourou et que seule compte la Connaissance, il n'y a pas d'éthique, de moralité. Il y a des crapules partout, certes, mais à Elan Vital, en plus, elles prennent du plaisir. A la lecture du site Internet des ex-premies, j'ai d'abord pensé que cela pouvait être un coup d'Elan Vital, une manipulation de pseudo-dissidents permettant d'achever la normalisation de la secte. En fait, j'ai été surpris que des anciens disciples se mettent à parler. Ils font leur outing, c'est courageux. Ils rompent avec une bonne partie de leurs amis, eux qui ont vécu souvent des années dans le mouvement, parfois à un haut niveau de responsabilité. Cela étant, je n'ai pas été étonné d'apprendre que Maharaji a de fortes tendances alcooliques, qu'il se drogue et qu'il a des maîtresses. Tout cela m'amuse presque, à la nuance près qu'il y a encore des disciples, des évènements, des gens abusés. Le problème des adeptes est d'ouvrir les yeux car le scandale est devant eux. Il faut simplement se rendre compte qu'être prêt à n'importe quoi pour aller voir Maharaji, n'importe où, est anormal. Quelle leçon ? Elan Vital est comparable à bien des mouvements sectaires. L'expérience qu'il propose n'a rien d'original, ce n'est qu'une version de discours d'autres gourous d'origine indienne. Si je ne crois pas au suicide collectif d'adeptes en Occident, je pense qu'une grande détresse guette les adeptes. Il faut y prendre garde. En Inde, à l'inverse, on peut craindre le pire, par exemple si le gourou venait à disparaître. Quels messages pourriez-vous adresser aux protagonistes de tout ceci ? Je n'ai rien à dire à Maharaji, que je ne connais pas. Etre Dieu vivant, c'est son problème. Aux disciples, je dis qu'il est possible de vivre autre chose, une autre vie heureuse et que l'on peut vivre très bien sans la "Grâce" du Maharaji. Aux ex-premies, je dis de dire tout ce qu'ils savent, car certains d'entre eux en savent plus que ce qu'ils disent aujourd'hui. Aux pouvoirs publics, je dis qu'il faut développer une vraie démarche de prévention, soucieuse des personnes. Il ne s'agit pas de diaboliser les sectes, cela ne sert à rien. Un vrai travail de documentation, d'information devrait être réalisé. J'ai lu le rapport sur les sectes : il est insuffisant. Il faut que l'Etat se donne les moyens d'avoir une vraie politique, face à tous ceux qui exploitent la fragilité des personnes. Et il faut que les adeptes puissent trouver des interlocuteurs. Enfin, à ceux que j'ai amenés dans cette galère, je veux dire que je le regrette. Cependant, c'est à eux qu'il incombe de tourner la page, de faire le deuil. A eux, et à tous ceux qui se font manipuler, je souhaite de trouver la force nécessaire pour être heureux autrement.
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Franck Algier, ancien adepte d'Elan Vital, témoigne de son parcours spirituel. Pour lui, c'est sûr, Maharaji n'est pas le Seigneur de l'Univers. Franck Algier Voilà, c'est fait. J'ai donné ma "démission". Vingt années passées au sein d'une secte [Elan Vital] ont finalement eu raison de mes croyances. C'était il y a quelques mois. Je cherchais sur Internet des informations concernant le maître à qui j'ai dédié une partie de ma vie, et découvrais fortuitement un site d'anciens adeptes de ce maître. Depuis deux ou trois ans, mon assiduité à la dévotion s'était quelque peu émoussée. Les doutes ne cessaient d'altérer mes certitudes et ma prétention à détenir la vérité. Quel soulagement de rencontrer ces ex-prémies (prémie : non donné aux disciples de Maharaji) et de pouvoir vérifier la légitimité de mes doutes ! Je n'étais plus seul. Pour comprendre ce qui m'a amené à la fameuse (fumeuse) connaissance de M. [Maharaji], il faut remonter en 1970, j'avais alors 17 ans. Mes recherches personnelles me confortaient dans l'idée de l'existence de Dieu, motivée par des expériences d'ordre mystique, par la pratique de la méditation d'une manière naturelle et autodidacte, et somme toute par l'envie de rencontrer un nouveau Jésus-Christ. J'étais intéressé par le bouddhisme et plus particulièrement par les bouddhistes tibétains. Il m'arrivait de voir ce qu'on appelle "la Lumière" ou bien de me retrouver dans des états de bonheur incompréhensible. Cette période a duré deux ou trois ans. Dix années plus tard, je rencontrais celui qui me révélait des techniques de méditation me permettant de renouer avec ces états de plénitude et de bien-être. La rencontre aurait pu être idyllique. Malgré quelques interrogations sur certaines façons de faire des adeptes et sur la fonction du maître, tout nouveau tout beau je fonçais tête baissée dans ce que je considérais à l'époque comme étant la solution idéale à la condition humaine et à l'élévation de l'esprit. C'est vrai que le discours était attractif, et collait à l'idée que je me faisais de la perfection, malgré les interrogations que j'avais sur les intentions réelles du gourou. La suite m'apprit qu'il n'était pas possible de vivre la spiritualité sur de telles bases, où les réponses aux questions, aux doutes, étaient soit occultées, soit stéréotypées. Les prémies les plus élevés dans la hiérarchie s'appliquaient à donner des réponses toute faites à un panel de questions prévisibles. Ma première interrogation repose sur l'affirmation de la divinité de M. qui s'argumentait comme suit : l'apprentissage de la perfection ne peut être dispensé que par un maître parfait. La connaissance est parfaite, l'expérience est là pour le prouver. L'expérience de la perfection est de nature divine et je suis constamment dans cette expérience... Il ne restait plus qu'à tirer la conclusion suivante : M. et Dieu, c'est la même chose. Si ce gourou ose prétendre qu'il n'a jamais été question de ça, aujourd'hui encore, lors de conférences strictement réservées aux prémies, il continue de le suggérer à travers son discours. Il n'y a aucune raison que cela change, car tout son édifice repose là-dessus. Sinon, pour quelle raison un adepte persisterait-il à pratiquer son enseignement en particulier, et pour quelle raison continuerait-il à dépenser des petites fortunes pour assister à ses conférences dans le monde entier ? Renoncer publiquement à sa divinité impliquerait la fuite inéluctable de ses disciples. Je suis prêt à tenir les paris. Lors de conférences publiques son discours est beaucoup plus édulcoré, la question de sa divinité n'est jamais exprimée. On en comprend facilement les raisons. Comment ai-je pu croire au divin fait homme !!!? Comment ai-je pu à travers ce personnage certes très charismatique, voir une sorte de descendance du Christ, de Bouddha et de Mahomet réunis. Dois-je me reporter aux considérations psychologiques ou psychanalytiques pour expliquer l'inexplicable, l'inadmissible, l'invraisemblable, l'absurde ? Je me suis appliqué à maintes reprises, à lire les avis avertis de certaines personnes autorisées Les raisons qui appellent un individu à épouser une cause sectaire sont multiples et je ne vais pas les exposer ici, d'autres le feront mieux que moi. En aparté, les raisons supposées de ces inclinations ne semblent valides pour une grande majorité de mes congénères. C'est discutable, je vous l'accorde. Les miennes étaient strictement fondées sur le besoin de renouer avec un phénomène déjà vécu et sans doute conjugué à un certain degré de superstition que j'estimais à l'époque nettement au-dessous de la moyenne. Je me croyais pourtant nihiliste jusqu'au bout des ongles ; l'expérience concrète et satisfaisante de la médiation a eu raison de ma raison : il y a quelques mois encore, je me penchais et embrassais les pieds divins de mon maître !!! Si effectivement la pratique de la méditation procure un certain bien-être, le danger d'un mental dompté et assagi ouvre la porte à l'acceptation de n'importe quoi, jusqu'au point où finalement, on pourrait prendre son gourou pour le Seigneur de l'Univers. C'est ce qui s'est produit. J'appelle cela "superstition", et ce au même titre que n'importe quelle croyance. Aujourd'hui que me reste-t il de toute cette histoire ? Je n'éprouve actuellement plus le désir de méditer. Peut-être celui-ci se manifestera à nouveau, pourquoi pas, il n'y a rien de dangereux dans cette pratique. La condition est qu'elle ne soit pas récupérée par quiconque se targuant d'avoir compris le sens de votre existence et se faisant fort de vous apporter le bonheur. Celui-ci ne manquera pas d'y mettre des conditions, entre autres celle de le suivre aveuglément. Concernant la Connaissance de M. j'ai compris que la méditation est le leurre, le gadget, l'appât, et le "Service" la véritable motivation du gourou : votre contribution financière à son enrichissement personnel.
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Témoignage d'une ancienne adepte d'Elan Vital. Elle dénonce l'exploitation des sentiments religieux, tant dans les mouvements marginaux que dans les Eglises autorisées. Estelle Rivière A force d'entendre parler de Maharaji par un ami, je m'étais laissée convaincre d'aller à un satsang, à Paris. Un instructeur a expliqué ce qu'est la Connaissance et a présenté le Gourou. Au cours de la réunion, il a expliqué le processus pour pouvoir demander et recevoir la Connaissance. Je suis allée à quelques autres réunions et, lors de l'une d'entre elles, à Toulouse, j'ai demandé à être initiée. Dans ces réunions, ceux qui voulaient devenir premies ("amoureux", en indien) levaient la main et l'instructeur désignait, arbitrairement, ceux qui étaient prêts. A cette époque, il était relativement facile d'accéder à la Connaissance, en quelques mois. Dans un appartement privé, le même instructeur m'a donc montré les quatre techniques de méditation, en me demandant de ne jamais les révéler. J'ai pratiqué pendant une vingtaine de minutes chacune d'entre elles : j'étais devenue premie. J'étais fière d'avoir été choisie, d'accéder à quelque chose de secret et je pensais que cela m'apporterait le bien-être. La plupart des gens qui étaient initiés n'étaient pas, au départ, de grands dévots, mais ils étaient souvent attirés par l'ésotérisme, la foi, l'Inde. Pour ma part, j'ai été séduite par la Connaissance, mais je n'étais pas comme d'autres qui, à la seule vue de Maharaji, étaient bouleversés. Au début, j'étais même sceptique sur le Gourou lui-même. C'est son discours qui m'a plu, endoctrinée, et non son image. A l'époque, je vivais avec mon ami dans une petite ville de province. Nous étions assez isolés. Il n'y avait que quelques premies, très discrets, et il n'était pas possible d'aller régulièrement à des satsangs. Nous allions de temps en temps à Bordeaux ou à Toulouse. J'essayais de méditer tous les jours, une heure le matin et une heure le soir, conformément au devoir qui, en principe, s'impose aux premies. En réalité, je n'y arrivais pas. Le seul moyen de faire réellement partie de la communauté des premies, était d'aller voir Maharaji. Je suis allée à Paris, à Lyon, à Copenhague, entre autres. Les déplacements étaient chers et, à l'époque, je n'avais pas d'argent. Il m'arrivait d'emprunter pour pouvoir faire le voyage. Le poids de la culpabilité était important : je m'en voulais de ne pas réussir à méditer comme il le fallait, et je culpabilisais lorsque je n'avais pas les moyens d'aller voir Maharaji. Les rassemblements étaient très importants, avec des premies de toute la France et de plusieurs pays d'Europe. Les festivals pouvaient durer trois jours, avec plusieurs séances en présence du Gourou, qui nous réapprenait les techniques de la Connaissance. A la différence des années précédentes, Maharaji prenait, dans les années 89-90 un peu de temps pour nous voir. Mais c'est aussi à cette époque que j'ai rempli un premier formulaire et que sont apparus les badges. Elan Vital s'est mis à ressembler à une entreprise, avec une perte de la dimension magique. Il y avait les premiers éléments du système de vente des vidéos. Je me souviens être allée, par exemple, à une projection à Toulouse. Peu après, on a commencé à nous demander des sous pour visionner les cassettes. Le trésorier d'Elan Vital est venu, lors d'une conférence à Limoges, nous expliquer que Maharaji avait besoin d'un nouvel avion car les compagnies habituelles n'étaient pas sûres. Il fallait, disait-il, un million de dollars. On nous a donné deux numéros de comptes, l'un à Paris, l'autre en Suisse. Les organisateurs nous faisaient comprendre qu'il fallait participer... Ces sollicitations financières m'ont poussée à être plus critique. Je me suis rendu compte qu'Elan Vital n'est pas un véritable lieu de participation : on demande des sous, on regarde des cassettes et on écoute des discours. La déception s'est imposée peu à peu avec cette idée qu'il n'y avait en fait aucune vraie communication avec Maharaji, qu'il s'agissait d'une relation à sens unique. Peu à peu, je n'ai plus marché dans la combine. Mon ami s'est lui aussi détaché d'Elan Vital, même s'il a continué, un temps, à aller aux conférences du Gourou. La place de l'affectif dans tout cela est évidente. On y va aussi par amitié ou par amour pour d'autres. Et l'époque post-soixante-huitarde a nourri ce type de mouvement, avec la recherche d'ambiances communautaires, la dimension anti-occidentale et ésotérique. Depuis ces années, j'ai beaucoup réfléchi à la manipulation mentale et sur le risque qu'un sentiment religieux soit exploité. Avant de connaître Elan Vital et d'entendre parler de Maharaji, j'avais été bercée dans l'Evangile, dans les histoires magiques - mais considérées comme normales - liées à la foi chrétienne. Quand j'ai entendu parler de Maharaji, je me suis dit : "Et si c'était comme Jésus, la personne qu'il faut suivre. Jésus, lui, au début, n'a été suivi que par quelques personnes. Autant l'écouter". Lorsque j'ai essayé de faire le bilan de ces années, je me suis aussi dit que ça aurait pu être plus grave et peut être même dangereux. Je ne suis plus dans le regret. Je crois simplement qu'il faut faire attention à l'idéalisme, à l'idée que la vie pourrait être merveilleuse. Il faut rêver, mais il faut aussi se méfier, éviter d'être crédule. En
fait, dans ce mouvement, on ne demandait jamais l'avis des
uns et des autres et il n'y avait en réalité
aucun véritable projet commun. Pour en sortir, il
faut se remettre en question, en évitant l'esprit de
vengeance. Je pense qu'il y a un travail civique à
faire pour ceux qui sont premies aujourd'hui et qui doutent,
pour ceux qui veulent essayer de s'en
sortir. Précision
: Les témoignages et entretiens
rassemblés dans cette partie sont
inédits et ont été
réalisés pour ce
numéro. |
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