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Récit de J-M Kahn
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Date:

1er Aout 2003

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Je me suis définitivement éloigné de Prem Rawat et de sa soi-disant "connaissance" au milieu de l'année 1997, après une période de "doute" d'environ une année.


J'avais rédigé une première version de mon "parcours" en 1998. En voilà une nouvelle, plus complète. Elle se présente sous la forme d'une interview, car c'est effectivement d'une interview que ce texte est issu.

Par ailleurs, j'avais répondu en 2001 à une série de questions qui m'étaient posées par Gilles Alfonsi de la revue Combat. J'y avais développé d'autres aspects de ma réflexion sur mon passé - au gré des questions qui m'étaient posées et de mon point de vue de l'époque.


Entretien avec JM

Question : De quelle secte avez-vous fait partie ?

JM : Elan Vital. A l'époque où j'y suis entré, ça s'appelait la "Mission de la Lumière Divine". Mais ce n'était pas l'organisme qui s'est présenté en tant que tel. Ce qui était mis en avant, tel que je l'ai perçu, c'est le gourou. Le groupe ne m'intéressait pas, les gens qui étaient là, je n'y suis pas allé pour eux, ou parce que j'avais trouvé des copains ou des copines là dedans, ce n'était pas du tout ça - c'est le gourou qui m'a attiré.

Q : Que se passe-t-il chez le gourou ? Ses enseignements ? Sa personnalité ?

JM : C'était une histoire complètement farfelue - j'en avais relativement conscience dès les premiers contacts. C'était le mythe du gourou, tel qui m'avait été expliqué par des personnes que je connaissais bien, qui m'ont introduit à ça - ce mythe m'a séduit, attiré. J'avais déjà vu leur prose et leur publicité, ils faisaient énormément de pub, distribution de tracts affiches etc. A l'époque, au début des année 70 à Paris, j'en avais déjà vu parce qu'il y en avait vraiment partout, comme maintenant vous en voyez pour la "dianétique", la "scientologie", etc. Mais ça ne vous intéresse pas j'imagine, la plupart de gens ne vont pas aller voir ce genre de trucs. Et moi aussi, ça ne m'intéressait pas. Et pour vous dire à quel point, une fois, j'étais à la fac, et il y avait une personne que je connaissais bien dans un cours, qui avait commencé à essayer à m'embarquer dans cette histoire. Elle faisait du prosélytisme. Ca me semblait complètement farfelu, ça me faisait rigoler. Je l'ai écoutée parce qu'elle était bien gentille, j'osais pas lui dire non, qu'elle me cassait les pieds ... alors j'écoutais ses histoires quand j'avais 5 minutes à lui consacrer. Et puis un jour je sortais avec une amie, on était bd St. Germain, et il y avait de la pub, le gourou faisait une réunion à côté. Cette amie devait aller voir des amis que je n'avais pas trop envie de voir. Alors comme la réunion était à la même heure, je n'avais rien à faire, j'ai été voir. Je suis entré dans la salle - c'était à la Mutualité, place Maubert - je suis resté 5 minutes et je suis sorti. Ca ne m'intéressait pas, l'auditoire était absolument infantile, le discours était incohérent, ça me paraissait vraiment grotesque et ridicule…

Et puis après, quelques mois plus tard, des amis que je connaissais bien, depuis longtemps, m'ont reparlé de cette histoire de gourou. Je me suis dit quand même, c'était des gens à qui je faisais quand même relativement confiance, que j'aimais bien, et je me suis dit que si eux m'en parlent comme ça, il doit y avoir quelque chose d'intéressant. Et ils m'ont encouragé à y aller, etc. Le mythe qui m'a été présenté c'était que le gourou, qui était une sorte de messie, était là pour apporter la paix. Il était soi-disant une sorte d'incarnation divine - dans la lignée d'autres "incarnations" du même ordre, le Christ, Bouddha, Krishna, Mahomet etc - un phénomène incroyable, mais - pourquoi pas en fait. Je ne croyais pas trop à ce genre de choses, mais - pourquoi pas, je me disais, vas-y voir, tu verras, etc.

Q : et c'est comme ça que vous avez commencé à y aller régulièrement ?

JM : c'est à dire, ces amis, ils m'ont quand même relativement convaincu, je voyais qu'ils avaient subi une certaine transformation, je les ai trouvés biens, souriants. Ca faisait un moment que je ne les avais pas vus. J'avais le temps, c'était une époque où je n'avais pas de soucis particuliers, alors je me suis dis, pourquoi pas, toujours prêt à n'importe quelle expérience un peu folle ...

Q : Donc après cette première réunion, vous avez simplement continué à y aller ?

JM : non non, la première fois, j'y avais été un peu par hasard. Non, mais après, une fois que ces amis m'ont conseillé d'aller voir, ça ne me semblait toujours pas très extraordinaire. Et puis à cette époque là, je trouvais les disciples un peu bizarres; infantiles, incohérents, allumés, il semblait y avoir pas mal d'anciens junkies parmi eux, un drôle de groupe assez hétéroclite - mais malgré tout plutôt sympathique. Mais le gourou devait venir faire une conférence à Londres, et ils m'ont dit "vas-y, tu verras, c'est mieux si tu le vois, etc." J'ai donc été à Londres, c'était une période où j'étais entre 2 périodes de travail, et j'avais quelques semaines de vacances. Là, j'avoue que j'ai été séduit, pas tellement par le gourou lui-même, mais par l'enthousiasme, et l'atmosphère qu'il y avait dans ce qu'on pourrait appeler la communauté. A l'époque il y avait quand même beaucoup de gens qui venaient chez le gourou, et il y avait une espèce d'atmosphère de fête assez attirante. Le gourou, son discours, je n'y comprenais pas grande chose. A l'époque il parlait avec un accent indien terrible, ce qui fait qu'il était extrêmement difficile à comprendre. Mais j'étais toujours intéressé par le mythe, l'histoire du gourou, la réincarnation du Christ, etc. J'ai cru en cette histoire, en quelque sorte.

Q : c'était comment cette ambiance que vous décrivez comme assez attrayante ?

JM : C'était assez festif, je ne sais pas comment dire, qu'est-ce qui m'attirait vraiment chez ces gens là… Disons que j'avais quand même connu diverses expériences de communautés, j'ai fait du scoutisme dans ma jeunesse, j'avais fréquenté des groupes politiques. Là, je trouvais qu'il y avait quand même quelque chose d'assez intéressant. Il y avait pas mal de marginaux, c'est clair, mais à l'époque, c'était après 68, j'ai connu pas mal de groupes ... Pas des groupes révolutionnaires, je n'ai jamais été révolutionnaire, mais un peu marginaux. Donc l'atmosphère était agréable, je ne sais pas vous dire précisément pourquoi. Il y avait des choses qui me plaisaient chez eux - ils étaient végétariens, ils parlaient d'amour ... A l'époque c'était un discours un peu rassurant, je trouve, des choses comme ça.

Q : Et vous avez noué des contacts avec ces personnes ?

JM : oui, parce que j'ai habité, j'étais hébergé chez des gens, ils étaient très accueillants. Ces contacts étaient en réalité très superficiels - je m'en suis rendu compte plus tard. Ils m'accueillaient parce que j'étais un nouveau venu, il n'y avait rien de vraiment amical : beaucoup de sourires, de baratin, d'invitations à dîner, rien que des choses très superficielles. J'ai compris plus tard ce qui les motivait: j'étais une recrue potentielle, et ils étaient enthousiaste de participer - en me séduisant - à la 'mission' du gourou.

Q : vous vous êtes senti à l'aise ...

JM : Oui, je me suis senti à l'aise, je me sentais accueilli, avec des gens sympas, ce qui était à contre courant, un peu différent des groupes que j'avais pu connaître. Et ça c'est séduisant. A l'époque je ne me suis pas demandé une seconde pourquoi ces gens étaient comme ça. Bon, maintenant si je vois une communauté de gens comme ça, je me poserais des questions. Mais à l'époque, j'étais un peu naïf.

Q : et après, vous êtes revenu en France ?

JM : oui, après, le gourou faisait donc cette conférence, et il y avait tout un processus avant l'initiation. Parce que, évidemment, il fallait recevoir la "connaissance", l'initiation, pour pouvoir vraiment rentrer dans le groupe, pour faire partie du groupe. C'était très important, la première étape indispensable. Le gourou est un personnage avec une vocation particulière, mais il y avait aussi une espèce d'initiation, qu'ils appelaient, qu'ils appellent toujours "la connaissance", par laquelle il fallait passer pour pouvoir accéder aux enseignements, et pouvoir bénéficier complètement de ce que je pensais ressentir dans ce groupe. Mais je n'ai pas pu être initié à cette époque là. Donc je suis revenu travailler, et je me suis occupé de l'initiation dans la période suivante - quelques semaines plus tard. J'étais donc séduit par ce conte de fées, et puis après j'ai suivi le processus qui était proposé, c'est à dire qu'il fallait assister aux conférences, qui étaient un peu du bourrage de crâne. Mais bon, je m'en fichais, s'il faut subir ça pour pouvoir y aller, allons y. Donc après, j'ai été initié - à Londres au mois de septembre ou octobre 1972. Et ce dont j'avais aussi envie, c'est qu'au mois de novembre suivant, il devait y avoir un grand festival en Inde. Comme le gourou était d'origine indienne, et que ça devait soi-disant être un évènement extraordinaire, pour pouvoir y aller il fallait être initié. Donc j'étais très enthousiaste, de pouvoir être initié, pour pouvoir aller en Inde, voir le gourou en Inde, il y avait tout un mythe autour de cette histoire.

Q : Et vous l'avez fait ?

JM : oui oui, j'ai été initié, j'ai été en Inde, et tout s'est bien passé. Ca s'est même très bien arrangé parce que c'était ma dernière année d'études, et j'ai pu m'absenter quand même sans avoir vraiment de problèmes. J'ai averti les professeurs que je partais, bon, certains ne m'ont rien dit, il y en a pour qui ça n'avait pas d'importance, il y en a même un qui m'a encouragé ! Donc ça s'est bien passé. J'avais l'impression de vivre un moment de grâce.

Q : et c'était comment pour vous, là-bas, l'événement ...

JM : c'était un peu bizarre, quoi ... bon il y avait pas mal de choses assez déplaisantes dans cette communauté. Parce que quand vous arrivez là-dedans, au départ, vous vous faites un peu séduire, comment dire, mais quand vous commencez à passer du temps avec ces gens, vous vous rendez compte que c'est quand même bizarre.

Q : En quoi par exemple ?

JM : Ils ont des relations malsaines, il y a des types très autoritaires, il y en a qui font les flics, tout est contrôlé, hyper-organisé - d'une manière le plus souvent grotesque … et vous vous dites qu'ils sont un peu dingos … comme partout, il y en avait qui racontaient toute sorte d'histoires invraisemblables, mais je n'ai pas donné trop d'importance à ça. Moi ce qui m'intéressait c'était le gourou, la méditation, et son soi-disant "enseignement". Et toutes les petites vicissitudes du groupe, je m'en foutais, je passais par dessus tout ça.

Q : Et le but de l'enseignement, le but du gourou, c'était la réalisation spirituelle ?

JM : Soit disant, soit disant. Mais j'ai eu des expériences que moi j'ai qualifiées de spirituelles à l'époque, qui étaient assez étonnantes - en rapport direct avec ma pratique de la méditation. Je pratiquais assidûment la méditation, et ça avait des effets très positifs. Après j'ai compris un petit peu. Les effets de la méditation sont une chose, mais on en exagère considérablement la nature, selon nos attentes. Et si on attend beaucoup dans ce genre de contexte, on peut croire recevoir l'illumination, se croire différent des autres, croire qu'on a une 'connaissance' que les autres n'ont pas, etc. Et moi j'étais convaincu de l'existence de la chose. Maintenant je me rends compte que c'est créé par toute cette atmosphère. Il y a énormément d'expectatives, les gens vous racontent toute sorte d'histoires invraisemblables auxquelles tout le monde semble plus ou moins croire, on finit forcément par attendre quelque chose. Et puis en même temps, c'est une recette qui marche, depuis longtemps. Depuis le 19e siècle. C'est une recette qui a bien marché en Inde, et qui a eu un certain succès - sous diverses formes et sous d'autres appellations - dans pas mal de pays. Ca n'est donc pas par hasard. Il y a une mise en scène, très sophistiquée, mais vous ne vous en rendez pas compte quand vous arrivez. Et même si vous restez là dedans pendant longtemps, vous ne vous rendez pas compte de cette mise en scène. En fait tout est très mis en scène. Quand le gourou apparaît, tout a été calculé. Il n'est pas dans la vie courante tel qu'il apparaît. Tout est mis en scène : l'estrade sur lequel il apparaît, les éclairages, la sono, ce qu'il va dire, le décor, les conditions dans lesquelles il se montre, au couché du soleil par exemple, ou à un certain moment de la journée. Tout est très calculé, la musique est très étudiée… mais quand vous n'utilisez pas votre esprit critique, vous ne vous en rendez pas compte, et tout semble magnifique, magique.

Q : Et quel effet ça fait, de le voir comme ça ?

JM : C'est saisissant, si vous êtes un peu conditionné, que vous avez subi un minimum de conditionnement, et que vous êtes d'accord pour continuer, c'est saisissant.

Q : Quand vous dites saisissant... ?

JM : c'est émotionnel, c'est une espèce d'expérience d'amour, très puissante.

Q : Le gourou, était-il accessible, ou lointain ?

JM : Non, pour pouvoir approcher du gourou c'est très difficile. En même temps c'est très calculé, parce que par exemple il y a des moments où il se promène, où il passe comme ça. Mais il y a aussi une attente, est-ce qu'il va venir ? Et il peut y avoir des moments où cette attente est aussi mise en scène, donc il peut venir ... Vous pouvez avoir l'impression que c'est très improvisé, alors qu'en fait c'est très calculé, c'est très malin comme mise en scène. Donc, si vous avez beaucoup d'attentes… mais par exemple si vous le croisez dans la rue sans vous y attendre, vous allez être surprise, enfin moi ça m'est arrivé : dans ce genre de cas, vous le reconnaissez à peine, il n'a plus l'air de rien, il est juste quelqu'un comme les autres. Mais par contre si vous avez une attente, si vous êtes là à l'attendre, etc., à dire, ah, il va venir... Là, la rencontre peut être assez extraordinaire. C'est pour ça que je dis qu'il y a une mise en scène et tout un conditionnement.

Q : Comment est-ce que ça se passe du point de vue social ? Y a t-il une hiérarchie ?

JM : il n'y a pas vraiment… disons, la hiérarchie est assez camouflée parce que justement tout est centré sur lui. Donc à priori il y a le gourou et les autres. Mais alors après, si vous commencez vraiment à vous y intéresser et que vous entrez dans l'organisation, vous allez constater qu'il a des assistants, qui s'appelaient à l'époque des mahatmas, les instructeurs, qui sont ses envoyés, et une quantité d'organisateurs pour exécuter ses ordres dans le cadre d'une organisation très sophistiquée. Mais c'est très peu visible pour un observateur extérieur. Il s'est toujours débrouillé pour faire croire qu'il n'y a rien entre lui et le disciple. Il y a en fait une hiérarchie dans l'organisation, mais l'organisation n'est pas vraiment mise en avant. Cette organisation fait en sorte que les réunions puissent avoir lieu, que la distribution de vidéos puisse avoir lieu, ou les conférences: c'est à cela que les disciples actifs passent leur temps, mais ce n'est pas visible. Les gens ne sont pas membres de l'organisation, même s'ils sont très actifs. Il y a peut-être 2 ou 3 membres pour que cette organisation ait une existence juridique - un président, une secrétaire, un trésorier, un délégué ici et là, mais on ne propose pas aux adeptes d'être membres, on les en empêche même, ils ne peuvent pas être membres. Donc tout est soi-disant basé sur la relation gourou-disciple. C'est ce qui est mis en avant. La réalité est très différente. L'organisation est là, dirigée par le gourou, dans les coulisses, pour tout diriger et tout contrôler, d'une façon très élaborée - quasiment maniaque, avec des procédures écrites qu'il faut respecter à la lettre. C'est très important car c'est là qu'on trouve - à mon avis, une grande partie des moteurs du système sectaire de ce groupe.

Q : Et dans la vie de tous les jours, viviez-vous en communautés ?

JM : oui il y a eu une période où j'ai fait ça, entre 1974 et 1980. En France. Les communautés s'appelaient "Ashrams", un peu calquées sur le modèle indien.

Q : et c'était comment ?

JM : C'était aussi une expérience intéressante !

Q : Quelle était la relation entre les gens ? Quel était votre quotidien ?

JM : théoriquement on avait une relation fraternelle, il n'y avait pas des relations sexuelles, pas de couples. Si certains avaient des relations particulières, on n'était pas censés le savoir… Plus tard, je me suis aperçu que pratiquement tout le monde en avait plus ou moins ... Mais officiellement c'était la vie monastique. C'était intéressant. Une vie communautaire intéressante.

Q : Etiez-vous proches entre les gens ?

JM : oui il y avait une certaine amitié, mais en même temps c'était tourné vers le gourou - parce qu'on était là dedans pour travailler dans son organisation, faire de la propagande, etc. Donc c'était toujours très dirigé vers lui.

Q : et le quotidien était comment ?

JM : Et bien, on se levait le matin de bonne heure, c'était quand même centré sur la soi-disant méditation, et puis ce qui s'appelle "service" - c'est à dire travailler pour le gourou, de diverses façons, soit dans l'organisation, soit en allant travailler en rapportant de l'argent pour faire fonctionner tout le système.

Q : et vous, vous avez travaillé ?

JM : J'ai fait les 2, j'ai pas mal été … comme j'avais des compétences et une éducation (on dirait maintenant Bac + 5) qui était peut-être un peu supérieure à la moyenne des gens du groupe, j'étais beaucoup sollicité pour travailler pour l'organisation. La plupart des gens qui entraient là dedans, je ne dis pas qu'ils étaient incultes, mais ils n'avaient pas fait d'études et n'avaient pas les capacités pour s'occuper de l'organisation, qui a toujours été un truc assez mégalomaniaque. Il y avait toujours beaucoup de choses à faire, à organiser, donc j'étais beaucoup sollicité.

Q : Donc à ce moment là vous n'avez pas travaillé

JM : non. Pendant quelques années, j'ai été employé à plein temps par la MLD. Ensuite j'ai repris mon travail à temps partiel, c'est à dire que je travaillais quelques jours par semaine, et quelques jours par semaine je travaillais dans l'organisation.

Q : Chacun avait sa chambre dans l'Ashram ?

JM : Ca pouvait arriver, ça dépendait de la configuration. En général on avait des maisons ou des appartements assez grands, très grands, il pouvait arriver qu'on soit seul dans une chambre, mais souvent on était 2, 3, 4 ... Selon la taille des pièces et le nombre de personnes occupant les lieux.

Q : Aviez-vous des activités en commun ?

JM : Oui et non, il n'y avait pas vraiment des activités en commun. Mais il y avait les activités domestiques, il fallait faire la cuisine, faire le ménage, donc il y avait une certaine répartition des tâches, mais ce n'était pas ça l'essentiel des activités. Il y avait aussi la méditation, le matin et le soir, théoriquement pratiquée en groupe, parfois individuellement dans sa chambre, selon les horaires de chacun et de l'organisation de l'ashram. Il y avait aussi le "satsang", tous les soirs en général, les réunions où chacun prenait la parole pour chanter les louanges du gourou et de sa 'connaissance' - une sorte d'autosuggestion aux effets très puissants. Le reste de la journée était consacré au "service", travailler à l'extérieur, ou dans l'organisation. Il y avait quelques "parasites" qui réussissaient à ne rien faire, et vivaient de l'air du temps. Et le soir très souvent les réunions à l'extérieur, dans des salles publiques.

Q : Y avait-il des règles ?

JM : Oui, même des règles écrites, plus ou moins, qui étaient pratiquement des règles monastiques, assez précises, un horaire à respecter, être végétarien, le célibat, le vœu de pauvreté, d'obéissance, etc..

Q : Et tout le monde était sujet aux règles ?

JM : Théoriquement, oui - on essayait toujours de les respecter, mais il y avait parfois des entorses au règlement. Normalement il était interdit de fumer, s'il y avait quelqu'un qui fumait dehors ... on essayait de ne pas le voir… Il y avait beaucoup d'hypocrisie. Derrière leur façade de 'bon disciple', beaucoup de personnes ne respectaient pas les règles. Et tout le monde faisait semblant de ne rien voir.

Q : Y avait-il des gens qui avaient des "droits" ?

JM : Théoriquement non, dans les échelons supérieurs de la hiérarchie il y avait quelques personnes qui avaient quelques privilèges. Mais il déjà fallait être très haut et il y avait toujours une bonne excuse. Il y avait un tel mahatma qui avait le droit de fumer, par exemple, c'était par ce qu'il avait eu l'autorisation spéciale du gourou, ou un mahatma qui avait été marié, qui avait eu l'autorisation, ou un tel qui avait un appartement privé ... Donc il y avait quelques dérogations, mais les règles semblaient assez respectées partout.

Officiellement, tout le monde respectait les règles.

Dès fois il y en avait qui avaient un petit peu de privilèges, qui habitaient dans une maison ou un appartement un peu mieux que les autres… mais en général pas. Il y avait aussi des responsables qui abusaient de leur situation pour s'octroyer certains privilèges. Ca c'était un sujet tabou. Beaucoup d'hypocrisie.

Q : Dans cette période là, quelle était votre relation au monde extérieur ?

JM : quel vaste sujet… disons qu'il y avait la relation pratique, si on avait loué une maison il fallait payer le propriétaire, il fallait aller travailler pour gagner de l'argent, il fallait faire la comptabilité de l'ashram, de l'association, et toutes ces choses là étaient faites dans la légalité. Il y avait bien sûr aussi des circuits financiers parallèles, pour satisfaire les besoins - les exigences - énormes du gourou. Parmi les disciples, il y en a qui sont totalement extrémistes, et il y en a qui le prennent beaucoup plus légèrement. Les extrémistes croient que le monde est fou, que c'est l'enfer, que c'est la fin du monde. Pour les disciples qui vivent dans le monde, qui ne sont pas dans l'ashram, peut-être que le monde est un peu fou, mais ils s'en accommodent très bien. C'était la mentalité de l'époque.

Q : Et vous ?

JM : Je n'étais pas parmi les extrémistes, pour moi, la connaissance, ou l'enseignement du groupe était un peu la solution aux problèmes du monde. En fait j'étais un peu focalisé sur les problèmes de la société. L'enseignement du gourou se voulait être une solution à tous les problèmes, et cet aspect me séduisait. Et moi, je me rendais compte qu'il y avait de tas de choses qui n'allaient pas dans ce monde. Je me disais que ça c'était la manière de régler ces problèmes. C'est complément utopique et romantique. Mais cette vision un peu romantique du monde et de ses problèmes est une tentation toujours présente.

Q : et l'idée était d'acquérir les gens par amour..

JM : Voilà. C'était pas de les convaincre absolument, mais plutôt de leur montrer une sorte d'exemple, et on espérait naïvement qu'ils ne pourraient pas résister au message - que le gourou s'imposerait de lui-même en quelque sorte, ce qui est vraiment incroyablement naïf. Alors que la réalité est que 99.999% des gens n'en ont rien à foutre… et nous on ne voulait pas voir cette réalité là. On pensait que toutes les personnes... C'était plus ou moins notre attitude par rapport au monde - c'est qu'on pensait que ces gens là ne savaient pas, et qu'en définitive nous on était au courant, et qu'avec le temps ils allaient finir par "savoir". On avait donc plutôt une attitude bienveillante par rapport à eux - on disait - "bon, ils sont dans l'ignorance, ce n'est pas grave, ça va s'arranger".

Q : est-ce qu'il y avait une perception différente de vous-même et des autres, est-ce qu'il y avait "nous" et "eux" ?

JM : oui, bien sur. "Nous" on a la vérité, on est les détenteurs de la vérité, on sait ce qu'il y a à l'intérieur, on savait quelque chose, on avait la connaissance, qui est un mot qui convient dans ce contexte, et "eux" sont dans l'ignorance. Mais ce n'est pas irrémédiable. Et c'est pas qu'ils sont moins bien ou moins valables. Bon des fois on disait "ceux-là, ils n'ont aucune chance… ils sont vraiment en enfer et n'en sortiront jamais.." Mais même la pire des personnes, le pire des assassins, la personne la plus folle, avait une chance de s'en sortir grâce à ça - selon nous. On allait - enfin le gourou - allait les "sauver" !

Q : et ces gens de l'extérieur, étaient-ils perçus comme menaçants, ou méchants en quelque sorte ?

JM : Non, on avait beaucoup d'amour et on ne les percevait pas comme ça. Il n'y avait pas trop de paranoïa, il n'y avait pas une perception des autres comme étant méchants ... Il y avait de la paranoïa mais à autre niveau - c'est le gourou qui est un personnage très paranoïaque. Ca c'est quelque chose dont je me suis rendu compte après, progressivement, mais je n'appelais pas ça la paranoïa. Je me suis demandé pourquoi est-ce qu'il se comporte comme ça ? Pourquoi est-ce qu'il est aussi mégalo-délirant ? Pourquoi est-ce qu'il lui faut toujours des trucs aussi grandioses ? Le gourou est quand même un personnage très curieux. Ce qui se passe autour de lui, on n'en a pas la moindre idée quand on est dans les bas échelons. On s'en rend un peu compte quand on est dans l'organisation et qu'on commence à avoir des interactions avec lui, parce que là, il a un discours et des attitudes très bizarres en privé. Enfin pas en privé comme ça, avec sa famille. Je n'ai jamais été avec lui en privé dans sa famille, mais quand il y a des réunions avec les organisateurs, les assistants etc., on s'aperçoit que c'est un personnage très curieux. En fait, il essaie de tout diriger personnellement et de tout contrôler dans sa vaste organisation internationale, alors qu'il n'en a pas les capacités - pas plus que qui que ce soit ne pourrait les avoir. Pour diriger une telle entreprise, n'importe quel dirigeant compétent s'appuierait sur une équipe d'assistants responsables et compétents. Lui, il s'appuie sur des irresponsables, le plus souvent incompétents, et le plus souvent à la recherche de la satisfaction de leurs besoins personnels. Le résultat, c'est que son entourage est une sorte de panier de crabes inextricable. Ca ne peut évidemment pas marcher, et il y a de quoi décourager plus d'une personne naïve et de bonne volonté. Mais ça n'est pas perceptible pour les personnes qui ne peuvent pas l'approcher ... Et ceux qui savent, ou qui ont constaté ce genre de choses, ils n'ont pas le droit d'en parler à tout le monde, en général ils gardent ça pour eux. Et s'ils s'interrogent, ils en parlent avec des gens qui aussi ont participé à ces réunions, qui ont aussi été témoins de ces choses là. Ca reste des sujets d'interrogation au sein de ce petit groupe de privilégiés.

Q : et aviez-vous le droit de poser des questions ? de parler de vos doutes ?

JM : le doute - c'est l'ennemi numéro un. L'ennemi n'est pas les autres, mais le doute. On est censé parler de la vérité, du gourou, des expériences extraordinaires... Mais tout questionnement est banni, interdit. Dès fois, en privé, si on a un bon copain ou une bonne copine, on peut en parler un petit peu, mais c'est dangereux. Il y a quand même une espèce de culpabilité. Parce que dans le discours du gourou, il n'arrête pas d'en parler - il ne faut pas laisser place au doute, ça c'est un des trucs sur lesquels il a toujours insisté, il ne faut pas douter, et si on a des doutes, c'est le mental, c'est l'ennemi, c'est le diable, c'est diabolique, c'est ça qui va nous éloigner, on va se perdre. Ce n'est pas une culpabilisation, c'est un conditionnement, autour de cette idée, qui fait que si on commence à parler de ses doutes, il y a le phénomène de la culpabilité qui revient et vous empêche de trop réfléchir à ce qui va pas. C'est un véritable lavage de cerveau. C'est un des thèmes de lavage de cerveau. Disons que les disciples réagissaient à cet interdit sur le "doute" selon leurs tendances à la culpabilisation. Le gourou n'avait pas un discours directement culpabilisant - disons qu'il mettait en avant une sorte d'idéal d'illumination, inatteignable, et les disciples culpabilisaient éventuellement de ne pouvoir l'atteindre, de ne pas être assez purs, de ne pas faire ce qu'il faut, de ne pas être assez dévoués, de faire des choses interdites etc. C'est aussi sans doute une des raisons pour lesquelles la plupart des gens ne restent pas dans ce groupe. Le gourou propose quelque chose qu'il ne donne évidemment jamais - qui est en fait inatteignable.

Q : puisque vous parlez de la culpabilité, est-ce qu'il y avait un sentiment qu'on n'était pas assez bon, qu'il fallait devenir meilleur, quelque chose comme ça, qui joue un peu sur la culpabilité ?

JM : Alors ça, ça dépendait des gens, moi je n'ai jamais eu tellement de problèmes, parce que ce n'est pas quelque chose qui marche tellement avec moi. Mais en voyant et en parlant et en entendant le discours des autres personnes, je me rendais compte qu'il y a des personnes qui se sentaient extrêmement coupables, parfois vraiment grave. Il y a des personnes qui se sont suicidées, ou même qui se sont mutilées elles-mêmes, à cause de leur culpabilité.

Q : Une culpabilité engendrée par la secte ?

JM : Mais non, je pense que ces des personnes étaient déjà dans une histoire ou une problématique autour de la culpabilité. Moi je ne me serais jamais fait ce que ces personnes se sont faites. J'ai entendu parler de suicides de personnes, parce qu'elles n'avaient pas réussi dans la connaissance. De toutes façons, personne ne réussissait, parce que c'est une espèce d'idéal impossible à atteindre. Ces gens là disait que c'était parce qu'ils n'étaient pas capables, parce qu'il y avait quelque chose en eux qui n'était pas bon, qui ne valait rien, jusqu'au point de suicide. Ce n'est pas des gens que j'ai connu suffisamment. Mais j'ai entendu ce genre de discours. Il y a des gens qui se sont mutilés, je pense surtout à une femme qui s'est arraché un œil - c'est vraiment épouvantable, c'est une espèce de folie, c'était dans un accès de folie, sans doute, mais c'était autour de sa culpabilité, parce qu'elle avait fait quelque chose qu'elle n'aurait pas dû faire, et c'était une espèce de punition qu'elle s'infligeait parce qu'elle n'était pas une bonne disciple, etc.

Q : Et ça venait d'elle, de sa conscience morale, ou est-ce qu'il y avait une injonction dans le sens "si vous n'êtes pas bons, punissez-vous.. " ?

JM : Non, jamais dans le discours du gourou. Ce n'est pas du tout son discours, il n'y avait jamais un discours menaçant dans ce sens là. C'était beaucoup plus subtil. La menace était le mental - ou d'être comme tous les gens qui n'ont pas la connaissance, de retourner à notre condition antérieure. Il y avait une diabolisation de l'esprit critique, du doute, de la réflexion, et de tout un tas de choses censées être mauvaises. Je pense que les personnes qui ont beaucoup culpabilisé … bon je ne dis pas qu'il n'y avait pas un peu de culpabilisation chez moi, mais ça n'a jamais été un truc majeur chez moi, je ne suis pas quelqu'un qui culpabilise beaucoup. J'ai une conscience morale, j'ai une éthique, mais si on essaie de me culpabiliser, ça ne marche pas avec moi ...

Q : je vous demande ça, parce qu'il y a des sectes qui contrôlent les gens par leurs sentiments de culpabilité. C'est une manière de contrôler les adeptes, en leur disant que s'ils veulent être meilleurs, eux, ils ont la clef.

JM : Le gourou, ce n'est pas son discours. C'est plus subtil. Mais ce qu'il est remarquable de constater, c'est que les gens se culpabilisent eux même, c'est en ça que c'est assez fort - parce que je pense que le ressort de la culpabilisation est très présent. Il y a par exemple des gens qui disent "ça ne va pas, donc il faut que je médite plus" mais personne ne leur dit de faire ça.. C'est eux-mêmes. Mais si on analyse bien, c'est quand même … ce n'est pas dit, mais c'est suggéré de façon assez subtile. Il y a quand même une idée de nécessité de purification. Par exemple être végétarien, c'est dans l'idée de se purifier, vivre en ashram, la connaissance, la méditation, quelque part, c'est censé nous purifier. Donc il y a l'idée de la purification, qui je pense est un moteur très puissant de la culpabilisation.

Q : Par rapport à la culpabilisation, ou à ce sentiment de ne pas être assez bons, croyez-vous que les gens pourraient être attirés par une vie monastique pour un peu se punir, expier quelque chose ?

JM : Pas moi. Moi j'étais très idéaliste, c'est peut-être comme ça chez certaines personnes. Je n'en doute pas, quand je pense à certaines que j'ai connues, je pense que oui. Mais je ne suis pas absolument certain. Il faudrait en parler avec elles. Je pense qu'il y avait à boire et à manger, tout le monde y trouve un peu son compte. Mais effectivement, ça peut être axé sur la culpabilisation. La purification. Mais ça c'est plus symbolique. Chez moi il y avait un coté purification, plus symbolique. La pureté. Le gourou quelque part c'est aussi un symbole de pureté, dans toute cette mythologie indienne, la connaissance aussi c'est quelque chose censé être pur, qui purifie ce qu'elle touche, ça fait partie du discours du gourou. Il y a quand même quelque chose qui tourne autour de la purification. Mais c'est plus subtil que le discours par exemple des évangélistes, qui cherchent à vous culpabiliser. Ca c'est grossier, même s'il y a des gens qui y sont sensibles. Moi, je m'éloigne des personnes qui me tiennent ce genre de discours, je les plains, je me demande dans quel monde ils vivent. Mais par contre, la pureté, ça peut marcher. Se purifier, je crois que c'est un désir très profond, plus ou moins conscient, chez beaucoup de disciples du gourou - d'après ce que j'ai pu constater dans le groupe. Mais peut-être qu'au fond, cette recherche de pureté est motivée profondément - inconsciemment, par des sentiments de culpabilité, ou par un besoin d'expiation. Ca c'est une problématique très individuelle. Je ne sais pas si on peut en tirer des conclusions générales.

Q : Si on revient à votre parcours, à la période où vous étiez dans la communauté, pendant 6 ans, qu'est-ce qui s'est passé après ?

JM : Au bout de 6 ans c'était le début des années 1980, il y a eu un changement. Le gourou, pour diverses raisons, a voulu que cette histoire d'ashrams disparaisse, au moins dans les pays occidentaux. Donc ça se fermait progressivement, il y a eu une reconversion de toutes ces communautés, les gens ont été relâchés, enfin, entre guillemets, parce qu'ils n'étaient pas vraiment prisonniers. Moi j'avoue que ça commençait à me déplaire toute cette histoire. Je trouvais ça assez insensé, et surtout inefficace, même si je croyais encore complètement au message et à l'entreprise du gourou. Mais je trouvais son organisation totalement inefficace, il y avait des parasites, énormément de gaspillage financier, des tas d'activités inefficaces, des responsables incompétents et malhonnêtes. J'avais quand même une certaine réflexion par rapport à ça, même si je ne partageais pas mes vues avec tout le monde, je me rendais quand même compte que c'était très inefficace, qu'il y avait énormément de gaspillage à tout point de vue, donc j'ai pensé que c'était une bonne chose que ça ferme. Donc dès qu'il a commencé à en être question, à la première occasion je suis parti. C'était clair, il l'avait dit lui-même à des réunions qu'il avait eues avec les gens qui vivaient dans les ashrams, et où j'ai été présent, que pour lui ces communautés n'avaient plus de raisons d'être. Et j'avais entendu dire que certaines étaient en train de fermer. Je n'ai pas eu besoin qu'on me dise de partir, c'était clair. J'ai bien vu qu'il y avait de gens qui étaient complètement accrochés, qui ne savaient pas comment ils allaient vivre, moi je n'avais pas de soucis sur ce plan là.

Q : Vous êtes plus individualiste ?

JM : je n'ai jamais eu de problèmes matériels, je n'ai pas d'angoisses sur ce plan là, je me suis toujours débrouillé, avant, pendant et après, et j'avais un bon métier qui me permettait de gagner correctement ma vie. J'ai confiance en la vie, je m'en sors toujours, quelle que soit la situation, même si c'est difficile.

Q : Et pour les autres, il y en avait qui ne pouvaient pas supporter l'idée de partir ?

JM : Il y en a pour qui ça a été très très difficile. Il y en a qui en pleurent encore aujourd'hui, 20 ans après. Bon il faut aussi parler de la façon dont ça a été fait. Parce que quand on rentrait là dedans, le gourou vous proposait d'y passer votre vie, il y avait quand même une sorte d'engagement très important. Moi, ma vie… je ne savais pas trop ce que ça signifiait. Je rentrais là dedans parce que j'y croyais, je ne me disais pas que j'allais en sortir un jour, mais bon... Donc il y en a qui ont vraiment pris ça au pied de la lettre, et qui étaient très déçus, parce qu'en fait ils croyaient profondément à cette histoire monastique, c'était difficile pour eux. Ca n'a pas été fait toujours d'une façon très attentionnée, et la personne qui s'en occupait était relativement incompétente. Il y a certains trucs qui ont fermé, les gens se trouvaient dehors pratiquement du jour au lendemain, ils n'avaient pas forcement un travail, pas forcément des bonnes relations, il y en a qui se sont trouvés dans des situations très difficiles. Moi je n'avais pas de problème pour travailler, j'avais un métier, j'avais des amis, je me suis bien débrouillé. J'ai eu du mal à renouer certaines relations, mais disons que je n'étais pas désocialisé.

Q : En fait, la vie à la communauté était comme une coupure avec le monde extérieur d'une certaine manière ?

JM : Oui et non, tout dépend comment les gens le vivaient. Il y a des gens qui se sont effectivement coupés du monde extérieur, mais ça ne leur était pas forcément demandé. Mais s'ils le faisaient parce que ça leur plaisait, et on ne les empêchait pas de le faire.

Q : Et vous, vous avez gardé des contact avec vos amis ?

JM : Les amis - pas trop, mais comme je travaillais, et même si je travaillais pour l'organisation, dans mon "service" par exemple j'étais en relation avec beaucoup de gens, je m'occupais par exemple des publications. Il fallait les faire imprimer, il fallait les traduire, donc j'étais en contact matériel pratique avec le monde tous les jours. Il y avait des gens qui avaient coupé tout contact. C'est ça qui fait que c'était une secte - il n'y avait aucune éthique, il n'y avait personne qui était chargé justement de veiller à ce que les gens conservent un certain équilibre, comme ça se fait, je suppose, dans certaines institutions. Il n'y avait aucune prise en charge - et les responsables soit disant spirituels étaient des cinglés, généralement sans aucune éducation, choisis pour jouer ce rôle simplement à cause de leur dévotion pour le gourou, je m'en rends compte maintenant. Non seulement ils n'avaient absolument aucune attention pour les personnes sur lesquelles ils étaient censés veiller, mais en plus ils abusaient très souvent de la situation - c'est à dire du dévouement et du respect que les disciples avaient pour eux : tout leur était dû, ils étaient des sortes de saints, et la porte était ouverte à tous les abus.

Si les gens avaient des problèmes qu'ils exprimaient, les conseils qu'on leur donnait dépendaient complètement de la personne. Il y en a qui avaient un peu de bon sens, mais il y en a qui était complètement dérangés. Donc les gens, effectivement, suivaient des conseils idiots qu'on leur donnait, et voilà. C'était très aléatoire.

Q : La sortie de la communauté, est-ce que ça a signifié aussi la fin de l'adhésion, ou est-ce que ça a pris une autre forme ?

JM : Ca a été présenté comme une nouvelle phase, pour la propagation, la diffusion du message. Moi j'avais une vision très limitée, parce que je ne voyais pas ce qui se passait ailleurs, dans les autres villes, dans les autres pays. Dans un groupe sectaire comme celui-ci, la circulation d'information est quasiment inexistante. Un peu de bouche à oreille, rien d'officiel et de global. Je me disais bon, le gourou veut que ça se passe comme ça - donc allons-y. Je me suis mis à travailler, je continuais à méditer, aller aux réunions, aller aux conférences, dans les bureaux, etc. Donc pour moi il n'y avait pas de rupture. Je me disais qu'en sortant de ces ashrams, on était plus en contact avec le "monde", donc plus à même de faire du prosélytisme.

Q : et pour vous avez aussi continué à respecter les règles ?

JM : Non, parce qu'on était libérés de tous nos vœux en quelque sorte. Je vivais avec mon amie à l'époque. Je n'ai pas eu de problèmes de transition, je ne me suis pas posé trop de questions. J'étais peut-être un peu fanatique, dans le sens où, si le gourou a dit que c'était bien comme ça, hop, on oublie le passé et on part dans quelque chose d'autre. J'avais confiance, et comme ça se passait bien pour moi, je supposais que ça se passait aussi plus ou moins bien pour les autres. Et si pour les autres ça n'allait pas très bien, c'était peut-être parce qu'ils n'avaient pas assez confiance, je n'ai pas poussé l'analyse plus loin. Maintenant je comprends que pour certains ça s'est mal passé pour un tas de raisons dues au contexte sectaire.

Q : Et vous avez continué à travailler pour l'organisation ?

JM : Oui, j'étais toujours assez impliqué dans l'organisation, tout le temps, jusqu'à ce que je quitte cette histoire définitivement. Mais j'ai toujours été impliqué, parmi les hauts responsables en France.

Q : Comment ça a continué après la fermeture des communautés ?

JM : Le gourou a continué à faire ses tournées, les gens allaient le voir, les gens écoutaient ses discours, méditaient, etc. C'est une question de mode, là encore actuellement, il y a un nouveau truc, un nouveau mot d'ordre, une nouvelle technique de propagande : les vidéos par satellite. Et les disciples sont constamment en attente d'un nouveau mot d'ordre, d'une nouvelle mode - parce qu'ils voient bien que tout ne va pas au mieux, loin de là.

Q : Comment se sont passées les phases finales, pour vous ?

JM : Maintenant avec la réflexion, je pense que ça s'est construit petit à petit. On peut dire qu'à un moment il y a eu la goutte qui a fait déborder le vase, mais quand même la coupe était déjà bien pleine.

Q : Est-ce que c'était un événement particulier ?

JM : Je suis passé par une crise personnelle en 1996. Il y avait beaucoup de choses qui me déplaisaient depuis un moment, les changements de modes, etc. Disons que je n'ai jamais perdu mon sens critique, à cause de mon travail, je me suis toujours intéressé à ce qui se passait en dehors de la secte - mais je gardais mes réflexions pour moi, je trouvais toujours des justifications pour ce qui n'allait pas. Il y avait des disciples qui travaillaient, ils avaient un boulot, ils ne s'intéressaient à rien d'extérieur au monde du gourou, tant pis pour eux. Ce qui se passe dans le monde m'a toujours intéressé. J'ai toujours un peu lu des journaux, les revues scientifiques, je me suis tenu au courant de beaucoup de choses. Bon, je ne consacrais pas énormément de temps à la lecture, parce que le gourou et toute cette histoire c'est quand même assez prenant, mais disons je ne me suis jamais désintéressé du monde. Comme j'étais dans les hauts échelons de la hiérarchie, j'avais quand même une relation assez proche avec le gourou. Dans des réunions d'organisation réservées à certains personnes, il y avait quand même des choses qui me déplaisaient - comme par exemple la gestion financière, des hauts responsables qui n'étaient vraiment pas à leur place, que moi je considérais comme un peu dérangés, qui n'avaient rien à faire avec la responsabilité qu'ils avaient. L'entourage du gourou, je trouvais que c'étaient vraiment des gens pas équilibrés, souvent totalement irresponsables. Et moi-même, dans ce que je faisais à Paris, j'étais obligé de travailler avec des gens comme ça, des hauts responsables aussi, qui n'étaient vraiment pas à leur place … je commençais à en avoir ras le bol de cette histoire. Quelque part j'avais toujours confiance, je pensais que quelque chose allait s'améliorer. Mais c'était toujours la même histoire, des années plus tard, avec les même irresponsables - souvent malhonnêtes, une répétition des mêmes problèmes, il y avait un phénomène de ras le bol. Mais quelque part j'avais encore confiance. Et puis il y a eu cette crise personnelle en 1996. Ce qui a fait que là, du coup, j'étais obligé de prendre du recul, et me demander ce que je faisais avec tous ces gens étranges. Avant de prendre conscience que j'étais dans une secte.

Q : Parce que vous ne l'aviez jamais considérée comme une secte ?

JM : Non ! On ne reste pas dans une secte. Tous les autres groupes bizarres - oui, ce sont des sectes, mais soi - on n'est jamais dans une secte. On n'est jamais méchant, on n'abuse jamais des autres …

Q : Voudriez vous parler un petit peu de ce qui s'est passé pour vous en 1996 ?

JM : Comme je l'ai dit, il y avait pas mal de choses qui me déplaisaient. Rien de nouveau, mais la coupe commençait vraiment à être pleine - et pour la première fois peut-être je me suis autorisé à pousser un peu plus loin ma réflexion à ce sujet. A côté de cela, j'avais une amie qui m'a raconté qu'elle avait été violée par un des assistants du gourou. Ca c'était une des gouttes qui ont fait déborder le vase. Et puis après j'en ai rencontré une autre, qui m'a aussi raconté qu'elle avait subi la même chose, par un autre proche du gourou. Je ne connaissais pas des milliers des personnes, et voilà deux personnes proches qui me racontent qu'il leur est arrivé ce genre de chose épouvantable. Et ce n'était pas une rumeur, un bruit qui court, c'était vraiment les personnes à qui c'était arrivé. Elles me le racontaient avec tous les détails, je n'arrivais pas à y croire. C'est un choc quand vous apprenez une chose comme ça de quelqu'un qui est très proche, qui vous raconte un truc pareil. Au début je n'y ai pas cru, ça n'arrivait pas à rentrer dans ma tête. L'une d'elle m'a même fait lire une lettre manuscrite de la femme du gourou, qui prouvait qu'il était au courant - il l'était puisqu'elle avait eu l'occasion de le lui raconter en privé, qu'il n'avait rien fait pour que cela ne se reproduise plus, qu'elle n'était manifestement pas la première victime, et qu'il s'en foutait - que la seule chose qu'il voulait, c'est qu'il n'y ait pas de scandale, accusant cette personne d'être responsable de ce qui lui était arrivé. C'était tellement trop que je n'arrivais pas à lire cette lettre, ni à comprendre ce que ça signifiait. Heureusement, elle m'avait laissé une photocopie de cette lettre que j'ai eu l'occasion de relire à loisir. Cette amie avait aussi eu l'occasion d'interroger le gourou en public - lui demandant quelle était la responsabilité d'un enfant - par exemple - qui subissait des violences de la part d'un proche. Sa réponse, c'était que l'enfant en est responsable - tout comme elle était responsable de l'abus dont elle avait été la victime !

Il m'a fallu des mois pour comprendre ce que ça signifiait. Petit à petit ça fait son chemin. Et une fois que j'ai compris et accepté ce qui était arrivé à ces personnes, et quelle était la position du gourou dans cette histoire, le reste ne tenait plus debout. Le gourou était au courant, ce n'était pas la première fois qu'il se produisait ce genre de chose - j'ai éprouvé un sentiment de révolte totale. Il y avait déjà eu des plaintes, et il n'avait rien fait, les preuves existaient - je les ai vues de mes yeux …. Petit à petit vous comprenez tout ça. Comment est-ce que quelqu'un comme ça - le gourou - peut garder autour de lui un certain nombre de gens qui abusent de la situation ? Ils ne sont pas tous comme ça, mais il y en a qui ont violé des femmes, il y a une histoire de pédophilie, il y a des types qui ont fait des abus financiers, et toute sorte d'autres malhonnêtetés graves. Il y a aussi quelques soi-disant illuminés autour de lui, mais il s'agit globalement d'une sacrée bande de gens peu recommandables, tous très soucieux de préserver leurs privilèges. Et après si vous cherchez à le comprendre lui, sa personnalité, vous vous rendez compte d'un certain nombre de choses. Mais vous ne pouvez pas vous le permettre quand vous y croyez, etc.. Mais après, quand vous avez le recul, vous vous rendez compte qu'il est fou, c'est un alcoolique, et ça ne date pas d'hier, qu'il trompe sa femme, à la limite on pourrait s'en moquer, mais tout le monde le sait autours de lui. Il a toujours trompé sa femme, et en plus il a abusé d'un tas de femmes. Il y a un tas de femmes, évidemment, qui ne demandent qu'une chose, c'est de le connaître de plus près. Il le sait très bien, alors pendant ses voyages, si vous êtes une belle blonde, jeune, etc. il n'y a aucun problème… Ca c'est inadmissible. Comment peut-on rester disciple d'un tel personnage, une fois qu'on a ouvert les yeux ?

Q : Donc pour vous c'était très progressif, ou ça s'est passé du jour au lendemain ?

JM : Ca c'est fait progressivement. Il faut du temps pour que les idées fassent leur chemin, et que le tableau global soit assez clair. Accepter, d'abord que vous êtes avec des fous, enfin pas que des fous, mais vous êtes au milieu d'un drôle de groupe, que le gourou est entouré de drôles de personnages, que lui, en définitive, c'est un personnage très malsain, et qu'il n'a rien à voir avec l'idéalisation que vous avez pu faire quand vous étiez aveuglé par votre croyance, etc etc. Et que ce genre de groupe ça s'appelle une secte. Ca, il faut un certain temps pour pouvoir arriver à le dire, pour l'accepter. Accepter la réalité de certaines choses, ça prend du temps. Je ne sais pas - peut-être qu'il y a des personnes qui d'un seul coup, du jour au lendemain découvrent qu'ils sont dans une secte, mais c'est quand même assez traumatisant, c'est une période difficile.

Q : Vous alliez comment pendant cette période ?

JM : Ca a été une période difficile évidemment. Mais je ne me sentais plus à ma place dans cette histoire de gourou. J'ai donc progressivement cessé de participer à toute l'histoire …. Et j'ai commencé à en parler. Et je me suis alors rendu compte qu'il y a beaucoup de gens qui sont sortis de cette secte. L'immense majorité des gens qui étaient là dedans en sont sortis. Il y a un renouvellement constant, mais globalement, l'audience est en diminution constante depuis 20 ans. La plupart des gens ne réfléchissent pas trop au passé, j'ai l'impression que la plupart de gens qui en sont sortis en partent avec l'impression de s'être fait avoir, sans chercher à comprendre, peut-être n'est-ce pas vraiment nécessaire pour eux.

Q : Mais beaucoup de gens savent-ils qu'ils se sont fait avoir ?

JM : Ca m'intéresse de comprendre les sentiments des personnes qui en sont parties … j'ai eu l'occasion de discuter avec certains… c'est rare parce que ces personnes, elles ne gardent pas forcement des relations, des contacts, avec ceux qui ont suivi le même parcours, alors c'est difficile de savoir. D'après les quelques entretiens ou courriers que j'ai pu avoir avec des personnes comme ça, elles font un trait sur leur passé, c'est un mauvais souvenir ou un bon souvenir, ils ont fait une croix dessus, ils ne veulent plus trop y penser et en reparler. C'est vrai qu'on n'en garde pas forcément un mauvais souvenir. Tout dépend de leur degré d'implication, comment ils ont vécu ça…

Q : et vous, comment voyez-vous aujourd'hui cette expérience ?

JM : c'est intéressant. Je me demande aussi ce que j'aurais fais si je n'avais pas fait ça, va savoir.

Q : Est-ce que vous considérez ça comme une expérience facile, difficile, positive, négative…

JM : Moi je compare ça un peu à quelqu'un qui a fait un mauvais mariage, et qui découvre 20 ans après que son conjoint n'était pas du tout celui qu'il ou elle croyait. Quelque part il y a eu une tromperie, et c'est une expérience difficile.

Q : difficile - au moment de la tromperie, ou pendant les 20 ans ?

JM : Non, ça a été de belles expériences, j'ai vécu des moments extraordinaires, mais je ne conseille à personne de chercher à vivre ce genre de choses. Parce que pour que ça soit aussi extraordinaire, il faut aussi être très coupé d'autres choses. Il faut vraiment s'y investir, et on n'en garde pas grand chose, à part les bons souvenirs ou les mauvais souvenirs. Ce n'est pas quelque chose de positif, dans le sens où vous ne cultivez rien de personnel là dedans. J'ai appris un certain nombre de choses, mais je l'aurais appris dans mon travail, ailleurs, ou j'aurais appris d'autres choses. Ce ne sont pas des choses enrichissantes, je pense, sur le plan personnel. J'ai l'impression que c'est gratuit, un peu comme si vous avez passé un bon moment quelque part, avec des gens que vous ne connaissez pas, sans vraiment vous approprier quelque chose. J'ai du mal à comparer ça à l'expérience de la drogue, parce que la drogue c'est quelque chose qui vous détruit, enfin d'après ce que j'en vois. Je vois des gens qui boivent, ou qui se droguent avec des trucs plus durs depuis longtemps, et ça les détruit. Ca peut peut-être construire aussi quelque chose, parce que ça vous aide à comprendre un certain nombre de choses - à ne pas faire, et à éviter, ou sur la nature humaine et ses faiblesses.

Q : Il y avait une certaine évolution dans la connaissance au long de ces années ?

JM : Il y a une illusion d'évolution, mais pas d'évolution véritable. Vous maîtrisez un peu plus la problématique du groupe, savoir comment il faut faire ci, comment il faut faire ça, comme dans n'importe quelle entreprise. Si ça fait 10 ans ou 20 ans que vous travaillez avec un groupe de gens, vous savez comment il faut aborder un tel, comment faire une réunion, comment faire ci, comment faire ça, c'est l'expérience de la vie, des choses très banales, mais rien de très "spirituel".

Q : et une autre dimension, la relation au personnelle au gourou - est-ce que vous l'aimez, vous l'admirez, vous êtes jaloux de lui…

JM : quand vous êtes dedans, il y a une relation d'amour, mais c'est complètement idéalisé, parce qu'il n'y a rien de réel, à part pour les petites blondes qui ont pu passer une nuit avec lui. C'est complément irréel, et même les blondes en question, j'ai vu une fois un témoignage d'une femme à qui c'est arrivé : c'était la pire expérience de sa vie d'après elle. Je ne sais pas ce qui s'est passé, on n'a pas eu les détails, mais apparemment ... Donc c'est très idéalisé, donc c'est difficile de dire ... c'est complètement idéalisé. On est obligé de l'aimer, autrement on ne peut pas rester là dedans.

Q : mais par exemple, est-ce que vous vouliez être comme lui ? Est-ce que c'était un but à atteindre ?

JM : être comme lui - non, parce qu'il y a un mythe créé dès le départ - où il a une position particulière. Vous ne pouvez pas être le messie, vous ne pouvez pas être une incarnation divine, c'est impossible, vous pouvez juste être un bon disciple.

Q : Mais l'image à laquelle vous aspiriez, être un bon disciple, est-ce qu'il y avait quelqu'un qui incarnait ça ?

JM : oui, ses envoyés. Les mahatmas, les soi-disant grandes âmes, les instructeurs. Mais en général, au bout d'un certain temps, vous vous rendez compte que ces personnes sont elles mêmes assez ambiguës. C'est donc un idéal que vous construisez, et chacun a une sorte d'idéal qu'il s'est ainsi construit. Les disciples ont toute sorte de rêves de cette sorte, on devrait pouvoir en faire une liste je suppose.

Q : et ça vous construit un peu ? Au moins pendant un moment ?

JM : Non. Mais en fait, ces moments d'expériences intenses que vous vivez - dans la méditation ou avec le gourou, c'est un peu votre idéal. Vous avez envie d'être plein d'amour tout le temps, vous avez envie d'être pur tout le temps, d'avoir une compréhension extraordinaire tout le temps, c'est ça votre idéal. Enfin ça a été le mien, en quelque sorte.

Q : En fait votre idéal est par rapport à vous-même ?

JM : Tout à fait. Il n'y a rien de social ou de tourné vers l'autre. Dans la secte, l'idéal c'est un peu les moments d'exaltation que vous vivez - enfin, moi c'est ça qui a constitué mon idéal, vouloir être comme ça tout le temps, ou le plus possible. C'est très égoïste, en définitive.

Q : Et vous avez projeté que le gourou, ou les mahatmas, étaient comme ça tout le temps ?

JM : oui, absolument. Sauf que le gourou c'est quelqu'un de particulier - il a aussi son rôle de "messie". Mais si on ne fait pas cette sorte d'idéalisation, si on n'imagine pas ça, on ne peut pas rester chez le gourou. Je ne sais pas à quoi ça correspond sur le plan psychologique. C'est quand même très curieux, parce que de vouloir rechercher ces moments d'extase, et se dire, voilà, c'est un idéal, c'est un mécanisme très particulier, c'est une démarche très particulière.

Q : oui c'est particulier, mais on le fait tout le temps, dans tous les domaines.

JM : dans le travail, vous avez des moments géniaux, vous avez envie d'être tout le temps comme ça… mais vous ne construisez pas une vie autour de ça.

Q : C'est une recherche d'idéal quelque part ?

JM : J'avais un peu cette recherche. Mais dans cette secte, on peut affirmer qu'il y a une recherche effrénée d'une sorte de "perfection".

Q : et vous avez une idée de la raison ?

JM : C'est peut-être pour être mieux, un peu ce que tout le monde recherche - améliorer sa vie, et dans cette secte, c'est poussé à l'extrême. Peut-être que je me dis que je ne suis pas très satisfait de ce que je suis, ou de ce que je crois être, alors je cherche à être mieux. Et dans ma recherche du mieux, je me dis que lorsque je suis dans cet état exalté, je suis mieux. Je pense que c'était un mécanisme qui fonctionnait quand j'étais là dedans. Actuellement je n'ai pas l'impression de fonctionner comme ça. Je pense que c'est un mécanisme qui s'est développé dans ce contexte sectaire. Je crois que beaucoup de personnes avaient un fonctionnement de ce type dans la secte. Il faudrait le demander aux personnes qui sont passées par là, comment ils le vivaient. Mais moi je ne suis pas fondamentalement comme ça. Je pense que c'est le lavage de cerveau, le discours du gourou, cette croyance, qui vous pousse à être dans cet état d'esprit, mais ce n'est pas ma problématique personnelle.

Q : Est-ce que votre famille a compris votre démarche spirituelle ? Comment ça se passait avec eux ?

JM : Oui ils ont compris - du moins ils acceptaient plus ou moins ma démarche. Ils trouvaient ça sans doute assez farfelu et ça devait leur déplaire, parce que je ne vivais pas la vie qu'ils auraient sans aucun doute aimé me voir vivre. Ils ne se sont jamais opposés à ce que je faisais, ils comprenaient sans comprendre, ils ne se rendaient pas vraiment compte que c'était une secte. A l'époque le phénomène sectaire n'était pas vraiment dénoncé, donc ils devaient me trouver un peu original et un peu foufou, mais ils ne se sont jamais opposés à ce que je faisais - même si ça ne leur plaisait pas beaucoup. De toutes façons, déjà avant de rentrer là dedans, je n'avais plus tellement de liens avec eux. Dès que j'ai commencé à faire mes études, je les fréquentais assez peu. J'avais mon autonomie, parce que j'ai travaillé pour gagner ma vie déjà quand je faisais mes études. Je ne voulais pas dépendre d'eux. J'ai pris mon indépendance assez tôt. Il n'y avait pas trop de conflits, je n'ai pas eu trop de problèmes de séparation…

Q : Et vous avez gardé après des bons contacts avec vos parents ?

JM : mon père est mort d'assez bonne heure, à l'époque de mon implication assez importante dans la secte. Alors à cette époque, je le voyais assez peu souvent. On n'était pas vraiment en excellents termes, mais bon, c'est banal. Parce que je ne faisais pas le parcours qu'il aurait aimé - il aurait aimé que j'exerce mon métier à plein temps après avoir terminé mes études… et c'était pas du tout mon objectif immédiat. Pour lui, le fait que je m'occupe du gourou, c'était complètement en rupture avec ce qu'il attendait de moi, mais moi je n'en avais rien à faire. Il était donc assez fâché de cette situation. Donc bon, maintenant, évidemment je regrette que ça se soit passé ainsi, mais entre sa personnalité et la mienne… il avait du mal à concevoir des points de vue différents du sien. C'est difficile de discuter avec quelqu'un comme ca. Nous avions des rapports un peu difficiles. Ma mère est également décédée, quelques années après mon père. Nous nous voyions assez peu lorsque j'étais très impliqué dans la secte. Mais la relation avec elle était plus facile qu'avec mon père. Elle me demandait de lui parler de ce que je faisais, elle s'y intéressait, il lui est arrivé de venir à des réunions et même pour voir le gourou. Je crois qu'elle a fait ce qui était juste, c'est à dire essayer de conserver un lien avec moi, sans me juger ni me critiquer.

Q : Est-ce que vos frères et sœurs étaient intéressés par votre chemin spirituel ?

JM : Non, je leur en ai parlé un peu, mais ça ne les intéressait pas.

Q : A votre avis, avez-vous changé durant votre adhésion dans la secte ? En quoi ?

JM : C'est sûr que quand j'étais là dedans il y avait une rupture assez radicale ... et en même temps pas vraiment, parce que quelque part - quand j'étais dans la secte, ça satisfaisait mon besoin d'idéal. Il n'y avait donc pas de rupture sur ce plan là, je peux dire qu'il y avait une exagération d'une certaine aspiration. Après, quand j'en suis sorti, je me suis retrouvé pareil, avec mes mêmes aspirations. Bien sûr, il y a eu une période de transition difficile, pendant laquelle je ne savais pas où j'en étais. Je suis parti dans des choses qui étaient plus concrètes, plus réelles pour moi, en connexion avec le monde. Je ne veux pas dire qu'il n'y a pas eu de moments de crises, mais il n'y a pas eu de ruptures ou de transformations très grandes.

Tel que je vis actuellement, ma perception du monde, etc., il n'y a pas une très grande rupture avec ma perception antérieure. Bon, j'ai évolué, il y a un tas de choses auxquelles je ne crois plus, des choses que je perçois différemment, j'ai mûri, mais je ne peux pas dire que j'étais une autre personne, ni que je suis une autre personne. Il n'y a pas eu de rupture, je ne peux pas dire que j'étais quelqu'un d'autre, peut-être quelqu'un de l'extérieur pourrait le dire, mais moi je ne me sens pas autre.

Q : et aujourd'hui vous avez encore des liens avec des gens de là-bas ?

JM : Ah non, c'est impossible. D'abord, comme je suis impliqué dans cette histoire de site Internet d'information sur la secte, et que je m'occupe d'établir et d'entretenir des liens entre les gens qui en sortent, ou qui en sont sortis, je suis la bête noire, je suis un grand "ennemi" de la secte. Pour eux je suis une sorte de diable. Il m'est arrivé de rencontrer des personnes qui avaient envie de parler avec moi, ça m'arrive. Quelques-uns uns ont essayé de comprendre, mais c'est dangereux pour eux. Pour eux, il ne faut pas se poser trop de questions, mais je pense aussi que leur attitude n'était pas complètement désintéressée. Parce qu'ils devaient penser qu'en me parlant, ça c'est un grand truc de la secte, ils vont me calmer, ils vont faire que j'ai de bons sentiments pour eux, etc. Ils pensent qu'en me parlant, même si je ne retourne pas dans la secte, je vais devenir un peu plus "gentil". Quelque part c'est un peu intéressé, leur démarche, naïf.

Par contre j'en ai retrouvé après qu'ils soient sortis, des gens que j'ai connu là dedans. Et là, du coup on a eu, avec certains, une relation assez amicale. Quelques uns qui sont devenu plus ou moins des amis maintenant alors qu'en réalité on n'était pas vraiment des amis quand on était dedans, parce que c'étaient des relations assez superficielles. C'était centré sur le gourou, pas autour des relations dans le groupe ni d'amitiés construites en travaillant sur un projet commun.

Q : et aujourd'hui, avoir eu cette expérience ensemble vous rapproche ?

JM : oui, j'espère aussi que certains, avec qui j'ai quand même eu une certaine amitié, j'espère simplement que le jour où ils s'en seront sortis on deviendra de nouveau amis, vraiment amis. Parce que ce qui est difficile, c'est que là dedans je connaissais beaucoup de gens, dont certains qui sont des gens vraiment intéressants.

Mais c'est absolument catastrophique ... D'abord on ne peut plus avoir de relations avec eux quand on est parti, et je trouve catastrophique ce qu'ils font de leurs vies. Mais ce que j'espère c'est que certains en tout cas, que j'aimais bien, le jour où ils seront sortis, ils n'auront pas de problèmes avec moi. Mais certains, je ne sais pas s'ils en sortiront un jour. Même si le gourou disparaissait, ou si toute la secte disparaissait, je pense qu'ils ne sortiront pas de leur truc et de leur croyance.

Q : Pourquoi, à votre avis ? Qu'est-ce qui les retient là bas ?

JM : c'est la croyance, c'est tout le problème de la croyance. Disons que ça serait trop dangereux pour eux, c'est une remise en question trop importante. C'est difficile de sortir d'un truc comme ça, on est obligé de faire une certaine remise en question, plus ou moins grande, ça dépend de la personne. Mais je pense qu'il y a des gens qui ne peuvent pas se le permettre, pour toute sorte de raisons.

Pour moi, mon implication dans la lutte contre cette secte, c'est une façon dire "bon, j'étais con, vous m'avez fait croire en ce que je ne suis pas…" - je ne sais pas si c'est être courageux - c'est une façon de se réhabiliter et trouver, réaffirmer son existence - mon existence. Parce que c'est quelque chose qui détruit aussi votre personnalité, votre identité. En étant dans ce groupe, je n'avais pas l'impression d'avoir perdu mon identité. Mais après être sorti de là, on se rend compte que quelque part c'est quand même un peu ça qui s'est passé.

Q : Comment est-ce que ça détruit votre identité ?

JM : Parce qu'avant vous êtes un tel ou une telle, puis vous devenez un "disciple", et ça détruit votre identité. Vous ne pouvez pas fonctionner dans la secte avec une individualité trop grande, vous ne pouvez pas prendre de décision, faire de choix, tout est fait pour raboter votre individualité. Même si vous ne changez pas de nom - il y a des groupes où on vous donne un nouveau nom, ça fait partie du processus sectaire.

Q : Et vous avez ressenti ça en sortant ?

JM : Non, c'est quelque chose que j'analyse maintenant. Mais, non, vous ne vous rendez pas compte de ça lorsque vous êtes embrigadé dans la secte. Après, vous luttez pour faire ci ou ça, pour reconstruire votre personnalité. Mais pourquoi est-ce que vous êtes obligé de faire ça ? Parce que ça a été détruit, ou nié, même si ce n'est pas totalement détruit, c'est nié quelque part.

D'ailleurs il y a un truc très intéressant. Les disciples ne s'appellent pas "disciples" mais "prémies" - prémie c'est un nom très particulier. Un disciple, dans le contexte de ce groupe indien, s'appelle "satsangi". Il se construit en tant que "satsangi". Il y a d'autre noms, dans certains sous-groupes, mais il y a une espèce d'identité du disciple qui remplace plus ou moins la vôtre. C'est pour ça que je dis que c'est une destruction partielle de votre identité. Et votre identité, même dans la secte, elle n'est reconnue que si vous vous conformez à un certain nombre de choses - il faut obéir, faire les choses comme il faut les faire, pas faire de vagues, pas vous manifester, respecter la hiérarchie pour faire tel ou tel truc, vous ne prenez pas la parole si on ne vous le demande pas, vous n'allez pas dire des choses incongrues, il y a une espèce d'autocensure ...

Q : Et ça, il y a quelqu'un qui vous le dit ?

JM : Non, vous le sentez, le gourou est un personnage très fort sur ce plan là. Vous êtes obligé de vous conformer à une sorte de consensus. Tout le monde sait qu'il faut la fermer, que si on veut faire quelque chose, il faut suivre les canaux, s'adresser à la bonne personne… il y a une autocensure, et des choses à ne vraiment pas faire. Oui c'est un phénomène intéressant. Ces règles qui ne sont pas posées. D'ailleurs si vous ne suivez pas ces règles non dites, vous êtes rapidement marginalisé - et vous vous retrouvez dehors.

Il y a une espèce de comportement type du disciple. Si vous allez assister aux réunions de la secte, vous constaterez le comportement emprunté des gens, c'est assez édifiant - ils ne s'en rendent même pas compte, ils croient que c'est très bien d'être ainsi. Ca pourrait être drôle si ça n'était pathétique. Vous existez en tant que "disciple" au sein de ce groupe, avec une "aura" d'autant plus grande que vous avez davantage de "responsabilités", ou que vous êtes plus "proche" du gourou.

Q : Et les gens le font même sans se rendre compte.

JM : Oui, c'est inconscient. Ils vont s'asseoir… c'est hallucinant quand on pense à ce genre de choses. Mais il y a une forme de conformation inconsciente, une espèce de modèle, et en fait c'est très organisé. En réalité, toutes les réunions sectaires sont parfaitement planifiées, organisées, ritualisées, ils passent leur temps à organiser les réunions, à organiser l'organisation, c'est à la fois grotesque et kafkaïen … Rien ne se passe jamais dans un contexte spontané. Jamais. Dans cette organisation, vous êtes obligé de conformer. Il n'y a pas de place aux initiatives ou à la spontanéité - ou alors une place très très limitée et très très encadrée. Tout est prévu, ils passent leur temps à prévoir tout - ils passent des année pour préparer un truc qui aura peut-être lieu l'année prochaine, ou plus tard, ou même jamais. Tout est prévu dans le moindre détail. Et si vous vous trouvez dans une situation imprévue, il y a encore quelqu'un pour s'occuper des situations imprévues. Et ça vous ne le savez pas quand vous arrivez, et pour les disciples de longue date, la plupart n'en ont aucune idée - ils n'ont aucune vue d'ensemble des activités du groupe, ils ne voient que ce qu'on leur demande de faire. Tout est prévu aussi dans l'organisation. Il y a des gens qui passent leur temps à organiser l'organisation. Vous êtes obligé de vous conformer à un truc comme ça. C'est hallucinant. C'est ça le fonctionnement sectaire. Il y a donc une destruction de la personnalité, dans une sorte d'organisation kafkaïenne, pas dans le sens où vous n'êtes rien, mais par le conditionnement du cadre des activités.

Quand vous rentrez pour la première fois, ces gens ont l'air très bien. Ils ont déjà subi eux même ce conditionnement, ils ne s'en rendent pas compte.

C'est bien expliqué dans le bouquin de Sudir Kakar, un psychanalyste indien, ericsonnien. Il a été assister en Inde à des réunions de ce type de groupes, et il analyse très bien le comportement des gens qui sont en réunions, leur attitude béate quand ils regardent le gourou, etc. Il y a une espèce d'infantilisation inconsciente, ce sont des techniques à mon avis très puissantes. L'ambiance est très ritualisée, très calculée, c'est une recette, qui fait que quelque chose se passe. On ne vous dit pas "il faut être comme ceci ou comme cela", avec un règlement, c'est ça la force de ce système. Vous vous conformez à des règles non dites, sans vous en rendre compte.

Q : C'est encore plus fort, vous le faites, comme si c'est vous qui voulez faire ça.

JM : voilà. Vous ne vous rendez pas compte. C'est comme les mécanismes de pression sociale. C'est un conditionnement très particulier qui n'est pas le conditionnement banal dont on a l'habitude (prendre le métro.. etc.). On peut dire qu'on adhère "volontairement" à un système totalitaire. Je ne sais pas si c'est aussi comme ça dans d'autres sectes.

Q : ça peut prendre d'autres formes mais il y a certainement cet élément.

JM : Alors c'est plus ou moins subtil, plus ou moins direct..

Q : Pendant la période, dans la communauté ou après, est-ce que vous vous êtes senti en confiance ?

JM : j'allais dire oui, d'emblée. Oui je ne me suis jamais senti menacé. J'avais complètement confiance, peut être pas exactement, mais j'étais le détenteur de la vérité, donc il ne pouvait rien m'arriver, en quelque sorte. Ou s'il m'arrivait quelque chose de mal ou d'un peu difficile, quelque part j'avais confiance. Peut-être que des gens qui n'avaient pas confiance avaient plus de difficultés. C'est peut-être aussi pour ça que j'ai réussi dans la hiérarchie de l'organisation. J'étais quelqu'un qui fonctionnait bien, qui avait relativement confiance, qui était créatif, qui n'avait pas de problèmes pour agir, qui était assez autonome… et c'est peut-être aussi pour ça que j'ai réussi à m'en sortir comme ça. Mais bon j'en connais plein d'autres qui s'en sont sortis…

Q : Est-ce qu'il y avait quelque chose que vous avez perçu comme une menace ?

JM : Non. Je suis sorti de là parce que j'en avais vraiment ras le bol, que j'étais avec des allumés plus ou moins malsains et/ou étranges, que je n'avais rien à faire là dedans. C'était une prise de conscience très dure et très difficile. Je me souviens des dernières réunions auxquelles j'ai assisté, je n'étais plus trop focalisé sur le gourou, je me demandais vraiment ce que je foutais avec ces gens bizarres. Il y avait des gens que je connaissais bien - que je considérais plus ou moins comme des amis, je me rendais compte que je venais pour les voir, plus pour le gourou et sa soi-disant "connaissance", ça ne m'intéressait plus.

Après, après que je sois sorti, j'ai eu une période assez difficile. Ca prend du temps pour se réadapter - en quelque sorte - et oublier ce conte de fées. Maintenant tout va bien !

Quel soulagement de m'être sorti de cette histoire ! On croit être libre avec la "connaissance", alors qu'on est emprisonné, et sous l'emprise d'une drogue euphorisante. Le "monde de Maharaji" est bien étriqué, il y a mieux à faire de sa vie - sans les conseils d'un gourou qui ne connait rien de ce qu'il prétend enseigner.

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